Ça ne va pas. Manque d’énergie. Vidé. Déprimé. À bout. C’est normal. Ne vous inquiétez pas. On est en janvier. Le manque de soleil a déréglé votre horloge biologique. Oui, vous avez une horloge biologique. Une vraie. Ce n’est pas une image. Ce n’est pas une vue. Ce n’est pas pour sonner l’alarme d’avoir un enfant au plus sacrant. Vous vous demandez où elle est ? Elle n’est pas sur votre téléphone. Ni dans votre placard. Elle est dans votre cerveau, plus précisément derrière vos yeux. Elle se régularise grâce à l’alternance du jour et de la nuit.

Quand votre horloge est sur la coche, vous dormez bien, vous êtes de bonne humeur, votre fréquence cardiaque est normale, votre pression artérielle aussi, et vous êtes plus performant intellectuellement. Méchante horloge. Même une Rolex ne fait pas tout ça.

Le problème, c’est que lorsqu’elle est déréglée, vous n’arrivez pas juste en retard à vos rendez-vous. Vous arrivez fatigué, démotivé, à terre. Heureusement, l’autre personne l’est aussi, alors vous vous comprenez.

On se lève, il fait noir. On part pour le bureau, il fait noir. On sort du bureau, il fait noir. On rentre chez nous, il fait noir. On se couche, il fait noir. Cinquante nuances de noir. Et quand il ne fait pas noir, il fait gris. Si ça durait quelques semaines, ça irait. Mais c’est ainsi depuis novembre. Et ce sera ainsi jusqu’en avril. Au moins.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

« On se lève, il fait noir. On part pour le bureau, il fait noir. On sort du bureau, il fait noir. On rentre chez nous, il fait noir. On se couche, il fait noir. Cinquante nuances de noir. Et quand il ne fait pas noir, il fait gris », peste notre collaborateur.

Comment faire pour ne pas avoir la mine aussi sombre que le temps ? Les plus chanceux s’en vont au soleil. La Floride, la République dominicaine, le Mexique, le Costa Rica, Cuba… (En passant, pourquoi on dit le Mexique, le Costa Rica et on ne dit pas le Cuba. La syntaxe est-elle si prude ?) Avant, quand les privilégiés allaient dans le Sud, faire le plein de luminosité, c’était tant mieux pour eux, et ça n’avait pas d’impact pour nous. Maintenant, chaque Québécois dans le Sud déprime des millions de Québécois dans la merde. Parce que non seulement on passe nos journées dans le noir, mais la seule petite source de lumière que nous avons, c’est celle de l’écran de notre cellulaire, et qu’est-ce qu’il y a sur l’écran de notre cellulaire ? Des photos de tous nos contacts au soleil, en train de se faire bronzer. Et plus ils sont bruns, et plus ils sont heureux, plus on est vert, et plus on est malheureux.

Avant, pour éviter la dépression saisonnière, le Québécois avait le Canadien de Montréal. L’équipe la plus dynamique de la Ligue nationale. Elle dominait toutes les autres et nous prouvait que le bonheur était sur la glace. Après chacune de ses convaincantes victoires, le Québécois souriait dans le métro, dans l’ascenseur, devant le photocopieur. Et on le sait, le sourire est le plus lumineux des soleils. Aujourd’hui, le Canadien ne fait plus sourire personne. Au contraire. Penser à lui nous approche des ténèbres. Il ne cesse de perdre. Les nouvelles du matin, c’est quoi ? Le Canadien a encore perdu, l’Australie brûle, l’Iran explose; côté météo : bien, il ne fait pas beau. Bonne journée !

Qui a éteint la lumière ? Comment on fait pour s’en sortir ? Ma principale source de lumière, l’hiver, c’est la musique. Écoutez de la musique. Plein de musique.

Il n’y a rien de plus motivant. Écoutez ce que vous voulez. Les Beatles, Shawn Mendes, Bleu Jeans Bleu, Stevie Wonder, La Compagnie créole, s’il le faut. Toutes les musiques font du bien à celle ou celui qui les aime. Même les musiques tristes. Même du Léo Ferré. Même du Safia Nolin. Ça ne vous fera pas danser. Mais ça va vous bercer. Comme une mère berce son enfant quand il pleure, dans la nuit. Ça fait tellement de bien qu’on ne sait plus si la mère berce son enfant pour qu’il arrête de pleurer ou si l’enfant pleure pour que sa mère n’arrête pas de le bercer.

Ce qu’il y a de plus angoissant, quand on est déprimé, c’est de ne pas savoir pourquoi. Au moins, au Québec, adieu l’anxiété, on sait très bien pourquoi on est démoralisé. On manque de soleil. On manque de clarté.

On peut, bien sûr, faire des séances de luminothérapie. S’installer devant une lampe blanche, durant 30 minutes, tous les jours. Pas juste les jours où il ne fait pas jour. Pour que le traitement soit vraiment efficace, il faut même commencer à la fin août. Trente minutes à se prendre pour un plant de marijuana. Pascal disait que l’homme est un roseau pensant. Il serait plutôt un tournesol déprimant. Sans soleil, le tournesol se déboussole.

Je sais que plusieurs d’entre vous, avant même de terminer cette chronique, sont en train de se réserver des voyages dans les Îles. Grand bien vous fasse. On vous demanderait simplement une petite faveur. Quand vous allez publier vos photos d’extase solaire, s’il vous plaît, n’ajoutez pas des commentaires du style : on pense à vous dans le froid, au Québec, - 35 chez vous, + 35 ici, vaut mieux se pogner le cul que de tomber dessus… On le voit que vous êtes bien. Éclairez-nous de vos sourires. Pas de vos sarcasmes.

Buvez vos cocktails au bord de la mer, nous, on va boire notre cocktail météo.