Les ratés dans l’arrestation de Mamadi III Fara Camara accélèrent les discussions entre Québec et Montréal au sujet des caméras corporelles, dont l’utilisation, selon plusieurs, aurait pu permettre d’éviter la détention du Montréalais de 31 ans. Un projet pilote sera bientôt lancé à la Sûreté du Québec et pourrait ensuite être étendu au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

« C’est clair que ça permet d’accélérer les discussions avec le ministère [de la Sécurité publique]. Par contre, il va falloir que les tribunaux soient prêts à accueillir la technologie et donc que le système de justice s’adapte », explique à La Presse la responsable de la sécurité publique à la Ville de Montréal, Caroline Bourgeois.

Elle affirme que Montréal est prête à « entrer dans une première phase d’implantation », mais que la Ville ne « peut faire fi » des résultats non concluants du dernier projet pilote, révélés l’an dernier. « Il y a des choses à éclaircir, comme l’enjeu de l’activation de la caméra. À partir de quel moment est-elle activée dans une intervention donnée ? Dans des cas où la confidentialité est requise, de violence conjugale par exemple, ce sont des questions qu’on se pose », affirme Mme Bourgeois.

Sur le plan de la logistique, l’utilisation de caméras corporelles représente aussi « beaucoup de stockage », rappelle l’élue. « Il faut s’assurer d’entreposer ça correctement pour ensuite s’assurer que les tribunaux pourront s’appuyer sur une part de témoignages ou d’extraits en cour », soulève-t-elle.

Selon l’administration, les caméras corporelles entraîneront des coûts de 24 millions annuellement, notamment pour embaucher des employés supplémentaires, prévoir des infrastructures de stockage et louer des espaces. Le coût initial d’implantation atteint 17 millions sur cinq ans, entre autres pour la formation des agents. « Ce sont des budgets importants pour lesquels on a des choix à faire », dit Mme Bourgeois.

Il faut qu’on trouve une solution. Avec la bonne volonté de tout le monde, ça se fait, comme d’autres grandes villes l’ont fait. Je pense que ça va être un peu plus précis au cours des prochaines semaines.

Caroline Bourgeois, responsable de la sécurité publique à la Ville de Montréal

Un scénario qui aurait pu être évité

L’administration Plante le reconnaît : le marché des caméras corporelles évolue très « rapidement », tant sur le plan de la qualité de l’image que sur le plan de la concurrence entre les différents acteurs, de plus en plus féroce. « On sent cette amélioration de la technologie », dit Caroline Bourgeois.

Le réseau Axon Canada, spécialisé dans la conception d’appareils de surveillance, a d’ailleurs le vent dans les voiles, après avoir remporté un appel d’offres pour implanter des caméras corporelles à Toronto. Selon son directeur général au Canada, Vishal Dhir, l’arrestation de Mamadi III Fara Camara aurait pu être évitée.

La technologie permet aux caméras d’être automatiquement activées pendant qu’un policier arrive sur la scène. Dans ce cas-ci, ces images auraient été critiques, d’autant que si une arme à feu est retirée, une alerte est envoyée au centre de commande, qui peut regarder ce qui se produit en direct.

Vishal Dhir, directeur général d’Axon Canada

De son côté, le ministère de la Sécurité publique du Québec (MSP) reste pour le moment prudent quant à l’avenir de son projet pilote avec la Sûreté du Québec, annoncé au début de février par la ministre Geneviève Guilbault. « Le projet-pilote commencera probablement au printemps », indique-t-on.

À l’hôtel de ville de Montréal, l’opposition officielle déposera une nouvelle motion pour exiger le déploiement immédiat des caméras corporelles, lors de la prochaine réunion du conseil municipal, le 22 février. La mairesse Valérie Plante a reconnu au début de février que « sur le fond, l’idée de la caméra portative aurait pu aider à avoir une preuve supplémentaire » dans l’affaire Camara.

Gare aux raccourcis, dit un expert

Aux yeux d’un expert indépendant qui publiera en mars un ouvrage sur les caméras corporelles, celles-ci permettraient toutefois plus ou moins d’éviter des incidents comme la détention de Mamadi III Fara Camara.

« Quand on parle de caméras corporelles, on a souvent l’idée que la population aurait tout de suite une idée précise de ce qui s’est passé, mais c’est loin d’être le cas. Ce ne serait pas un automatisme aussi transparent qu’on le pense », fait valoir le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en management public comparé de l’École nationale d’administration publique (ENAP), Étienne Charbonneau.

Selon lui, ces dispositifs auraient d’abord un impact sur la réduction du nombre de plaintes de citoyens. Et de surcroît, la pertinence des caméras corporelles est questionnable dans une ville comme Montréal, où la confiance envers la police est « somme toute bonne », dit M. Charbonneau.

« Au niveau des coûts et des bénéfices, ces caméras aident surtout dans des villes qui ont des gros problèmes d’interaction et de confiance avec la police. Ce n’est pas le cas à Montréal. Nos policiers ne sortent à peu près jamais leurs armes, on n’envoie pas beaucoup la SWAT. Les gains à faire ne sont pas importants, surtout que la Ville compose déjà avec des déficits », conclut l’expert.