Enveloppée dans un manteau trop grand, elle venait d’échapper à la mort. Lui la tient dans ses bras, héros du jour pour l’avoir sauvée des eaux glaciales du fleuve Saint-Laurent. Plus de 100 ans après le naufrage de l’Empress of Ireland, le plus meurtrier de l’histoire du Canada, des images inédites tournées à Québec dans les jours suivant la tragédie illustrent pour la première fois le duo ayant fait la une des journaux de l’époque.

Ce sont deux historiens québécois qui ont dévoilé mercredi avoir mis la main sur ces images exclusives.

« On voulait que le plus de gens possible puissent voir [les images]. Et qu’ils puissent voir cette chose extraordinaire qu’est la tendresse que Robert Crellin porte à Florence, et elle-même en retour », a affirmé l’historien de la photographie Sébastien Hudon, l’un des deux hommes à l’origine de la découverte.

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Sur le en film noir et blanc, on peut voir une petite fille de huit ans, Florence Barbour, dans les bras de son parrain, Robert Crellin, qui l’a sauvée des eaux du fleuve. L’homme réconforte l’orpheline, qui avait perdu son père un an auparavant, devant le Château Frontenac. Le naufrage a emporté la mère et la sœur de Florence.

Robert Crellin devait d’ailleurs se marier à la mère de la jeune fille.

« Dans les médias, beaucoup de gens se sont intéressés à cette histoire-là. Il y a des gens qui voulaient l’adopter », a déclaré le directeur du site historique maritime de la Pointe-au-Père et du Musée Empress of Ireland, Serge Guay. Le musée a confirmé que ces images sont bien inédites.

Robert Crellin aurait posé Florence sur son dos et nagé avec elle jusqu’à atteindre un bateau de sauvetage. L’homme aurait aussi aidé à sauver plus de 20 personnes.

Florence aurait souhaité toute sa vie être adoptée par l’homme qui l’avait sauvée. Cependant, comme Robert Crellin n’était pas encore marié à sa mère, c’est la famille de la jeune fille qui a revendiqué sa garde.

« Dans ses mémoires qu’elle a écrits à la fin de sa vie, [Florence] dit qu’elle veut être enterrée à côté de Robert et de son père », explique Sébastien Hudon.

Florence a été élevée par sa grand-mère en Grande-Bretagne. Elle est décédée dans la ville de Whitehaven en 1978, à l’âge de 73 ans.

Le film illustre aussi un navire chargé de dépouilles de victimes du naufrage qui arrive à Québec. Il est ensuite possible d’apercevoir des marins qui débarquent des cercueils sur le quai.

Le film constituerait en un extrait de « journal d’actualités », qui était présenté dans les cinémas à l’époque, juste avant la diffusion des longs métrages.

« Dans l’histoire du cinéma, à partir des années 1910, il y avait des alliances très fortes entre les journaux et le cinéma », a déclaré chercheur en résidence à la Cinémathèque québécoise, Louis Pelletier, ayant découvert les images avec son collègue.

Sébastien Hudon a repéré un lot de six bobines de films de 35 millimètres datant des années 1910, dans une vente aux enchères se déroulant en Grande-Bretagne en été 2020. Il a misé sur les objets avec Louis Pelletier, et les a obtenus. C’est six mois après l’acquisition des bobines que les deux historiens ont pu découvrir leur contenu.

« On a été tellement ému de voir la petite Florence et Robert Crellin, et de savoir que ces images n’ont pas été vues depuis le moment où elles ont été tournées », a confié Sébastien Hudon.

« Des vidéos de cette époque-là c’est très rare, mais des vidéos en lien avec l’Empress or Ireland c’est encore plus rare », a déclaré Serge Guay. Le directeur espère être en mesure de présenter cette vidéo au Musée de l’Empress of Ireland.

Le paquebot Empress of Ireland a sombré au large de Rimouski dans la nuit du 29 mai 1914, après avoir été heurté par un charbonnier norvégien, le Storstad. Moins de 15 minutes après l’impact, le navire coulait. Ce sont 1012 passagers et membres de l’équipage qui ont perdu la vie. Seulement 465 personnes ont survécu à la tragédie.