Qui deviendra ministre responsable de la Lutte contre le racisme ?

Deux noms se démarquent : Nadine Girault et Ian Lafrenière.

PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE

Nadine Girault est l’un des deux noms qui se démarquent pour devenir ministre responsable de la lutte contre le racisme.

Avec Lionel Carmant, ils ont rédigé le rapport du groupe d’action de Québec contre le racisme.

M. Carmant n’aurait pas été un mauvais candidat — après des débuts chancelants, il devient solide, estime-t-on au gouvernement. Sauf que son année 2021 sera surchargée. Il pilotera trois dossiers costauds, soit le dépistage des troubles d’apprentissage, l’accès aux soins en santé mentale et la réforme du Directeur de la protection de la jeunesse.

Mme Girault serait un excellent choix. D’origine haïtienne, elle est née aux États-Unis, a grandi en Gaspésie et a fait sa carrière dans les affaires à Montréal. Elle possède une vaste expérience et elle a déjà subi le racisme. Elle connaît aussi le milieu policier — elle dirigeait la formation continue au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Dans le rapport, on lui doit entre autres la recommandation de nommer un administrateur issu d’une minorité visible au conseil de la majorité des sociétés d’État d’ici cinq ans. Elle a résisté aux résistances de la machine gouvernementale, dit-on.

À titre de ministre à la fois de l’Immigration et des Relations internationales, Mme Girault est elle aussi occupée. Cependant, la fin de mandat devrait être plus tranquille sur ces deux fronts. Le virage économique de la diplomatie est déjà en marche. Et en immigration, après des débuts mouvementés, le gouvernement vise avant tout la tranquillité.

Ian Lafrenière serait quant à lui un choix à la fois logique et controversé. Le plan d’action sur le racisme cible particulièrement les Premières Nations. À titre de ministre responsable du dossier, il serait bien placé pour devenir le ministre anti-racisme.

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Ian Lafrenière, ministre responsable des Affaires autochtones

Autre avantage, le « ministère » des Affaires autochtones est en fait un secrétariat qui relève du ministère du premier ministre. Le lien est donc direct avec M. Legault lui-même. Cela aide à faire bouger les choses.

Dans un sondage mené auprès de ses pairs par La Presse, M. Lafrenière a reçu le titre d’« étoile montante » du Parlement. À l’interne, il est reconnu pour son affabilité et sa capacité à travailler en équipe. Mais il reste l’ex-porte-parole du SPVM, avec la charge symbolique que cela suppose pour les victimes des abus policiers.

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Peu importe, Mme Girault et M. Lafrenière ont en commun une qualité qui a manqué à leur chef : un ton rassembleur. Cela se voyait à la conférence de presse, lundi dernier.

D’ailleurs, le rapport contredit poliment François Legault. Le premier ministre dit que la « discrimination systémique » ou le « racisme systémique » n’existent pas au Québec. Ses ministres ne vont pas aussi loin. Ils préfèrent seulement ne pas se prononcer.

Par contre, comme M. Legault, ils veulent parler de solutions.

Le ou la ministre ne sera toutefois pas prêt à appliquer dès maintenant les recommandations. Sans être mauvaises, elles contiennent plus d’intentions que de mesures concrètes et de cibles chiffrées.

J’en ai parlé avec des chercheurs qui s’intéressent notamment à l’équité en emploi, au profilage racial et aux relations avec les Premières Nations.

Ils saluent le rapport, mais retiennent leurs applaudissements.

Pour l’accès à l’emploi, le rapport recommande d’augmenter la présence de gens de minorités visibles dans la fonction publique. Comment ? Mystère.

Cet objectif existe déjà, et il n’est jamais atteint. Entre autres parce que l’État est à la fois juge et partie, et qu’il est très indulgent avec lui-même…

Autre problème, ces programmes parlent de communautés culturelles, et non de minorités visibles. Cela signifie qu’en principe, le quota de diversité pourrait être rempli sans engager une seule personne noire, même si ce sont elles qui subissent davantage le racisme. C’est ce que m’a expliqué Paul Eid, professeur de sociologie à l’UQAM et membre de l’Équipe de recherche sur l’immigration au Québec et ailleurs (ERIQA).

Le rapport veut aussi accompagner les nouveaux arrivants dans leur formation de mise à niveau, et mieux reconnaître leurs diplômes étrangers. Reste à savoir comment inciter les ordres professionnels à le faire.

Pour le profilage racial, une certaine confusion demeure. Le rapport propose de modifier le Code de déontologie pour interdire les « interpellations policières aléatoires ». Or, la ministre de la Sécurité publique ne semble pas vouloir aller jusque-là. Elle craint l’effet pervers de l’under-policing, c’est-à-dire le fait pour les policiers de ne plus intervenir dans des secteurs chauds pour éviter les plaintes.

De plus, l’article 636 du Code de la sécurité routière, qui autorise les contrôles d’identité sans motif pour les automobilistes, continuerait de s’appliquer. Une source fréquente de tension, me rappelle le sociologue Victor Armony, coauteur d’une étude sur les interpellations au SPVM.

Il faudra voir le livre vert sur la police, attendu d’ici l’été prochain, pour connaître les intentions gouvernementales.

Enfin, c’est avec les Premières Nations, encore victimes d’inacceptables injustices, que le plus gros travail sera à faire. Pour elles, la réflexion est plus avancée.

L’année dernière, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec a déposé un rapport avec 142 recommandations. L’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador a aussi présenté cet automne un plan costaud contre le racisme.

Et des communautés se prennent en main. Par exemple, le conseil d’Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam, sur la Côte-Nord, demande à pouvoir créer son propre service de protection de la jeunesse. Mais au lieu de les aider, Québec les bloque en contestant une nouvelle loi fédérale qui consacrerait leur autonomie en la matière.

Si je souligne les omissions du rapport, c’est pour montrer qu’un énorme travail reste à faire. D’où l’importance de nommer un ministre pugnace pour préciser les mesures, définir les cibles, faire un suivi et rendre des comptes aux citoyens.

Et surtout, pour faire pression auprès du premier ministre lui-même afin que la lutte contre le racisme s’intègre véritablement aux actions du gouvernement.

En d’autres mots, pour que la promesse d’agir ne soit pas une fois de plus oubliée.