Je commence à avoir le tournis.

Et ce n’est pas parce que j’ai joué au tennis avec un masque et manqué d’air.

Ni un effet secondaire de l’AstraZeneca.

Je suis étourdie par les volte-face, les zigzags, les circonvolutions de Québec ces derniers jours.

Étourdie par les nouvelles scientifiques affolantes au sujet des ravages, dommages et séquelles de la COVID-19 et de ses variants.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre François Legault

Étourdie à force de capter à 360 degrés les signes d’écœurantite, de découragement, de décrochage, d’inquiétude qui viennent de partout.

Ici on fait du vandalisme, là on se fiche des mesures sanitaires, là, dans les hôpitaux, le virus et ses variants ne montrent aucun signe de ralentissement et mettent à l’épreuve nos équipes plus que jamais, là on voit des salles de vaccination quasi vides parce que je ne sais pas qui n’a pas réussi à convaincre les populations concernées d’aller se faire protéger.

On passe à travers une drôle de zone de turbulences qui fait un peu peur.

Parce que c’est difficile, quand on voit des annonces majeures, comme le port obligatoire du masque quasi en tout temps à l’extérieur, semer la plus grande des confusions – annoncées un mardi, corrigées le mardi suivant et recorrigées un mercredi par… Facebook –, de ne pas se demander : mais qu’est-ce qui se passe dans la cabine de pilotage ?

* * *

Quand j’ai appris, il y a 10 jours, que le gouvernement de François Legault m’obligeait à porter un masque si je voulais faire du jogging avec mes amis, j’ai d’abord cru à un poisson d’avril en retard, perdu dans la poste, qui venait de se manifester.

Mais ça s’est confirmé, embourbé, mêlé…

« Peut-on au moins courir à deux ? », ai-je demandé à gauche et à droite pendant quelques jours, sans pouvoir trouver une réponse claire, jusqu’à ce que, mardi, François Legault annonce que non, il me fallait un masque.

Puis mercredi est arrivée une autre directive sur sa page Facebook : à distance raisonnable, soit en respectant les fameux 2 mètres indispensables, la course entre copains redevenait possible.

Évidemment, avec les amis coureurs en question, on s’est mis à faire des blagues, à s’inventer des couples pas à la même adresse, à se dire qu’on courrait avec notre raquette de tennis ou un bâton de golf, au cas où.

Je ris maintenant, mais j’ai aussi traversé, après la première annonce du 6 avril, un moment de grande lassitude mêlée à de la colère. Et je ne suis vraiment pas la seule.

Comment était-il possible que le gouvernement, le même qui nous a tant exhortés, avant et pendant la pandémie, à prévenir cancers, diabète, problèmes de cœur et d’âme et j’en passe en sortant jouer dehors, mette soudainement de tels bâtons dans les roues à la pratique du sport, surtout, surtout, à l’extérieur ?

Comment était-il possible que le gouvernement soit si déconnecté de l’importance que la lumière, l’air frais et l’exercice physique ont dans nos vies ? Et notre salut mental ?

Et pour l’avenir de notre système de santé. Et de nos jeunes ?

Surtout, surtout, sans science à l’appui et, surtout, le même gouvernement qui, pendant qu’il nous colle des contraintes absurdes, ne réussit pas à remplir ses salles de vaccination actuellement dans la région métropolitaine ?

Souvent, quand je rouspète contre les mesures de prévention trop contraignantes, on me dit que je sauve des vies en les respectant.

Mais qui sauve le plus de vies ? Ceux qui jouent au SpikeBall avec un masque, ou ceux qui réussissent à faire leur job pour convaincre les populations récalcitrantes, craintives ou moins perméables aux messages de santé publique d’aller se faire vacciner parce que le personnel de la santé de la métropole les attend ?

* * *

Mardi matin, je me suis rendue en haut du mont Royal pour voir le lever du soleil et j’ai remarqué qu’il y avait quelques bandes de jeunes, style 16 ans, 17 ans, qui étaient là eux aussi pour ce spectacle gratuit. Ils rigolaient ensemble. Trouvaient ça beau, ces couleurs.

Personne n’avait de masque. On était dehors et une sympathique brise s’assurait de nous garder au frais et de remuer l’air ambiant.

L’idée que ces ados soient prêts à se lever à 5 h pour vivre quelque chose de formidable, dehors, ensemble, m’a terriblement émue.

Et l’idée que quelqu’un vienne, à ce moment-là, les sermonner sur le port du masque m’a terriblement attristée.

Tout comme le filet de désenchantement dans le regard de jeunes passionnés de hockey croisés récemment, forcés au port du masque, même pendant les entraînements.

Les décideurs n’ont-ils aucun de ces jeunes dans leur entourage ? Ont-ils souvent vu des ados se lever à 5 h du matin de leur plein gré ?

Font-ils de la course avec leurs vieux copains pour se garder en forme ? Jouent-ils au basket avec leurs voisins pour ne pas virer fous et parce que tout le reste est impossible ?

Et sont-ils à Montréal et à Laval, là où les salles de vaccination sont sous-utilisées, sont-ils dans les communautés où la vaccination n’est pas aussi répandue qu’elle le pourrait ?

Sont-ils en train de penser à des stratégies efficaces et rapides pour s’assurer dès maintenant – et ça sera super important plus tard aussi quand la vaccination sera offerte à tous – que tous les Québécois sont bien informés au sujet des vaccins et de leur importance ?

On le sait : toutes sortes de populations doivent être convaincues plus spécifiquement. Avec des approches adaptées, de l’information dans toutes sortes de langues.

D’ailleurs, pourquoi ne retient-on pas l’idée de Québec solidaire d’assurer une pause vaccin, pendant les heures de travail ? Elle n’est pas bête du tout. Une pause de boulot, c’est un excellent incitatif.

On pourrait aussi offrir la deuxième dose du vaccin d’AstraZeneca plus rapidement. Pourquoi est-ce que les gens qui se font vacciner actuellement devraient nécessairement avoir à attendre la fin de l’été ?

* * *

Je le répète, on traverse une immense zone de turbulences. Et on le sait quand on est en avion : on croit le pilote sur parole quand il nous dit qu’on va s’en sortir même s’il faut stopper le service du repas, ne plus circuler et attacher sa ceinture, parce qu’on lui fait fondamentalement confiance.

Et ça, c’est crucial, monsieur Legault.

Et dans une situation volatile comme celle que l’on traverse, le maintien de cette confiance nécessite à la fois beaucoup d’humanité, d’humilité et d’efficacité. Et ça se bâtit en parlant officiellement à la nation et en allant sur le terrain. Pas avec des messages sur Facebook.