(Ottawa) La vitrine que prévoit offrir le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) à l’ambassadeur de la Chine au Canada, Cong Peiwu, provoque un sérieux malaise – c’est carrément une « honte », s’insurge l’ancien ambassadeur d’Ottawa à Pékin, Guy Saint-Jacques.

Le bouillant diplomate chinois participera le 13 avril à une conversation pilotée par l’ex-premier ministre du Québec Pierre Marc Johnson, et s’articulera autour du thème « Relations Chine-Canada : Quelle voie suivre ? », indique l’organisation sur son site internet.

L’évènement a été annoncé lundi dernier, quelques jours avant que le régime chinois n’annonce l’ouverture officielle des procès – à huis clos – de Michael Kovrig et Michael Spavor, qui croupissent en prison depuis plus de deux ans.

« C’est une honte qu’on lui offre une tribune. Il va nous vendre sa salade, encore nous blâmer et nous dire qu’on est responsable de tous les problèmes dans la relation sino-canadienne. Je ne comprends pas », s’offusque Guy Saint-Jacques en entrevue.

« C’est scandaleux. On ne devrait offrir aucune tribune à ce genre d’individu », poursuit celui qui a été ambassadeur à Pékin entre 2012 et 2016. Et la liberté d’expression dans tout ça ? « Il y a une différence entre la liberté d’expression et exercer son jugement », répond-il.

Dans le cas de la Chine, maintenant que l’on voit le côté sombre, agressif et totalitaire de ce pays, qui commet un génocide [contre les Ouïghours], il faut se demander jusqu’à quel point on veut faciliter le travail de M. Cong ?

Guy Saint-Jacques

« Se couvrir de ridicule »

Aucun parti politique à Ottawa n’a appelé à l’annulation de l’évènement.

Au Parti conservateur, qui est dirigé par un chef tenant de la ligne dure contre la Chine, Erin O’Toole, on ne préconise pas cette avenue, car « l’une de nos valeurs est le droit à la liberté d’expression, un droit étendu aux dignitaires étrangers ».

Mais « la façon dont ils choisissent d’exercer ce droit est leur choix, même si cela n’accomplit rien de plus que de se couvrir de ridicule et d’attirer la désapprobation des citoyens du Canada », indique-t-on dans cette déclaration écrite attribuée au député Michael Chong.

Dans le camp néo-démocrate, Alexandre Boulerice ne va pas non plus jusqu’à dire que le CORIM devrait faire une croix sur le projet : « Ce n’est pas aux partis de dire aux organisations quoi faire, mais je pense que dans les circonstances, ce serait peut-être mieux de reporter l’évènement par respect pour les deux Michael »

Son collègue bloquiste Stéphane Bergeron croit que Cong Peiwu a le droit d’être entendu.

« Je ne suis pas fermé à ce que l’ambassadeur vienne répéter une énième fois son message […] mais ceci dit, ça ne doit pas être un monologue, et j’espère que M. Johnson et le CORIM auront l’audace d’aborder les questions franchement », plaide-t-il.

Le gouvernement Trudeau n’a pas commenté la tenue de l’évènement.

Une demande de l'ambassade

C'est le camp chinois qui a sollicité cette tribune, a indiqué le pdg de l'organisation, Pierre Lemonde.

« Le CORIM est une tribune non partisane qui s’intéresse aux questions internationales. On y retrouve régulièrement des ambassadrices et des ambassadeurs de pays avec lesquels le Canada entretient des relations diplomatiques », explique-t-il dans un courriel.

« Ces prestations ont parfois lieu à la demande de ces diplomates. L’ambassade de Chine a fait savoir au CORIM que son ambassadeur souhaitait s’adresser à notre auditoire », spécifie-t-il.

Procès des deux Michael : Trudeau en colère

En conférence de presse, vendredi, Justin Trudeau a fustigé la Chine, où Michael Spavor a été cité à procès devant un tribunal, derrière des portes closes. L’entrepreneur est accusé d’avoir volé des secrets d’État et de les avoir disséminés à l’étranger.

« Leur détention arbitraire est complètement inacceptable, tout comme le manque de transparence entourant ces procédures judiciaires », a-t-il tonné en jurant de « continuer à travailler sans relâche pour les ramener à la maison le plus rapidement possible ».

ARCHIVES AP

Michael Spavor

Le premier ministre a ajouté qu’il était « désolant de voir que non seulement la Chine a utilisé la détention arbitraire contre nos deux citoyens canadiens mais aussi que ce procès se passe dans la non-transparence avec même des représentants consulaires des Canadiens, diplomates, n’ont pas accès à ce processus ».

On apprenait jeudi que les procès des deux ressortissants canadiens, arrêtés quelques jours seulement après l’arrestation, en sol canadien et à la demande de Washington, de la directrice financière du géant chinois des télécommunications Huawei, Meng Wanzhou, se dérouleraient à huis clos.

Et comme de fait, l’accès au procès de Michael Spavor a été refusé aux représentants consulaires canadiens.

La première audience a duré deux heures et a pris fin vers midi vendredi, heure locale, dans un tribunal de Dandong, une ville située dans le nord-est de la Chine, à la frontière avec la Corée du Nord, selon ce qu’a communiqué le chef de mission adjoint à l’ambassade du Canada à Pékin, Jim Nickel.

Une audience judiciaire du procès de l’autre Canadien, Michael Kovrig, doit avoir lieu lundi prochain.

Le Canada s’est allié une série de pays, dont les États-Unis et de nombreuses nations européennes, dans son combat pour rapatrier ses ressortissants. Le premier ministre Trudeau s’est dit « très confiant » que leur cas soit discuté dans une réunion entre Washington et Pékin qui se tient ces jours-ci en Alaska.

« La Chine doit comprendre que leur approche de diplomatie coercitive ne fonctionne pas et continue de ne pas être bien reçue par les pays beaucoup plus que juste le Canada à travers le monde », a dit Justin Trudeau au parlement, vendredi.

La rencontre en Alaska s’est ouverte de façon très tendue, jeudi.

Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a mis la table en partageant les « profondes inquiétudes » de l’administration Biden « au sujet des actes de la Chine s’agissant du Xinjiang », où Washington accuse Pékin de « génocide » contre les musulmans ouïghours.

La riposte chinoise n’a pas tardé ; à son tour de parole, Yang Jiechi, numéro un du Parti communiste chinois en matière de diplomatie a lancé que « la Chine est fermement opposée aux ingérences américaines dans les affaires intérieures de la Chine » et qu’elle prendrait « des mesures fermes en représailles ».

Avec l’Agence France-Presse et La Presse Canadienne