(Ottawa) Les consommateurs de drogues font face à de plus grands dangers alors que la deuxième vague de COVID-19 oblige les sites de réduction des méfaits et les programmes de soutien à limiter leurs services.

Les heures d’ouverture écourtées, les mesures sanitaires jumelées à un couvre-feu au Québec, en plus d’un approvisionnement compromis en raison de la fermeture des frontières, compliquent la tâche des services en toxicomanie, tandis que les surdoses d’opioïdes grimpent en flèche au pays.

Sous un éclairage fluorescent, Wendy Muckle observe le site d’injection supervisée surnommé « la roulotte », qui détonne discrètement avec le Marché By d’Ottawa. Des utilisateurs entrent dans le bâtiment en briques, où se trouvent 16 cabines au sous-sol, toutes équipées d’une chaise, d’un miroir résistant et d’une boîte pour seringues usagées.

Lorsque la pandémie s’est déclarée en mars, le centre d’injection a réduit de moitié le nombre de cabines accessibles pour assurer la distanciation physique, entraînant une « énorme hausse » des surdoses dans la communauté environnante, rapporte Mme Muckle, qui dirige depuis 20 ans Ottawa Inner City Health.

La capacité de l’organisme qui fournit des soins de santé aux populations vulnérables a été rétablie en réponse à cette augmentation des surdoses, mais bon nombre de ses services restent réduits ou accessibles uniquement de manière virtuelle.

« On a vu une augmentation vraiment effrayante et rapide du nombre de personnes qui consomment des drogues pendant la pandémie », constate Mme Muckle. « Je pense que les gens ont peut-être l’impression qu’ils ne vont pas passer à travers. »

En Colombie-Britannique, les décès liés au fentanyl étaient en baisse depuis plus d’un an lorsqu’en avril, les données mensuelles ont commencé à doubler par rapport à celles rapportées l’année précédente. Entre les mois de septembre et de novembre, la Colombie-Britannique a enregistré pas moins de 360 décès liés à cet opioïde synthétique, comparativement à 184 au cours de la même période un an plus tôt, selon le service des coroners de la province.

Une modélisation de l’Agence de la santé publique du Canada prévoit que les décès liés aux opioïdes pourraient grimper jusqu’à 2000 par trimestre pendant la première moitié de la présente année, surpassant le sommet de près de 1200 morts du dernier trimestre de 2018. Ce scénario s’explique en bonne partie par un manque de services de soutien, la perturbation de l’approvisionnement et les niveaux de stress élevés qui poussent les gens à se tourner vers ces substances illicites.

Des organismes ont dû limiter leur capacité, fermer l’accès à des espaces communautaires et mettre en veilleuse des services allant de l’aide alimentaire à la buanderie, dont la proximité avec des sites d’injection supervisée pouvait favoriser leur utilisation.

La fermeture prolongée de la frontière canadienne a perturbé le flux de drogues illicites et les revendeurs qui cherchent à étirer leurs stocks sont plus susceptibles d’ajouter des adultérants potentiellement toxiques.

Des benzodiazépines ont été détectées dans des drogues en circulation dans plusieurs provinces. Ceux qui en consomment peuvent être à plus grand risque de surdose, puis plus difficiles à réveiller et lents à réagir à la naloxone, le médicament qui agit normalement comme antidote.

Les services réduits et les restrictions sur les rassemblements privent aussi les consommateurs de drogues de points de contacts sociaux et, par le fait même, d’informations cruciales. « Il n’y a personne pour dire :’’Hé, il y a une mauvaise batch’’ », illustre Karen Ward, une consultante en matière de drogues et de pauvreté pour la Ville de Vancouver.

Au Québec, les quatre sites de consommation supervisée de Montréal ont vu leur achalandage diminuer fortement depuis l’imposition d’un couvre-feu entre 20 h et 5 h. Même le service mobile de L’Anonyme rejoint beaucoup moins d’utilisateurs, indique Kim Charest, coordonnatrice du programme d’intervention de proximité de l’organisme.

Mais les gens n’arrêtent pas pour autant de consommer des drogues, rappelle-t-elle.

Même avant l’entrée en vigueur du couvre-feu plus tôt ce mois-ci, le nombre d’appels aux services d’urgence ayant conduit à l’administration de naloxone par les ambulanciers avait presque doublé à Montréal et à Laval, avec 270 cas l’an dernier contre 146 en 2019, selon les chiffres d’Urgences-santé.

Des consommateurs, des défenseurs de leurs droits et des intervenants en dépendance réclament dans l’immédiat de meilleurs systèmes d’alerte pour les drogues contaminées et des services de soutien élargis.

Mais selon Wendy Muckle, seules la décriminalisation de la possession de petites quantités de drogues et la garantie de logements stables pourront contrer la présente vague de surdoses.