(Ottawa) La quête du Canada pour obtenir des indemnisations de l’Iran pour avoir abattu un avion de ligne ukrainien est parsemée d’obstacles puisque l’enquêteur en chef de Téhéran est un bourreau qui devrait être derrière les barreaux, selon l’ex-ministre de la Justice du Canada Irwin Cotler.

« Une personne, qui devrait elle-même être en prison, est maintenant responsable de diriger une enquête transparente et équitable », a déclaré M. Cotler lors d’un entretien.

L’avocat et défenseur des droits de la personne de longue date, qui a agi à titre de ministre de la Justice dans le cabinet de Paul Martin, représente plusieurs prisonniers iraniens actuels et passés.

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L’ex-ministre de la Justice Irwin Cotler

L’Iran a nommé son juge en chef, Ebrahim Raisi, pour diriger l’enquête portant sur l’écrasement du vol 752 d’Ukraine International Airlines le 8 janvier. L’avion a été atteint par deux missiles iraniens peu après son décollage de l’aéroport de Téhéran, tuant les 176 personnes à bord, dont 55 citoyens canadiens et 30 résidents permanents.

M. Cotler a souligné qu’Ebrahim Raisi avait lui-même échappé à la justice après avoir été le complice de l’exécution de milliers de prisonniers politiques iraniens en 1988.

Ebrahim Raisi fait partie des suspects de ces exécutions qui ont été révélés deux décennies après les faits par un autre politicien iranien, bien que celui-ci n’ait jamais parlé publiquement de ces allégations. Ces assassinats visaient des opposants politiques iraniens vers la fin d’une guerre de huit ans contre l’Irak.

Par la suite, Ebrahim Raisi a gravi les échelons de la hiérarchie juridique iranienne, occupant notamment le rôle de procureur à l’époque où le nombre d’exécutions a grimpé en flèche et permis à l’Iran de devenir un des leaders mondiaux à ce chapitre, a souligné M. Cotler.

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Ebrahim Raisi

Le gouvernement Trudeau a nommé un autre ex-ministre du cabinet libéral, Ralph Goodale, à titre d’émissaire spécial pour l’enquête sur l’écrasement du vol ukrainien, au moment où le Canada et l’Iran luttent toujours contre la pandémie de la COVID-19.

L’Iran avait promis de remettre à l’Ukraine les enregistrements de bord de l’avion ukrainien lors d’une vidéoconférence de l’Organisation de l’aviation civile internationale à Montréal le 11 mars, mais rien n’a encore été fait.

Une porte-parole du ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne a mentionné que le Canada continue de faire pression sur l’Iran pour obtenir les enregistrements, dans le cadre d’une opération internationale concertée pour « la transparence, la responsabilité, la justice et le règlement » du dossier pour les familles des victimes de l’écrasement.

M. Cotler a dit que M. Goodale demeure un « bon ami » et qu’il a autant de chances que n’importe qui d’obtenir des réponses des Iraniens pour expliquer l’écrasement – dont la récupération des boîtes noires. Mais ces chances sont minces, selon lui.

« L’Iran a l’habitude d’étirer les négociations, de manière à forcer la partie adverse à renoncer à ses demandes ou à tout simplement abandonner les procédures », a évoqué M. Cotler.

« Ils sont très bons pour procrastiner et retenir des informations », a-t-il ajouté.

Susan le Jeune d’Allegeershecque, la haut-commissaire britannique au Canada, a rappelé que le fait que l’Iran a été frappé durement par la COVID-19 pourrait expliquer le retard dans ses réponses. Cependant, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Ukraine, l’Afghanistan et la Suède – les pays qui ont perdu des ressortissants dans cet écrasement – maintiendront la pression pour obtenir des réponses.

« La chose la plus importante c’est d’obtenir ces boîtes noires, et de les faire analyser par une organisation qui est reconnue et accréditée en vertu des lois de l’OACI », a-t-elle mentionné.

« Nous continuerons de les appuyer pour qu’ils obtiennent justice pour les victimes, et peut-être éventuellement des compensations, mais surtout qu’on sache ce qui s’est véritablement produit cette journée-là », a-t-elle ajouté.

M. Cotler a rappelé que ses liens avec diverses organisations qui tentent d’obtenir la libération de dissidents iraniens lui permettent de « comprendre » les obstacles qui se dressent devant le Canada et les quatre autres pays qui tentent d’obtenir des réponses pour l’écrasement du vol 752.

Après avoir quitté la vie politique en 2015, il a fondé le Centre Raoul-Wallenberg pour les droits de la personne et continué d’œuvrer à titre d’avocat pour des prisonniers politiques en Iran, en Chine et en Arabie saoudite.