Le ministère de la Justice du Québec renonce à interjeter appel du jugement de la juge Claude Dallaire, qui avait vertement condamné l’action d’une de ses fonctionnaires dans le cas tragique d’une réfugiée saoudienne poursuivie par son mari violent, a appris La Presse. Toujours selon nos informations, France Rémillard, qui occupait le poste de directrice de l’Autorité centrale du Québec, a été démise de ses fonctions.

« Après analyse, le Procureur général du Québec n’ira pas en appel dans le dossier A c. Procureure générale du Québec 2019 QCCS 5960. De plus, nous avons demandé au ministère d’assurer la mise en œuvre rapide des recommandations du rapport Verreault. Notre objectif est de s’assurer que les procédures et pratiques en place au sein du ministère respectent les plus hauts standards en matière de protection des enfants et de leur famille », a indiqué le ministre dans une déclaration envoyée à La Presse par courriel.

Dans ce rapport d’enquête, qui sera rendu public sous peu, la consultante Lise Verreault fait état de plusieurs lacunes dans la gestion de l’Autorité centrale du Québec (ACQ). Le ministre Simon Jolin-Barrette avait déclenché cette enquête interne à la suite d’un reportage publié dans nos pages, qui relatait en détail la décision de la juge Dallaire.

(Re)lisez notre reportage « Une fonctionnaire mêlée à une traque illégale »

Quant à Mme Rémillard, elle a été définitivement remplacée à la tête de l’ACQ, mais demeure cependant employée par le ministère de la Justice.

Dans un jugement rendu au cours des derniers mois, la juge Dallaire avait condamné le ministère de la Justice et France Rémillard, à titre personnel, à verser 250 000 $ à la plaignante, d’origine saoudienne, qui les a poursuivis au civil. La plaignante et son fils étaient pourchassés par un ex-mari violent, près du pouvoir en Arabie saoudite, qui prétendait que madame avait enlevé son fils.

Malgré le fait que, au moment du présumé enlèvement, l’enfant vivait en Arabie saoudite, pays qui n’est pas signataire de la convention de La Haye, France Rémillard avait déployé des moyens extraordinaires, allant à l’encontre d’avis juridiques, pour aider l’avocat québécois du père à retrouver la femme et son fils.

D’ailleurs, le rapport signé par Lise Verreault est à plusieurs égards sévère pour la gestion de l’Autorité centrale du Québec, division peu connue du ministère de la Justice, qui s’occupe des enfants enlevés à l’étranger et vivant sur le sol québécois. Le rapport s’étend sur 12 pages. Trois passages ont été caviardés parce qu’ils contenaient, nous dit-on, des renseignements personnels.

« Nous avons constaté un très haut niveau d’autonomie chez la titulaire de ce poste. La nature complexe de son travail et la diversité des problèmes rencontrés l’amènent à voir seule à la planification et à l’organisation des priorités qu’elle juge importantes. La supervision exercée sur la titulaire est très restreinte, pour ne pas dire inexistante. »

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France Rémillard

Supervision accrue de l’Autorité centrale du Québec

Au fil des ans, France Rémillard a peu partagé son expertise, note Mme Verreault. « La spécialisation de cette fonction au fil du temps et l’exécution de celle-ci par une seule personne n’ont aucunement favorisé le partage des connaissances, tant à l’égard des supérieurs immédiats qu’à l’égard de la préparation d’une bonne relève. »

Mme Verreault note un manque flagrant d’encadrement, l’absence de précision concernant les liens hiérarchiques rattachés à la fonction de Mme Rémillard, l’absence de processus décisionnels clairs, le peu de documentation qui appuie les décisions, ainsi que la possibilité pour la titulaire du poste de direction de ne pas tenir compte des avis juridiques issus de son propre ministère. Entre 1998 et 2017, France Rémillard n’a eu aucune évaluation de son rendement par ses supérieurs. Sa description de tâche date de 2007.

« Cet état de fait peut engendrer des interprétations assez larges qui peuvent causer certains préjudices. Il serait prudent de convenir précisément de l’étendue de ces pouvoirs et de prévoir des mécanismes d’approbation à un niveau supérieur, lorsqu’il y a dissidence de point de vue ou d’interprétation, en lien avec les avis juridiques émis ou des décisions dans les limites des pouvoirs dévolus. »

En ce qui a trait aux faits, après vérifications auprès des autres autorités centrales dans d’autres provinces canadiennes, celles-ci ne traitent pas les demandes pour des enlèvements se produisant dans des pays qui ne sont pas signataires de la convention de La Haye, établit Mme Verreault. Ces cas sont renvoyés à Affaires mondiales Canada.

Mme Verreault recommande donc une supervision accrue de cet organisme et la mise en place de mécanismes clairs de validation. Une nouvelle directrice, aux solides compétences juridiques, vient d’être nommée, précise l’enquêteuse en conclusion de son rapport.

« Nous avons constaté une réelle volonté de l’ensemble des gestionnaires rencontrés de vouloir mettre en place un meilleur encadrement au niveau de ce secteur. Les recommandations que nous vous avons formulées sont nécessaires et vont dans cette direction. Elles doivent être rapidement mises en œuvre. »