(Québec) Il n’y a jamais de bon moment pour un crime aussi horrible, mais celui-là est particulièrement mauvais.

Il survient au moment où le gouvernement Legault cherchait un moyen de remonter le moral des Québécois pour le début de novembre, considéré comme le pire mois de l’année…

Dans les officines gouvernementales, on a donc accueilli la nouvelle en se disant que ce crime odieux contribuerait inévitablement à la morosité ambiante.

Depuis quelques jours déjà, le gouvernement est en réflexion pour contrer les effets de la pandémie de COVID-19 sur l’humeur de la population. Il n’y a pas encore de plan couché sur papier, mais l’humeur de la population, lasse de cette pandémie, préoccupe grandement Québec. C’est comme si la trame sonore du moment était Dehors novembre, et qu’on voudrait bien changer de disque…

Il faut dire que les plus récents propos des autorités n’étaient pas particulièrement encourageants pour la population. Le premier ministre François Legault annonçait il y a une semaine la reconduction des restrictions sanitaires en zone rouge pour 28 jours supplémentaires, jusqu’au 23 novembre. Son homologue fédéral Justin Trudeau faisait abattre une chape de plomb en disant qu’« on va passer un hiver plate » et en évoquant – deux mois à l’avance ! – que Noël en famille est compromis…

À Québec, on espérait que l’Halloween allait servir de soupape pour la population, une occasion de renouer un peu avec des « contacts sociaux » – à deux mètres de distance, bien entendu.

Mais le réveil a été brutal pour tout le monde. En faisant le décompte des bonbons – après leur mise en quarantaine ! –, il faut répondre aux questions des enfants concernant le massacre… « Pourquoi il a fait ça ? » Lourd.

Lourd, c’est aussi le poids des responsabilités sur les épaules du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant. Y a-t-il eu un titulaire de cette fonction plus sollicité par une succession de drames ?

Il y a deux semaines, c’était le meurtre de deux petits garçons à Wendake – encore dans la région de Québec – qui l’interpellait. Une enquête externe a été déclenchée sur la direction de la protection de la jeunesse de la Capitale-Nationale, car la situation des enfants de 2 et 5 ans avait mené à trois signalements qui n’avaient pas été retenus, dont l’un fait par la police. La mère de Michaël Chicoine, accusé des deux meurtres, a témoigné dans une lettre ouverte que son fils souffrait de problèmes de santé mentale et qu’il n’avait pas reçu les soins dont il avait besoin.

La « nuit d’horreur » survenue dans le Vieux-Québec remet à l’avant-scène ce thème de la santé mentale.

Le gouvernement devancera d’ailleurs une annonce d’investissements qui devait être faite à la mise à jour budgétaire du 12 novembre. Lionel Carmant tiendra une conférence de presse à ce sujet ce lundi.

Les partis de l’opposition avaient déjà fait de ce thème une priorité au cours des dernières semaines, conscients eux aussi des conséquences de la pandémie sur l’état psychologique de la population. On a même relancé le débat sur le changement d’heure ! Pas plus tard que vendredi, à l’Assemblée nationale, le Parti libéral obtenait à sa demande un débat de deux heures avec Lionel Carmant sur « la nécessité d’une couverture publique des soins de santé mentale au Québec ».

Ce n’est pas un sujet qui date d’hier. En 2012, le Commissaire à la santé et au bien-être recommandait que les visites chez le psy soient couvertes par l’assurance maladie. Il déplorait un manque de continuité dans les services qui peut mener à des « situations dramatiques »… Il ajoutait que la psychothérapie « demeure inaccessible financièrement pour une grande partie de la population qui pourrait pourtant en bénéficier ». Il demandait de s’attaquer en priorité au dépistage et au traitement offerts aux jeunes – 80 % des troubles mentaux apparaissent avant l’âge de 25 ans, la moitié avant l’âge de 14 ans, notait-il. Le gouvernement Marois avait demandé une étude sur le sujet.

Trois ans plus tard, sous le gouvernement Couillard, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a recommandé à son tour que la psychothérapie fasse partie du régime public. Il soulignait que l’Australie et le Royaume-Uni offraient déjà des traitements psychologiques gratuits et accessibles à tous. Au Québec, « l’accessibilité aux services de psychothérapie reste limitée », déplorait-il. Toujours selon l’INESSS, « les analyses économiques publiées indiquent un meilleur rapport coût/efficacité de la psychothérapie et une meilleure rentabilité à long terme comparativement aux traitements pharmacologiques ».

Deux ans plus tard, en 2017, le ministre de la Santé du gouvernement Couillard, Gaétan Barrette, annonçait un tout premier programme public de psychothérapie pour les personnes souffrant de troubles mentaux. Il a commencé à être déployé à l’automne 2019, dans cinq régions.

Le gouvernement Legault se targue quant à lui d’avoir réduit les délais pour les services en santé mentale depuis le début de son mandat. Un peu plus de 15 000 personnes se trouvent sur une liste d’attente en ce moment.

Le dernier plan d’action du ministère de la Santé couvre la période 2015-2020. Un autre est attendu sous peu. La vice-première ministre, Geneviève Guilbault, a reconnu dimanche que les services en santé mentale ont été négligés. Et le maire de Québec, Régis Labeaume, appelait à une mobilisation « nationale ».

Il n’y a jamais de bon moment pour un crime aussi odieux, mais il y en a rarement de meilleurs pour faire avancer le dossier de la santé mentale.