(Ottawa) Une petite entreprise qui se spécialise dans l’organisation d’allocutions de personnalités connues pour ses clients dit être une victime collatérale de l’affaire WE Charity.

Martin Perelmuter, qui a cofondé Speakers’ Spotlight il y a 25 ans avec sa femme Farah, affirme que son entreprise fait l’objet d’une campagne de harcèlement et que ses employés sont intimidés et menacés depuis le mois d’août.

Des députés conservateurs avaient alors appelé publiquement l’entreprise à divulguer les cachets reçus au cours des 12 dernières années par le premier ministre Justin Trudeau, sa femme, sa mère et son frère — même si cela pouvait enfreindre les lois sur la protection de la vie privée.

Dans une publication sur Facebook qui est toujours visible, la chef adjointe du Parti conservateur, Candice Bergen, a fourni un numéro de téléphone sans frais pour joindre l’entreprise et a exhorté les gens à appeler pour insister sur ce point.

Depuis, selon M. Perelmuter, son entreprise a été victime de harcèlement, de menaces personnelles et d’une campagne sur les réseaux sociaux qui, dit-il, vise à discréditer sa femme et lui et à nuire à la réputation de leur compagnie, qui était déjà en difficulté en raison de la pandémie COVID-19.

« En tant que dirigeant d’une petite entreprise, j’estime que ma première obligation est d’assurer la santé physique, émotionnelle et mentale, la sécurité et le bien-être de nos employés », a dit M. Perelmuter lundi au comité de l’éthique de la Chambre des communes.

« Pour la première fois en 25 ans de carrière, j’étais dans une situation où je n’avais pas le sentiment de pouvoir protéger correctement tout le monde de ce qui se passait. Nous avons dû demander l’aide de la police. C’était une situation vraiment désagréable. »

Des appels jour et nuit

M. Perelmuter a rapporté qu’une personne qui avait répondu à l’appel des conservateurs avait publié sur Facebook la photo et le numéro de téléphone cellulaire de sa femme, ainsi qu’une diatribe « la traitant de choses dégoûtantes et désobligeantes ».

« Et son téléphone a commencé à sonner jour et nuit avec toutes sortes de gens qui appelaient. C’était vraiment troublant. »

Visiblement ému, M. Perelmuter a dit que sa femme avait « craint pour sa sécurité pendant un moment, elle ne voulait pas quitter la maison ».

Certains de leurs 27 employés, en particulier les jeunes femmes, étaient également préoccupés par leur sécurité, a-t-il relaté.

M. Perelmuter a dit comprendre que la politique est un domaine où l’on « joue dur », mais il a souligné que son entreprise n’est pas partisane et a été injustement prise entre deux feux. Il a affirmé que Speakers’ Spotlight n’avait qu’un lien « approximatif » avec l’affaire WE Charity et n’avait rien à voir avec la bourse pour le bénévolat étudiant au cœur de la polémique.

« Je n’aurais jamais pensé que nous aurions à faire face à une telle chose. Nous ne sommes pas dans un type d’entreprise controversé. »

L’affaire WE Charity découle de la décision du gouvernement, en juin, d’accorder à cet organisme de charité un contrat de 43,5 millions de dollars pour gérer un programme de bourses pour les étudiants qui faisaient du bénévolat, malgré le fait que M. Trudeau et plusieurs membres de sa famille avaient prononcé des discours rémunérés lors de nombreux évènements de WE dans le passé. Face à la controverse, WE a renoncé au contrat, et le programme de bourses a finalement été annulé.

Dans le cadre de son enquête sur cette affaire, le comité de l’éthique des Communes a demandé à Speakers’Spotlight de lui remettre des documents relatifs aux honoraires gagnés par M. Trudeau et les membres de sa famille pour des allocutions au cours des 12 dernières années.

La société a demandé une prolongation jusqu’au 19 août pour produire les documents mais, un jour avant la date limite, Justin Trudeau a prorogé le Parlement. Cela a mis fin aux travaux du comité, dont le greffier a informé M. Perelmuter qu’il n’avait plus à soumettre les documents.

Cependant, le député conservateur Michael Barrett a envoyé la semaine suivante à l’entreprise une lettre — qui, selon M. Perelmuter, a été transmise aux médias avant qu’il ait eu la chance de la lire — lui demandant de « faire ce qu’il faut » et de remettre les documents directement aux membres du comité alors dissous.

M. Perelmuter dit que la conseillère juridique de l’entreprise l’a informé que la divulgation des documents de cette manière, sans une ordonnance du comité, violerait les lois sur la protection de la vie privée.

Le message Facebook de Mme Bergen est venu peu de temps après que M. Barrett a publié sa lettre publiquement.

L’impression d’être intimidé

M. Perelmuter dit avoir eu l’impression d’être intimidé par M. Barrett. « C’était franchement assez choquant pour moi, pour être tout à fait honnête », a-t-il déclaré lundi.

Le député Barrett a participé à l’audience du comité lundi, mais n’a pas abordé la question. Il a posé à M. Perelmuter plusieurs questions sur certaines allocutions spécifiques.

« Je suis extrêmement déçue et choquée, mais peut-être pas surprise, que M. Barrett soit présent ici et qu’il n’ait pas utilisé son temps pour présenter des excuses complètes pour ses actes », a déclaré la députée libérale Brenda Shanahan.

Elle et d’autres membres libéraux du comité se sont excusés auprès de M. Perelmuter pour ce qui s’est passé, tout comme le porte-parole néo-démocrate en matière d’éthique, Charlie Angus.

Le président du comité, le conservateur David Sweet, a conclu la réunion en présentant des « excuses sincères » au nom du comité « pour toutes les conséquences imprévues découlant des actions des membres du comité en ce qui concerne les obligations de notre bureau ».

Lorsque le comité a repris ses travaux en septembre, il a envoyé une demande plus restreinte à Speakers’ Spotlight pour obtenir les enregistrements des honoraires reçus par M. Trudeau et sa femme pour des discours. L’entreprise s’est conformée à cette demande et ces documents sont entre les mains des membres du comité depuis environ une semaine.

Personne n’a posé de question à M. Perelmuter lundi au sujet de ces documents.