Le MTQ est sur le point de donner son aval à l’ouverture d’un sentier de motoneige de 9 km aménagé dans son emprise, le long de la 117, entre Saint-Faustin–Lac-Carré et Mont-Tremblant. Un sentier réalisé au coût de 3 millions de dollars.
Si Claude Armstrong est sûr d’une chose, c’est qu’il va y avoir des morts sur le nouveau sentier de motoneige qui passe devant sa maison, sur le bord de la route 117, dans les Laurentides.
Je vous garantis qu’il va y avoir des morts.
Claude Armstrong
« Je ne veux pas être pessimiste, mais c’est ça pareil, lance-t-il. Si j’ai le choix entre me faire rentrer dans le derrière à 90 km/h ou rentrer dans une motoneige, je vais choisir la motoneige. »
M. Armstrong habite avec sa femme, Guylaine Parent, à Saint-Faustin–Lac-Carré, à la limite de Mont-Tremblant. Sa maison peut être aperçue en roulant sur la 117 vers le nord, juste après le Go-Kart Emond et le Motel Tremblant. Elle est encore plus facile à voir depuis que le ministère des Transports du Québec (MTQ) a fait couper les arbres qui la protégeaient un peu du bruit des autos et des camions, et de leurs phares la nuit.
Mais ce n’est rien en comparaison avec ce qui s’en vient.
Deux poids, deux mesures
Le nouveau sentier vise à restaurer la continuité du réseau des pistes de motoneige du Québec, rompu par un jugement de la Cour supérieure, en 2004. En interdisant le passage des motoneiges sur un tronçon du parc linéaire du P’tit Train du Nord, entre Saint-Faustin et Labelle, ce jugement a eu pour effet de couper en deux le réseau et d’empêcher le passage des motoneiges de l’est à l’ouest du territoire québécois. Cela nuit à la pratique de cette activité, dont de nombreux adeptes apprécient les longs trajets. Cela nuit aussi à son potentiel touristique, notamment chez les clientèles ontariennes et européennes.
Le MTQ a confié la maîtrise d’œuvre de la piste au Club de motoneige Diable et Rouge, organisme sans but lucratif. « En ce qui me concerne et en ce qui concerne le club, le sentier est terminé, affirme son président, Roland Leroy. La signalisation est posée. On n’attend plus que le OK de monsieur le ministre Bonnardel. Nous autres, on pense qu’il n’y a aucun problème de sécurité. Les travaux qui devaient être faits ont été faits. »
Si l’objectif est louable, la piste proposée pose deux problèmes. D’abord, le bien-être des riverains, qui seront affectés par le passage de motoneiges bruyantes qu’on compte par centaines, certains jours de week-end. Ensuite, la sécurité, parce que l’entrée de plusieurs maisons donne sur la route 117 et que pour accéder en auto à leur résidence, les citoyens devront traverser le sentier de motoneige.
Le nouveau tronçon de 9 km devait ouvrir l’hiver dernier. Mais le MTQ a décidé de surseoir à cette décision parce que des riverains se sont plaints de ne pas avoir été consultés. Des correctifs devaient aussi être apportés au tracé pour le mettre aux normes.
« Ça ne tient pas debout »
M. Armstrong n’est pas le seul à trouver que ce projet n’a pas « de bon sens ». Sa femme Guylaine Parent et son beau-père Guy Parent s’y opposent. Sa fille Annie-Claude et la cousine de sa femme, Francine Tremblay, aussi. Ils habitent tous sur la 117, les uns à côté des autres.
Guy Parent a appris l’existence du nouveau sentier de motoneige quand un tracteur a commencé à pousser de la terre devant sa maison, à l’été 2019.
Ça ne tient pas debout, c’est trop dangereux.
Guy Parent
Pour sa part, Hélène Turgeon demeure à une minute en voiture, sur le chemin Maisonneuve.
« Ce n’est pas sécuritaire pour les automobilistes, ce n’est pas sécuritaire pour les motoneigistes, et ce n’est pas sécuritaire pour nous, les résidants, ajoute-elle. Les gens qui vont monter dans le Nord le soir vont avoir des phares d’autos dans la face pendant des kilomètres et des kilomètres parce que ça va être bidirectionnel, cette mosusse de piste de motoneige-là. Ça n’est pas intelligent. »
J’ai peur d’avoir un accrochage.
Hélène Turgeon
Nadine Dumas est sur le chemin de la Pisciculture, à Saint-Faustin–Lac-Carré, 2,5 km plus loin. La nouvelle piste de motoneige passe dans sa cour.
L’an dernier, c’est elle qui a provoqué l’arrêt du chantier en déposant une plainte au MTQ et une autre à l’Ordre des ingénieurs parce qu’on avait oublié de lui demander son consentement. Plusieurs des arbres matures qui lui faisaient de l’ombre et la protégeaient du bruit de la 117 ont été coupés sans qu’on la prévienne.
Ils ont fait des erreurs monumentales et je n’ai pas à les subir.
Nadine Dumas
Vingt-quatre résidants ont signé une lettre qu’a fait circuler Mme Turgeon pour demander l’arrêt du projet dans sa forme actuelle. Plusieurs ont écrit au ministre des Transports, François Bonnardel, à la députée de Labelle, Chantal Jeannotte, et au maire de Mont-Tremblant, Luc Brisebois, dans l’espoir d’empêcher son ouverture.
« Le MTQ se préoccupe plus des batraciens et des milieux humides que des humains, déplore Claude Lamoureux, mari de Mme Turgeon. C’est comme si les humains ne faisaient pas partie du royaume. »
Mais 24 citoyens, c’est peu. En janvier 2002, ils étaient plus de 1000 à faire une demande en action collective, assortie d’une demande en injonction, pour faire fermer le sentier de motoneige sur le parc linéaire du P’tit Train du Nord, entre Saint-Faustin et Labelle.
La juge Hélène Langlois, de la Cour supérieure, leur a donné raison en novembre 2004. Elle a du même coup condamné le gouvernement et la MRC des Laurentides à verser 1200 $ par année aux résidants vivant à 100 mètres ou moins du parc linéaire, en compensation des inconvénients subis pendant les sept saisons où la circulation des motoneiges était autorisée, entre 1997 et 2004.
L’emprise du MTQ
Paradoxalement, le nouveau sentier fera subir aux résidants des inconvénients bien plus marqués que ceux qui ont été sanctionnés par ce jugement. La raison en est que le ministère des Transports a le droit de procéder ainsi parce que la nouvelle piste est sur son emprise.
« Le fait que le sentier passe sur l’emprise, aux abords de la route 117, ça fait une différence, dans le sens où le Ministère doit avoir accès à cette emprise-là de toute façon, que ce soit pour déneiger la route 117 ou pour faire différents travaux », explique la porte-parole du MTQ, Nathalie Nolin.
« Donc, les gens qui habitent à proximité ne peuvent pas contester, dans le fond, des interventions sur l’emprise du MTQ. »
Chez Claude Armstrong et Guylaine Parent, le sentier passe à 13,75 m du salon. Il est aussi tout près de chez Isabelle Casault, à Saint-Faustin–Lac-Carré, qui n’a jamais été consultée.
Le MTQ dit que le bord du chemin lui appartient. Mais ça passe quand même dans ma cour. Ça va être super dangereux. Et ici, en plus, c’est déjà très dangereux. J’ai souvent vu des accidents.
Isabelle Casault
Sa voisine Isabelle Grand-Maison, à qui on n’a pas demandé son consentement non plus, évalue la distance entre la piste de motoneige et sa maison à six mètres. « Il va y avoir des morts si des Ski-Doo traversent ici », jure-t-elle.
Le 4 novembre, le MTQ a effectué une inspection du sentier et exigé des travaux additionnels. Mais, « selon une autre analyse qui va confirmer que tout est conforme, ça serait effectivement possible que le sentier puisse être ouvert cette année », confirme la porte-parole du MTQ, qui ajoute qu’une limite de 10 km/h sera imposée par endroits sur la piste.
Acceptabilité sociale du projet
Le maire de Mont-Tremblant, Luc Brisebois, sans s’opposer, n’est pas enthousiaste. Il a demandé de rencontrer le ministre François Bonnardel pour lui faire part de ses préoccupations.
« Ils sont chez eux, dit-il en parlant du MTQ. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Ce que je trouve triste, c’est qu’il y a un aspect sécurité. Il me semble qu’on pourrait se soucier un peu de nos gens. Moi, c’est tout mon monde. »
Je ne suis pas contre la piste de motoneige. Mais je vais essayer de trouver des solutions pour que les gens soient heureux.
Luc Brisebois, maire de Mont-Tremblant
Pour ce qui est de l’acceptabilité sociale du projet, la porte-parole du Ministère souligne qu’il faut aussi tenir compte des motoneigistes.
« L’acceptabilité sociale, ce n’est pas juste pour les résidants, explique Nathalie Nolin. C’est aussi pour les motoneigistes qui souhaitent pratiquer leur sport. Il y a différents groupes, aussi, qui sont pour. Il faut regarder l’ensemble des besoins et des orientations liées à ça. »
Selon le président du Club de motoneige Diable et Rouge, Roland Leroy, « des gens qui ne sont pas contents, il y en aura toujours ».
Beaucoup croient, néanmoins, qu’il aurait été préférable que le sentier longe la 117 du côté sud ou, mieux encore, qu’il passe dans le terre-plein, au centre. Mais ces deux solutions, envisagées par le MTQ, auraient coûté beaucoup plus cher.
Chronologie des évènements
JANVIER 1989
La MRC des Laurentides transforme la voie ferrée entre Saint-Jérôme et Mont-Laurier en parc linéaire.
JANVIER 1997
La MRC y autorise la circulation des motoneiges l’hiver.
NOVEMBRE 1997
La Coalition pour la protection de l’environnement du parc linéaire du P’tit Train du Nord voit le jour.
JANVIER 2002
La Cour autorise la demande en action collective de la Coalition, assortie d’une demande en injonction pour faire fermer la piste. En 2000, les premiers relevés font état de 523 à 874 motoneiges par jour le samedi, de 427 à 567 le dimanche.
NOVEMBRE 2004
La juge Hélène Langlois, de la Cour supérieure, ordonne la fermeture du parc linéaire aux motoneiges et le versement d’indemnités aux riverains du sentier de motoneige.
DÉCEMBRE 2004
Le gouvernement adopte une loi spéciale interdisant aux riverains des sentiers de motoneiges d’entamer des poursuites en raison des inconvénients liés. Il porte la décision de la juge Langlois en appel.
JUILLET 2009
La demande en appel est abandonnée.
DÉCEMBRE 2017
Québec annonce la construction du sentier de motoneige de 9 km entre Saint-Faustin–Lac-Carré et Mont-Tremblant. Il donne le mandat de réaliser les travaux au Club de motoneige Diable et Rouge.
AOÛT 2019
Début du chantier de construction.
DÉCEMBRE 2019
L’ouverture du sentier est reportée d’un an. Un groupe de travail, réunissant des élus, des résidants, des représentants du ministère des Transports du Québec (MTQ) et de la Fédération des clubs de motoneigistes du Québec, est créé pour coordonner les prochaines étapes.
La motoneige en chiffres
3,27 milliards
Retombées économiques générées par la motoneige au Québec
14 000
Nombre d’emplois liés à la motoneige
33 000
Nombre de kilomètres de sentiers de motoneige balisés, interconnectés et entretenus par des bénévoles
30 000
Nombre de touristes hors Québec
207 991
Nombre de motoneiges en circulation dans la province en 2019
200
Nombre de clubs de motoneigistes regroupés au sein de la Fédération des clubs de motoneigistes du Québec (FCMQ)
330
Coût d’accès aux sentiers pour la saison 2020-2021 avant le 9 décembre. Cette somme passe à 420 $ après le 9 décembre.
Sources : gouvernement du Québec et FCMQ