Mélanie Joly a eu une dure semaine. Elle a été prise dans le tourbillon engendré par les propos de sa collègue Emmanuella Lampropoulos, qui a maladroitement émis des doutes quant au déclin du français au Québec.

Cette histoire a connu son aboutissement jeudi soir, après la démission de la députée de Saint-Laurent du Comité permanent des langues officielles. Le commentaire gauche de Mme Lampropoulos suivait un gazouillis de la présidente du Parti libéral du Canada, Chelsea Craig, qui a jugé que la loi 101 était « oppressive ».

« Oui, ce fut une grosse semaine, m’a confié Mélanie Joly. Mais disons que depuis quelques mois, ce sont toutes de grosses semaines. Et puis, ce n’est pas ma première tempête médiatique. La dernière a été tellement grande [son départ de Patrimoine canadien] que j’ai dû faire un travail d’introspection. J’aborde les choses avec une plus grande humilité. »

On a de Mélanie Joly l’image d’une femme posée, toujours aimable, généreuse en distribution de sourires. Mais quand arrive ce genre de dérapage, est-elle capable d’exprimer sa rage ? « Oh ! Ça arrive très souvent que je sorte de mes gonds, dit-elle en riant. Mais je demeure toujours respectueuse. J’ai hérité ça de mon père. L’avocate en moi m’aide à faire part de mes opinions avec fermeté, mais aussi avec tact. »

J’ai rencontré Mélanie Joly vendredi matin, dans son bureau un peu morne de la place D’Youville, à Montréal. On retrouve à un même étage plusieurs pièces que les ministres et employés du fédéral occupent lors de leur passage dans la métropole.

Café à la main, elle est entrée en trombe dans la pièce. Elle avait visiblement envie de parler de la protection de la langue française, un sujet qui prend beaucoup de son temps depuis qu’elle s’est attelée à moderniser la Loi sur les langues officielles.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LAPRESSE

Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles

La question de la langue au Québec est fondamentale. Et on doit tout faire pour la protéger. C’est comme cela qu’on doit progresser comme société. Il faut sans cesse se rappeler que nous sommes des francophones en Amérique et que, par conséquent, on est en mode survie.

Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles

Mélanie Joly a lu la chronique dans laquelle je racontais l’histoire de cette note rédigée en français et affichée dans les ascenseurs d’un immeuble de Cartierville qui a suscité l’ire de quelques visiteurs anglophones. Je concluais en disant que j’avais l’impression que nous étions à un cheveu de vivre une nouvelle crise linguistique.

« Je suis entièrement d’accord avec vous, dit Mélanie Joly. Je l’ai d’ailleurs dit à mon équipe. Je sens que nous sommes au bord d’une crise. On vit une période anxiogène, les citoyens sont tannés d’entendre les politiciens parler sans cesse de la COVID-19. Il y a de l’angoisse dans l’air. Mais sincèrement, on n’a pas besoin d’une crise linguistique en plus. Il faut garder le cap. »

Une loi plus proche du Québec

Mélanie Joly et Justin Trudeau ont eu plusieurs rencontres afin de préparer la réforme de la Loi sur les langues officielles dont les bases remontent à 1969 sous le premier gouvernement de Pierre Elliott Trudeau.

La loi 101 ayant par la suite fait son œuvre au Québec, la Loi sur les langues officielles est devenue au fil du temps un outil de protection concernant surtout les minorités francophones à l’extérieur du Québec ainsi que la minorité anglophone au Québec. La réforme, qui en est actuellement au stade de la rédaction, va davantage englober les réalités du Québec. « En tant que Québécoise de Montréal, cet aspect est mon objectif premier », affirme Mélanie Joly.

Cette nouvelle mouture de la loi devra tenir compte des réalités du XXIe siècle.

Cinquante ans plus tard, les choses ont changé. Il y a de nouvelles menaces qui émergent. Il n’y a pas d’égalité entre les deux langues officielles. Nous avons une obligation comme gouvernement d’en faire plus pour protéger le français.

Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles

La nouvelle loi va attaquer de front la question du commerce international qui est largement dominé par l’usage de l’anglais. Elle va aussi sérieusement se préoccuper de la question de la francisation partout au pays. Un autre aspect touchera l’univers du numérique afin de mieux protéger les institutions culturelles.

Deux réformes en même temps

Alors que le fédéral travaille activement à ce chantier, le gouvernement de François Legault promet un plan d’action robuste pour solidifier les remparts autour de la langue française au Québec. Le ministre Simon Jolin-Barrette est le maître d’œuvre de ce plan qui sera dévoilé, selon toute vraisemblance, après le temps des Fêtes.

Ces deux réformes qui devraient voir le jour presque en même temps sont-elles menées en vase clos ? « Pas du tout, dit Mélanie Joly. Je parle régulièrement à Simon Jolin-Barrette. Tout comme je le fais avec Pierre Fitzgibbon. C’est comme ça que je fais de la politique. Je parle au monde. »

Simon Jolin-Barrette a comme objectif d’assujettir les entreprises de compétence fédérale à la loi 101. Mélanie Joly trouve-t-elle que le fringant ministre vient jouer dans ses plates-bandes ? « Je vais attendre de voir ce qu’il va proposer, se contente-t-elle de dire. Là où on s’entend, c’est qu’il ne faut pas raviver les tensions linguistiques. Le but n’est pas de retirer des droits aux anglophones. Le but est de renforcer la protection du français. »

Répondre aux attentes des francophones du Québec et du reste du Canada sans s’aliéner une part de l’électorat anglophone, tel est le défi auquel fait face le PLC. Mélanie Joly croit que cela est possible. « On ne peut pas nier le recul du français », dit-elle.

« Les conservateurs n’ont aucune crédibilité »

Les déclarations et gazouillis des derniers jours ont procuré des munitions en or aux partis de l’opposition, le Parti conservateur en tête. En guise de réplique, Mélanie Joly rappelle dans quel contexte le PLC a repris le pouvoir en 2015. « Nous sommes arrivés après dix années de guerre contre la culture et les minorités linguistiques sous les conservateurs. Souvenez-vous comment le financement de Radio-Canada a pris beaucoup de place lors de notre arrivée. »

Ce sont ces mêmes conservateurs qui tirent à boulets rouges depuis quelques jours sur le PLC afin d’exprimer leur intérêt pour la défense du français au Québec.

Ça me fait rire ! Les conservateurs n’ont aucune crédibilité en matière de langues officielles. C’est un parti qui a un legs, que ça soit dans les coupes dans les services aux francophones ou dans les institutions hospitalières ou scolaires francophones. La réalité, c’est que ce parti ne veut pas reconnaître les droits des francophones.

Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles

Cela dit, en prenant du recul, Mélanie Joly voit d’un bon œil cet intérêt pour la protection du français de la part des partis de l’opposition. « Comme ministre des Langues officielles, ça m’aide. En tant que gouvernement minoritaire, nous avons besoin de l’appui des oppositions. »

Non à la mairie de Montréal

Cette rencontre fut une bonne occasion d’aborder le sujet des prochaines élections municipales à Montréal. Un sondage Léger récemment publié dans Le Journal de Montréal proposait aux répondants une sélection de candidats potentiels pour affronter Valérie Plante en novembre 2021. Mélanie Joly arrivait deuxième, après Denis Coderre.

La première concernée a commencé par évoquer son attachement à Montréal et à sa circonscription d’Ahuntsic-Cartierville, mais sa réponse fut limpide et incisive : « Je ne suis pas intéressée. Je suis complètement prise par mon dossier des langues officielles. »

Je lui ai confié que des taupes m’ont écrit il y a quelques semaines pour me dire qu’elle avait été vue dans un restaurant en compagnie d’Isabelle Hudon, ambassadrice du Canada en France. Cette dernière fait également partie des figures que certains souhaiteraient voir à la mairie de Montréal.

« Ah oui, on vous a rapporté ça ? Isabelle et moi, on se connaît bien. On se voit et on échange sur plein de choses. Il faudrait lui poser la question, mais je ne crois pas que la mairie l’intéresse non plus. »

Mélanie Joly admet qu’elle a reçu de nombreuses propositions au cours des derniers mois. Un vrai changement pour Montréal aurait souhaité qu’elle reprenne les rênes de son ancien parti. « Il y a eu plusieurs approches, dit-elle. Mais j’ai décidé que la cause de Montréal, je vais la défendre en tant que ministre du Développement économique. Il faut accompagner la métropole pour qu’elle puisse se sortir de la crise dans laquelle elle est plongée. »