Le forcené armé qui a tenu en haleine le Groupe tactique d’intervention et les négociateurs de la Sûreté du Québec pendant plus de 12 heures dans la nuit de jeudi à vendredi a diffusé une grande partie de son siège en direct sur Facebook. Malgré de nombreux signalements au cours des jours précédents, le réseau social a attendu près d’une heure pour interrompre sa vidéo live après qu’il eut brandi et chargé une arme à feu en exigeant l’annulation des restrictions entourant les célébrations de Noël.

L’homme, qui s’est finalement rendu sans opposer de résistance vers 11 h 30 « après des heures de négociation », avait annoncé ses intentions dans une première vidéo en direct vers 15 h 30. Il avait mis les policiers au défi de venir à son domicile en disant : « Je vous jure, c’est pas ma tête qui va tomber. »

De nombreux internautes suivaient activement les vidéos de cet homme depuis quelques jours. De nombreuses dénonciations ont été faites à Facebook pour rapporter ses propos hargneux et agressifs, notamment à l’endroit de François Legault et du Dr Horacio Arruda.

« Amy », une enseignante au secondaire qui nous a demandé de taire son nom par crainte de représailles des nombreux sympathisants qui suivent l’homme sur Facebook, dit avoir contacté la Sûreté du Québec jeudi après-midi pour ouvrir un dossier après avoir constaté la gravité de ses propos, dont plusieurs déclarations à saveur complotiste. « Il disait qu’il allait faire un party de 15 personnes chez lui. Il disait qu’il voulait prouver aux gens que la police ne pouvait pas rentrer chez lui », explique-t-elle.

L’homme a finalement mis ses menaces à exécution vers 19 h dans une nouvelle vidéo en direct. Fixant sa caméra, il a montré une carabine et l’a chargée, quelques secondes après avoir dit : « Si vous rentrez dans nos maisons, peut-être qu’on va rentrer dans les vôtres aussi. »

Ne défiez pas les maisons des Québécois, vous allez peut-être frapper un mur solide.

Le forcené armé de Lévis, pendant sa diffusion sur Facebook

Les policiers de Lévis ont rapidement bouclé le périmètre autour de son domicile.

« Rentrez pas icitte, vous êtes pas les bienvenus », a-t-il dit à un autre moment, carabine à la main, en se dirigeant vers la porte de son domicile.

« Ça a vraiment niaisé longtemps »

Près de 1300 personnes suivaient en direct l’évènement sur Facebook. Rapidement informé, le réseau social a longuement tardé avant de bloquer le compte du forcené. « Ça a été extrêmement long. Facebook devrait être beaucoup plus réactif. Ça a vraiment niaisé longtemps », déplore « Amy ».

Facebook affirme qu’il a un processus bien établi pour déterminer si une vidéo en direct contient une menace de suicide ou s’il s’agit plutôt de propos incitant à la violence. S’il s’agit d’une menace de suicide, Facebook « laisse le contenu en ligne afin que les réseaux de proches puissent apporter un support ». En cas de menaces violentes représentant un danger pour la sécurité publique, le contenu est immédiatement retiré.

En l’occurrence, ses équipes de vérificateurs devaient déterminer quelles actions entreprendre et évaluer si l’homme représentait un danger pour la sécurité publique, a indiqué l’entreprise par courriel.

Pendant ce temps, des dizaines d’internautes ont commenté en direct les évènements en marge de la vidéo. Certains lui proposaient de l’aide, mais d’autres dénonçaient eux aussi la « tyrannie », encourageant et félicitant l’homme pour son geste.

Le compte de l’homme a été désactivé environ une heure après le début de la diffusion.

Ce dernier a cependant ouvert un nouveau compte presque immédiatement, où il a poursuivi la diffusion auprès d’un groupe plus restreint. Facebook dit l’avoir désactivé une heure après sa création.

Un leader antimasque autorisé à négocier

Au cours de la nuit, la Sûreté du Québec a permis au leader antimasque Mario Roy d’entrer en communication au téléphone avec l’homme armé afin de tenter de négocier sa reddition. Leur discussion a été entièrement diffusée sur Facebook, sur un autre compte – possiblement un troisième créé par le forcené.

M. Roy a proposé à l’homme armé d’entrer en contact avec le psychiatre Pierre Mailloux (le doc Mailloux) pour lui faire passer une évaluation psychiatrique et lui éviter de se faire « bourrer de pilules ». « De la manière que je vois ça, ils vont se servir de toi, peut-être comme martyr. Ils vont dire [que tu es] un complotiste, que t’es extrémiste », lui a dit le leader du mouvement antimasque. « Sors paisiblement, tu vas avoir un méchant impact dans un mois d’ici. »

« Si tu veux un vrai impact, c’est comme ça [qu’il faut que ça se passe] », lui a dit M. Roy.

Plus tôt dans la journée, Mario Roy venait lui-même de se faire imposer une injonction interlocutoire et provisoire par la Cour supérieure du Québec, à la demande du Procureur général, pour des propos « injurieux de nature à déconsidérer l’administration de la justice » et pour avoir diffusé illégalement sur Facebook une audience en Cour d’appel du Québec dans une affaire d’outrage au tribunal dont il a été déclaré coupable. Le compte Facebook de M. Roy a été suspendu plus tôt cette semaine par le réseau social, notamment en raison des propos très agressifs qu’il a tenus à l’égard de plusieurs avocats et du ministère de la Justice.

M. Roy accuse lui-même François Legault et Horacio Arruda de « haute trahison » dans une plainte privée qu’il a déposée en septembre devant l’Assemblée nationale.

C’est M. Roy qui s’est rendu de son propre chef sur les lieux du siège. La SQ dit avoir « pris tous les moyens » pour tenter de raisonner l’homme armé. Le cabinet du ministère de la Sécurité publique, pour sa part, n’a pas voulu commenter le fait que M. Roy a été utilisé comme négociateur, affirmant que la ministre ne s’immisce pas dans les interventions policières. Le ministère de la Justice n’a pas voulu commenter l’affaire non plus.

En début de matinée vendredi, un mot-clic utilisant le nom de l’homme armé a fait son apparition sur le réseau social. Des utilisateurs y glorifiaient le geste de l’homme. Facebook semble l’avoir supprimé, avec tous les commentaires qui y étaient associés.

— Avec la collaboration de Gabriel Béland, La Presse