Le gouvernement du Québec aimerait bien régler les problèmes qui affligent les autochtones depuis les débuts de la colonisation. En fait, il ne demande que cela. Son problème, voyez-vous, c’est qu’il se fait mettre des bâtons dans les roues par… les autochtones.

C’est tout ce que l’on peut comprendre d’une déclaration terriblement maladroite de la ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours, chargée de mettre en œuvre les recommandations du rapport d’enquête de la commission Viens sur les relations entre les autochtones et certains services publics au Québec.

« J’essaie de travailler dans la collaboration », a dit la ministre D’Amours, lundi, lors de l’étude des budgets du Secrétariat aux affaires autochtones. « J’ai besoin de partenaires. Je n’ai pas besoin d’un quatrième parti d’opposition. »

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Sylvie D’Amours, ministre responsable des Affaires autochtones

À ces mots, le député péquiste Pascal Bérubé a sursauté : ce quatrième parti d’opposition dont vous parlez, c’est l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) ?

Pas de réponse de la ministre.

Le gouvernement tient à mettre en œuvre les recommandations du rapport, s’est-elle contentée de dire, mais des organisations autochtones ne « collaborent pas ».

Ghislain Picard, chef de l’APNQL, n’en croyait pas ses oreilles. Que la ministre considère les autochtones comme le quatrième parti d’opposition, « c’est vraiment nous réduire au minimum », lâche-t-il en entrevue.

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Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador

Le chef Picard pense que la ministre n’a « pas compris » la réalité des Premières Nations ou refuse de la comprendre. « Je ne sais pas dans quelle réalité elle loge, au juste. »

« Il faut faire attention avec les citations prises hors contexte », prévient l’attachée de presse de Mme D’Amours, Lauréanne Fontaine, sans plus de détails sur ledit contexte. Elle assure que la volonté du gouvernement est de « travailler en collaboration avec toutes les nations ».

N’empêche que cette malheureuse phrase en dit long, aux yeux du chef Picard, sur la façon dont le gouvernement perçoit les autochtones : des empêcheurs de tourner en rond.

Depuis l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec, Ghislain Picard a l’impression de faire face à un gouvernement « moins à l’écoute », « plus réfractaire », qui espère surtout que les autochtones se tiennent tranquilles. « On ne sent pas qu’on nous accorde de l’importance. »

Pour ouvrir un essentiel dialogue de nation à nation, c’est mal parti.

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Les doléances de la ministre D’Amours sont d’autant plus ironiques lorsqu’on sait que, trois jours plus tôt, son patron a lui-même donné un sérieux coup de frein à l’une des recommandations centrales du rapport rédigé par le juge à la retraite Jacques Viens.

À Chibougamau, vendredi, François Legault a dit craindre que l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ne menace le développement économique du Québec.

La Déclaration, a-t-il avancé, risque de forcer le gouvernement à donner un « droit de veto » aux autochtones sur les projets économiques de la province.

Or, inscrire la Déclaration dans la législation québécoise constitue l’un des principaux « appels à l’action » formulés par Jacques Viens. C’est la pierre angulaire de son rapport, une mesure incontournable, selon lui, pour améliorer les conditions de vie des autochtones.

« Il s’en trouvera […] pour évoquer les "risques" qu’un tel outil confère aux peuples autochtones un droit de veto sur tous projets envisagés au Québec », écrit M. Viens dans son rapport.

Ces réserves n’ont pas lieu d’être, selon le juge à la retraite. Le consentement mutuel dont il est question dans le texte de la Déclaration n’équivaut pas à un droit de veto. C’est d’ailleurs ce qu’a compris la Colombie-Britannique, qui l’a adoptée l’an dernier.

Pour Jacques Viens, il serait « hautement regrettable que, sur la base de craintes non fondées, l’une des meilleures chances de rétablir les ponts avec les peuples autochtones et d’améliorer leurs conditions de vie soit écartée ».

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La porte n’est pas fermée, soutient Lauréanne Fontaine. Pas entièrement.

Le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre la Déclaration, rappelle l’attachée de presse. Mais pour lui donner un sens, « nous devons avoir une compréhension commune de son contenu et nous travaillerons en collaboration avec les Premières Nations et les Inuits sur cet enjeu ».

Ghislain Picard ira négocier, mais n’entretient pas de grands espoirs. « C’est comme si M. Legault avait déjà déterminé l’issue de la négociation… »

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Quand le gouvernement a créé un « groupe d’action contre le racisme » chargé d’identifier les problèmes et de proposer des recommandations, le 15 juin, les autochtones ont poussé un soupir d’exaspération.

Quoi ? Encore un rapport ?

Eh oui. Encore un.

« Avec la commission Viens, tout a été dit. Les recommandations ont été formulées. Il faut maintenant passer à l’action », s’impatiente Ghislain Picard.

Vous voulez comprendre ce que sont le racisme et la discrimination systémiques, au juste ? Le rapport Viens vous en offre un brillant exposé en 520 pages, bien tassées.

Pas juste le rapport Viens, d’ailleurs. Depuis 50 ans, pas moins de 13 rapports d’enquête au Canada ont détaillé les logements surpeuplés, le traumatisme des pensionnats, les foyers d’accueil, les incarcérations massives, la brutalité policière…

Tous ces rapports ont souligné l’urgence d’agir, de rétablir un lien de confiance, d’éviter les démarches unilatérales et les attitudes paternalistes. Tous ont recommandé de donner aux Premières Nations les moyens de trouver eux-mêmes des solutions aux problèmes qui les concernent.

Et pourtant. Aucun autochtone n’a été invité à faire partie du groupe d’action contre le racisme du gouvernement. Le groupe sera composé de sept élus ; les deux coprésidents, Lionel Carmant et Nadine Girault, ont la peau noire. Les Premières Nations, elles, seront représentées par Sylvie D’Amours, puisqu’il n’y a pas d’élus autochtones à la CAQ, ni d’ailleurs dans les autres partis.

Pas même au quatrième parti d’opposition.