À Tout le monde en parle, Denis Coderre a promis d’exercer un « contrepoids » pour défendre Montréal. En laissant entendre, bien sûr, que Valérie Plante en était incapable.

Mais est-ce le cas ? Cela mérite une analyse…

J’ai fait une petite tournée téléphonique – auprès d’hommes et de femmes – pour comprendre ce qui les différencie.

Commençons avec une réserve sur l’objectif. La défense de Montréal passe tant par la collaboration que par la confrontation avec Québec et Ottawa.

D’ailleurs, quand François Legault est devenu premier ministre à l’automne 2018, on craignait surtout qu’il soit incapable de s’entendre avec la mairesse. Car tout semblait les opposer. Proche des milieux communautaires et de la gauche inclusive, elle défendait une vision verte pour les quartiers urbains. Alors que lui, proche des milieux d’affaires et des nationalistes, avait été élu grâce au 450 et aux régions.

C’a été nettement mieux que prévu.

Pour éviter les frictions inutiles, l’entourage de Mme Plante prévient parfois le gouvernement caquiste avant de le contredire, comme sur l’étalement urbain.

Un code a même été créé. Quand un coup bas est fait, un conseiller écrit au clan adverse en surlignant la septième et dernière condition de leur pacte : travailler en équipe.

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Valérie Plante, mairesse de Montréal

Le dossier-clé a été le nouveau tronçon du Réseau express métropolitain (REM). Mme Plante a compris que sa ligne rose n’irait nulle part. Puisque M. Legault voulait développer l’est de Montréal, elle en a profité pour récupérer une partie de son projet.

En coulisses, elle a suggéré des ajustements, pour ensuite se rallier. Elle peine toutefois à convaincre son caucus du controversé segment en hauteur dans le centre-ville.

M. Coderre se vante de son rôle dans la phase I du REM. En fait, il était arrivé à la toute fin de ce projet développé par le gouvernement Couillard et la Caisse de dépôt et placement. À l’annonce, on s’étonnait de le voir se précipiter devant les caméras, comme si c’était son bébé.

Peu importe, se disait-on en riant. Au moins, il vend le projet.

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Mme Plante, elle aussi, cède parfois aux mises en scène.

Au début de la pandémie, elle a irrité Québec en se présentant à l’aéroport de Montréal pour s’approprier l’intervention de la Santé publique auprès des voyageurs.

Dans l’ensemble, toutefois, la COVID-19 les a rapprochés. Les caquistes n’ayant presque pas d’élus dans l’île, ils avaient besoin de son administration pour comprendre ce qui s’y passait.

Voilà pourquoi la sortie de Mme Plante a surpris après le plus récent budget Girard. Elle lui a donné une note de 6,5 sur 10. Une attaque inutile, qui ne s’inscrivait pas dans une stratégie de négociation précise. La ministre responsable de la Métropole, Chantal Rouleau, a répliqué que Mme Plante mériterait une pire note.

Cela a créé un malaise. Mme Rouleau, ex-membre de l’équipe Coderre, est invisible depuis qu’elle est ministre. Qu’elle attaque soudainement son ancienne rivale au municipal, la semaine du retour officiel de M. Coderre, donnait l’impression que Québec avait choisi son camp.

« Ce n’est pas le cas », dit un proche de M. Legault.

Il insiste : « On ne va pas se mêler de la course. »

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Le cas le plus révélateur de l’approche de Mme Plante est la nomination de sa commissaire au racisme, Bochra Manaï.

Mme Manaï était l’une des meneuses de la contestation de la Loi sur la laïcité de l’État. Elle a déjà dit que le Québec était devenu « une référence pour les suprémacistes du monde entier »…

Ce choix ressemblait à une provocation. Mais il relève d’un processus administratif, s’est défendue Mme Plante. Elle n’a pas voulu s’y ingérer.

M. Coderre avait laissé l’impression d’un monarque. La Ville, c’était lui. Mme Plante respecte le travail de ses fonctionnaires. Un peu trop, disent ses critiques.

Cela se sent dans d’autres dossiers économiques, où les règles tatillonnes sont suivies avec un respect masochiste. D’ailleurs, dans le milieu des affaires, beaucoup étaient heureux que Mme Rouleau rappelle que la mairesse, qui réclame toujours plus d’argent, est incapable de dépenser tout ce qu’elle reçoit. Un bon exemple : la décontamination des terrains dans l’Est qui stagne à cause de la lourdeur administrative.

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Quel est le rôle du maire dans les dossiers économiques ? Pas aussi grand qu’on le croit.

Les entreprises sont attirées, en ordre, par la qualité de la main-d’œuvre (nos quatre universités), l’accès aux grands marchés (notre proximité aux métropoles nord-américaines) et les coûts (impôts et subventions).

Comparativement à Québec et à Ottawa, le maire a peu de leviers.

Mme Plante considère que son rôle consiste surtout à offrir des milieux de vie accueillants. Elle a embelli plusieurs quartiers. Si elle a nui à l’économie, cela ne paraît pas dans les chiffres. Montréal offre la deuxième stratégie d’investissement au monde, selon une publication du Financial Times. En 2019, les investissements directs ont atteint un record de 2,6 milliards de dollars. Soit 30 % de plus qu’en 2017.

Quelques obstacles inutiles demeurent néanmoins, comme les règles d’urbanisme, qui varient capricieusement d’un arrondissement à l’autre, ou l’application rigide des plans de développement.

« On le voit avec d’autres projets, déplore un intervenant exaspéré. Quand c’est oui, c’est oui à moitié, et avec un an de retard. »

Dans le milieu des affaires, on s’étonne que Mme Plante ne s’implique pas davantage dans la relance du centre-ville. Québec et Ottawa ont les coudées franches.

Sa bonne entente avec les autres gouvernements n’est donc pas qu’une qualité. D’autant que le gouvernement caquiste n’a pas le « réflexe Montréal ». Ses sièges se trouvent en banlieue et en région, et cela se sent dans plusieurs dossiers.

Mme Plante est une bonne ambassadrice pour la métropole – elle a pris la parole deux fois à l’ONU. Par contre, elle est une négociatrice moins coriace que son prédécesseur.

En politique, il faut être craint au moins un peu par ses adversaires. M. Coderre aurait sans doute mis plus de pression pour que le conflit de travail au port se règle ou pour obtenir de l’aide pour le secteur aérien.

Par contre, cette qualité de M. Coderre vient avec un côté sombre. On le compare parfois au maire de Québec, Régis Labeaume, pour sa pugnacité. « Mais M. Labeaume cherche toujours une entente gagnant-gagnant. Pour M. Coderre, une seule chose compte : lui-même. Il se fout du reste », lance une source qui a subi son style sous un précédent gouvernement.

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Denis Coderre

En janvier 2017, il exagérait la menace de déménagement de l’Agence mondiale antidopage pour mieux se poser en sauveur.

L’ex-maire n’est pas réputé non plus pour son élégance. On l’oublie, mais en 2008, il avait manœuvré pour défaire Justin Trudeau dans l’investiture libérale de Papineau. L’arrivée du candidat vedette nuisait à ses plans d’avenir…

Parmi les gens à qui j’ai parlé, personne n’est convaincu qu’il a changé. Des batailles sont à prévoir s’il redevient maire. Il veut rapatrier de Québec la gestion des édifices scolaires, et d’Ottawa, celle du Vieux-Port. Difficile d’imaginer que MM. Legault et Trudeau cèderont. Pas à n’importe quel prix du moins. Or, les finances de Montréal sont déjà précaires, et le pire est à venir à cause des coûts dans les transports en commun.

Si M. Coderre a laissé de mauvais souvenirs, Mme Plante a trop compensé en essayant de corriger ses défauts.

Cela explique sûrement pourquoi beaucoup cherchent encore une troisième voie. Mais d’ici quelques semaines, le temps va finir par manquer.

Au moins, la Ville a déjà deux choix, et personne ne peut prétendre qu’ils se ressemblent.