Un an et demi après l’affaire Louis Robert, le gouvernement Legault présente sa réplique dans le dossier des pesticides. La Presse a appris qu’au cours des cinq prochaines années, une somme de 70 millions serait consacrée à la rétribution des producteurs qui adoptent des pratiques agroenvironnementales qui vont au-delà des exigences réglementaires en place.

L’approche consistant à récompenser financièrement les bons élèves est la pierre d’assise du Plan d’agriculture durable 2020-2030, qui sera dévoilé publiquement jeudi après-midi.

Ce plan vert agricole se veut la réponse du ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, aux enjeux soulevés il y a un an lors de la commission parlementaire sur les pesticides. Cet exercice avait été déclenché dans la foulée de la controverse créée par le congédiement du lanceur d’alerte Louis Robert, cet agronome du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) qui avait dénoncé l’ingérence du privé dans la recherche publique sur les pesticides.

Doté d’un budget de 125 millions sur cinq ans, l’objectif premier du plan est de réduire à la fois l’usage et les risques des pesticides, peut-on lire dans un résumé interne du gouvernement qui résume les grandes orientations du plan et que La Presse a obtenu.

À terme, Québec souhaite ainsi faire chuter de 15 % le volume de pesticides vendus à l’échelle de la province.

En moyenne chaque année, environ 3,3 millions de kilogrammes d’ingrédients actifs (le pesticide à l’état brut) sont vendus au Québec. Le plan vise une réduction de 500 000 kilogrammes d’ingrédients actifs vendus.

Le gouvernement souhaite par ailleurs diminuer de 40 % l’indice qui chiffre les risques théoriques des pesticides sur la santé et l’environnement. Ce calcul complexe est réalisé chaque année par le ministère de l’Environnement à partir de variables comme la toxicité des produits, les superficies traitées et les statistiques de ventes.

Une première

En mettant sur pied des mesures de rétribution, Québec veut reconnaître l’effort des producteurs agricoles qui adoptent des pratiques répondant aux attentes des citoyens en matière d’environnement.

C’est la première fois qu’un tel mécanisme de compensation financière est mis en place, peut-on lire dans la note interne du gouvernement.

L’objectif est de commencer par tester le mécanisme de rétribution dans le cadre d’un projet pilote l’été prochain pour une entrée en vigueur à l’échelle de la province à l’été 2022.

Plus de 75 agronomes et ingénieurs agricoles auront comme mission première d’accompagner les agriculteurs sur le terrain pour les aider à mettre en œuvre des mesures du plan.

Quel genre de mesures seraient récompensées ?

Le MAPAQ a pour objectif de doubler la superficie des bandes riveraines élargies et des haies brise-vent.

La bande riveraine est le gardien de but de l’agriculture. Cette zone tampon entre le champ et le plan d’eau a un autre avantage bien documenté : elle permet de freiner une partie des substances chimiques lessivées des terres agricoles par la pluie. Et en période d’arrosage, elle agit comme écran physique aux nuages de gouttelettes de pesticides pulvérisés sur les champs.

Légalement, elle doit être d’une largeur de trois mètres. Toutefois, les spécialistes s’entendent sur le fait qu’une bande élargie de cinq à dix mètres serait toutefois « idéale ».

Au Québec, de nombreuses études ont montré que plusieurs cours d’eau agricoles présentaient des concentrations de pesticides à des niveaux qui menacent la survie d’espèces aquatiques vulnérables.

Les haies brise-vent permettent quant à elles de freiner l’érosion des sols causée par le vent. Elles peuvent aussi servir d’outil pour séquestrer le carbone, un atout dans la lutte contre les changements climatiques.

Indépendance de la recherche

L’agronome Louis Robert a servi de source journalistique confidentielle dans un reportage de Radio-Canada qui dénonçait un conflit au Centre de recherche sur les grains (CEROM), société à but non lucratif financée à 68 % par le MAPAQ.

Selon Radio-Canada et Le Devoir, des membres du conseil d’administration du CEROM auraient fait connaître aux chercheurs leurs positions favorables à l’épandage des pesticides, au point de s’ingérer dans les travaux de recherche et même d’entraver leur publication.

La question de l’indépendance de la recherche a été au cœur de la commission parlementaire sur les pesticides.

En réponse à cet enjeu, Québec investira 30 millions pour établir un partenariat de recherche sous la responsabilité du Scientifique en chef du Québec et du Fonds de recherche du Québec. Son mandat sera de fédérer l’ensemble des acteurs qui œuvrent dans la recherche portant sur l’agriculture durable.

Pas juste les pesticides

Santé des sols

Le plan s’attaque aussi à la santé des sols et des cours d’eau. Il vise à réduire de 15 % la concentration totale en phosphore dans les cours d’eau de la province. Dans dix ans, le MAPAQ vise à ce que 75 % des champs soient recouverts en hiver par des cultures ou des résidus de culture et à ce que 85 % des sols agricoles présentent une proportion de matière organique de 4 % et plus.

Engrais chimiques

Un autre objectif du plan est de réduire de 15 % les apports de matières fertilisantes azotées sur les superficies en culture. À travers un processus appelé dénitrification, l’azote peut se libérer d’un champ sous forme gazeuse et augmenter les émissions de GES. Bien que nécessaires pour la croissance des plantes, le phosphore et l’azote peuvent aussi causer l’eutrophisation des cours d’eau si leurs concentrations sont trop élevées.

Formation continue

Afin d’aider les agriculteurs à parfaire leurs connaissances, un investissement de 25 millions dans un programme de formation continue sera effectué. C’est l’Institut de technologie agroalimentaire qui sera chargé de le mettre en œuvre dans toutes les régions du Québec. Le MAPAQ mise notamment sur l’acquisition de connaissances dans l’agriculture dite numérique et de précision. La technologie permet par exemple de mieux calculer les quantités d’engrais et de pesticides utilisés.