François Legault n’avait pas tout à fait tort en accusant Dominique Anglade d’« enfoncer une porte ouverte » en s’opposant à GNL Québec quelques jours à peine avant la publication du rapport du BAPE.

En attaquant sa rivale, le premier ministre a toutefois télégraphié sa position. Vrai, il faisait d’abord référence à l’incapacité des promoteurs à obtenir du financement. Mais le projet ne semble pas chouchouté par son gouvernement.

On ne connaît pas le contenu du rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, mais il serait étonnant d’y lire une recommandation enthousiaste et inconditionnelle… La majorité des mémoires étaient négatifs. Les critiques portaient aussi bien sur l’économie que sur l’environnement.

L’usine à Saguenay importerait du gaz de l’Ouest, puis le liquéfierait et l’exporterait par bateau.

Très énergivore, elle hausserait les tarifs d’électricité de tous les Québécois. Et sa rentabilité économique est remise en question – de gros fonds comme celui de Warren Buffett ont quitté l’aventure.

L’usine augmenterait aussi les émissions de gaz à effet de serre chez nous. Selon la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi, elle pourrait devenir carboneutre. Mais on se souvient des promesses de verdissement de la cimenterie McInnis, qui n’ont jamais été respectées.

À cela s’ajoute le risque de hausser le trafic maritime dans l’estuaire du Saguenay.

Le Parti québécois et Québec solidaire sont contre depuis longtemps.

En début de mandat, la Coalition avenir Québec avait un préjugé favorable. Puis, voyant les critiques s’accumuler, le gouvernement Legault est devenu neutre.

Il a tiré les leçons d’Énergie Est. Mieux vaut se taire qu’appuyer un projet qui risque de mourir de lui-même et avoir l’air perdant quand cela se confirme.

Le gouvernement a déjà reçu le rapport, et il a jusqu’au 25 mars pour le rendre public.

La position caquiste se défend. Si on fait appel au BAPE, il est normal d’attendre le rapport avant de prendre position.

Le refus hâtif du PQ et de QS se défendait aussi très bien. Dans le cas de Sylvain Gaudreault, député péquiste de Saguenay, c’est une position courageuse. Il savait que les élus locaux et un grand nombre de ses électeurs l’attaqueraient, mais il a tenu à ses principes. Comme le démontre son mémoire, la demande mondiale en gaz naturel va diminuer d’ici 2040. Le Québec arriverait en retard sur ce marché.

Or, GNL resterait en service « au minimum quelques décennies », assure le promoteur.

Sa réussite repose donc sur un sinistre pari : que l’humanité n’atteigne pas les cibles pourtant déjà insuffisantes de l’accord de Paris.

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La sortie de Mme Anglade est plus confuse. Si l’urgence climatique la motive, pourquoi avoir appuyé le projet en campagne ? Et si des aspects pointus du projet l’inquiètent, pourquoi ne pas attendre de lire le rapport ?

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

Le rejet libéral de GNL Québec ne vient pas pour autant de nulle part. Il marque le délicat recentrage du parti.

Depuis plus de 40 ans, les libéraux se battent contre les péquistes. Leur principal adversaire a changé, et ils doivent s’ajuster. S’opposer à l’indépendance ne suffit plus. Et les libéraux ne sont plus les seuls à attirer des candidats de Québec inc.

La cheffe veut revenir à un clivage entre progressistes et conservateurs. Elle dépeint M. Legault en politicien d’une époque révolue, insouciant face à la crise climatique, frileux face à la diversité, avec de vieux réflexes en matière de développement économique.

En d’autres mots, elle veut prendre une photo de Maurice Duplessis et la coller sur le visage de M. Legault.

Sauf que le parallèle a ses limites, et que les libéraux devraient se regarder eux-mêmes quelques secondes dans le miroir.

Après tout, la centrale du Suroît et le gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, c’était sous Jean Charest. Et les douloureuses compressions budgétaires, c’était sous Philippe Couillard. Et si les émissions de gaz à effet de serre avaient été réduites durant le règne de ce dernier, cela se saurait…

Lundi, la cheffe libérale a demandé à Québec de reporter le déficit zéro et de miser sur la relance verte. Dans le même esprit, elle veut que cette relance se fasse sans GNL Québec.

Ce n’est pas sans risque.

Les libéraux sont devenus le Parti de Montréal, et s’opposer à un projet vanté par les gens d’affaires du Saguenay renforcera cette image. D’ailleurs, l’ex-député libéral de la région Serge Simard, qui l’appuyait dans la course à la direction, l’a accusée d’« abandonner les régions ».

Mais l’allégeance des électeurs se redéfinit et les libéraux cherchent avant tout à se distinguer de la CAQ. Mme Anglade n’a donc pas été si vexée que M. Legault la traite de « dogmatique ». Être peinte en vert ne lui nuira pas. Sa priorité est de sortir du centre incolore où son parti se perd.

À l’interne, on se rappelle probablement que durant la campagne électorale de 1960, l’unioniste Antonio Barrette traitait l’équipe de Jean Lesage de « communiste », sans que cela fasse peur à quiconque, pas même aux enfants.

Le gouvernement caquiste a lui aussi perdu de l’intérêt pour GNL Québec. Il devra bientôt se compromettre officiellement. Car malgré leurs difficultés financières, les promoteurs n’ont pas encore renoncé au projet.

Une fois le rapport du BAPE rendu public, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, aura quelques mois pour décider s’il autorise l’usine, et si oui, à quelles conditions.

Même si le feu vert est donné, le fédéral devra étudier l’impact environnemental du gazoduc et du trafic maritime.

Et comme le confirme le recentrage libéral : plus le temps avance, plus les hydrocarbures deviennent difficiles à défendre.