Pas l’an passé. L’an passé, la ville était désertée. Le printemps était esseulé.

Au carrefour des rues vides, il a vu une vieille dame sur son balcon. Il s’est approché d’elle. Elle lui a dit de garder ses distances. Il lui a demandé pourquoi. Elle lui a expliqué. La pandémie. Et les règles imposées. Puis, elle s’est mise à pleurer. Le printemps l’a consolée. Il lui a dit de s’accrocher. De ne pas se décourager. De ne pas se laisser aller. Et que l’an prochain, lorsqu’il reviendrait, elle serait toujours là, et il pourrait la prendre dans ses bras. Promis.

Le revoilà aujourd’hui. Arrivé à 5 h 37, précisément. Tout juste après la fin du couvre-feu. Mais ça, il ne le sait pas. Il est plus en forme que jamais. Il a du spring, le printemps ! Il est bien décidé à virer tout un party, le printemps. À rattraper l’année gâchée. Il attend patiemment qu’on vienne le retrouver. Il nous laisse faire la grasse matinée. Après tout, c’est samedi. Il parcourt les quartiers. Fait son jogging. Et nous attend sur la montagne. Où l’on finit par le rejoindre. Une bulle après l’autre. Nombreux mais masqués. Les sourires cachés. Chacun dans son espace. Il ne comprend pas. Encore. Il va s’informer à une famille : « Pardon, pourquoi vous ne vous mêlez pas les uns aux autres ? »

Le père répond :

« Parce qu’on peut pas. C’est toi, le mêlé, ici !

— Vous êtes toujours en pandémie ?

— Ben quin ! Viens-tu juste d’arriver ?

— Oui, à 5 h 37. »

La mère s’exclame : « Ah ! C’est vous, le printemps ! Ils l’ont dit à la radio que vous étiez pour retontir à cette heure-là. Contente de vous rencontrer ! Vous allez nous faire du bien ! Au soleil, tout s’endure mieux ! Parce qu’on commence à être tannés pas mal. Un an à faire attention, c’est long ! » L’enfant ajoute : « Mets-en ! Chus pogné avec mes parents tout le temps. Je peux pas aller chez mes amis, je peux même pas aller chez Papi et Mamie. » Sa mère lui fait un câlin : « Au moins, tu peux les voir sur la tablette. Pense à ta copine à l’école qui a perdu sa grand-mère. La pauvre… »

Le printemps pâlit : « Il y a des gens qui en sont morts ? »

Le père hoche la tête :

« Oui. Plus de 10 000 juste au Québec. Surtout des aînés.

— Que c’est triste.

— Tellement. Mais le pire semble passé.

— C’est ce que je vous souhaite. Bonne journée ! Prenez soin de vous. »

« Dix mille, surtout des aînés », répète le printemps, en poursuivant son chemin. Il pense à la vieille dame de l’année dernière. Celle à qui il avait promis qu’elle serait toujours là un an plus tard. Celle à qui il avait promis qu’il la prendrait dans ses bras un an plus tard. Il se demande si…

En un coup de vent, il se propulse devant son perron. Il regarde sur son balcon. Personne. Il écornifle par les fenêtres. Personne. Elle est peut-être partie faire sa marche de santé. Il virevolte dans les alentours. Pas de vieille dame nulle part.

Le printemps s’en veut. Il est capable de faire renaître les arbres, les fleurs, les fruits et toute la nature, mais pour les humains, il ne peut rien. Il peut, le temps d’une saison, leur donner un coup de jeunesse par en dedans. Rallumer leurs espoirs. Fleurir leur moral. Mais leur redonner la vie, il ne le peut pas.

Il laisse un bouquet de tulipes devant la porte. Si elle revient, elle saura qu’il est passé. Si elle ne revient pas, il reviendra les remplacer, pour que jamais ne fane son souvenir.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

« Il laisse un bouquet de tulipes devant la porte. Si elle revient, elle saura qu’il est passé. Si elle ne revient pas, il reviendra les remplacer, pour que jamais ne fane son souvenir », écrit Stéphane Laporte, à propos du printemps.

Le printemps reprend la route. Lentement.

Soudain, un taxi tourne le coin. Une vieille dame en descend. C’est bien elle !

Le printemps tombe du ciel :

« Où étiez-vous ?

— J’étais allée me faire vacciner.

— Me reconnaissez-vous ?

— Bien sûr !

— Je peux vous prendre dans mes bras ?

— Pas encore. Mais ça viendra. Ça viendra ! »

Y a pas juste le printemps qui est de retour. La vie aussi. Petit à petit. Comme le bourgeon, dans l’arbre devant vous, deviendra une feuille. En prenant le temps qu’il lui faut. On sortira de tout ça en prenant le temps qu’il nous faut.

Faisons confiance au temps. Au printemps. Une fois de plus.

Bonne saison !