L’inquiétude règne alors que Québec s’apprête à dévoiler sa mise à jour du régime forestier, qui encadre la gestion et la protection de la forêt publique. De nombreux acteurs du secteur craignent un recul et des changements taillés sur mesure pour les industriels, au détriment des autres usagers de la forêt québécoise. Le gouvernement se veut rassurant et promet une annonce qui satisfera l’ensemble du milieu.

Prévisibilité. Le mot est sur toutes les lèvres, dans l’industrie forestière.

Les exploitants forestiers réclament depuis longtemps que leurs territoires de coupe leur soient attribués pour plusieurs années, plutôt que pour un an, afin de pouvoir mieux planifier leurs activités et gagner en stabilité.

En campagne électorale, en 2018, le chef caquiste François Legault s’était engagé à revoir le régime forestier en ce sens, une promesse qu’il a réitérée l’été dernier, à titre de premier ministre.

Or, cette révision du régime forestier se fait « derrière des portes closes », déplorent quatre ingénieurs forestiers renommés dans une lettre ouverte publiée ce vendredi dans La Presse.

Le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, « semble avoir bien entendu les doléances de l’industrie », mais pas celles des autres usagers de la forêt, déplorent les signataires, pour qui cette absence de consultation est de fort mauvais augure.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Dufour, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs

Une réforme à l’aveugle

Les signataires de la lettre croient eux aussi qu’il faut améliorer la prévisibilité dans le régime forestier, mais en tenant compte de l’ensemble des usagers de la forêt.

« Les éléments de prévisibilité, c’est aussi l’acceptabilité sociale, savoir où seront les aires protégées, quels seront les impacts sur le caribou forestier, quels seront les nouveaux rendements de la forêt », énumère Gérard Szaraz, en entrevue avec La Presse.

Or, le gouvernement navigue à l’aveugle, estime celui qui a été forestier en chef du Québec de 2010 à 2015 et secrétaire général de la commission Coulombe sur la gestion de la forêt publique québécoise, puisque le premier bilan sur l’état des forêts depuis la refonte du régime forestier, en 2013, se fait toujours attendre, alors qu’il devait être déposé en 2019.

« Le bilan devrait être la source des éléments qu’on met en avant dans la refonte », dit-il, ajoutant que le plan de redressement du caribou forestier n’est toujours pas prêt, lui non plus.

« Je vois mal comment on va pouvoir faire face à cet enjeu [de prévisibilité] sans regarder l’ensemble des facteurs », constate Gérard Szaraz.

L’ingénieure forestière Marie-Ève Desmarais, cosignataire de la lettre, craint que la réforme ne soit taillée sur mesure pour les multinationales de l’industrie.

« Ce qu’on craint, c’est que le gouvernement recule sur les acquis qu’on a dans le régime actuel en matière d’environnement et sur le plan social et qu’on bafoue la forêt au bénéfice de la production de bois », a-t-elle expliqué en entrevue avec La Presse.

La forêt, elle vaut quelque chose sur pied aussi.

Marie-Ève Desmarais, ingénieure forestière

Concernés, mais peu consultés

Une multitude d’acteurs du secteur forestier joints par La Presse depuis une semaine disent ne pas avoir été consultés par Québec sur les modifications à apporter au régime forestier, y compris certains exploitants forestiers.

Le président de la Fédération québécoise des coopératives forestières, Stéphane Gagnon, déplore de ne pas avoir été contacté par le Ministère.

« On ne parle pas de nous pour la relance de l’économie des régions », lance-t-il, rappelant que 60 000 emplois directs sont liés à l’industrie forestière.

Même son de cloche au Regroupement des communautés forestières de la Fédération québécoise des municipalités, dont le président, Luc Simard, s’attendait à « un certain niveau de consultation ».

Ces autres usagers de la forêt sont nombreux à déclarer qu’ils n’ont pas pu exprimer leurs attentes au gouvernement.

« On reçoit tellement peu d’information en ce moment », a déclaré à La Presse le vice-président de l’Association des parcs régionaux du Québec, David Lapointe.

« Les enjeux reliés aux coupes sont assez persistants dans nos parcs », dont 11 sont situés sur des terres publiques, explique-t-il.

Le plein air est en plein essor, ça représente des retombées intéressantes pour le Québec. […] Il faut y aller avec délicatesse et pas juste penser industrie, industrie, industrie.

David Lapointe, Association des parcs régionaux du Québec

Quelques voix entendues

Seul le Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ), qui représente les entreprises de sciage, de pâtes et papiers ainsi que les fabricants de bois d’ingénierie, a affirmé à La Presse avoir pu s’exprimer sur la révision à venir.

« C’est clair qu’on a été consultés », a déclaré son président, Jean-François Samray, au cours d’un entretien téléphonique, ajoutant qu’il serait extrêmement « surpris que seule l’industrie [l’] ait été ».

Une amélioration de la prévisibilité donnerait à l’industrie « une vision sur le moyen et long terme » pour qu’elle puisse faire les investissements qui lui permettront d’améliorer sa compétitivité et ses techniques de production, explique M. Samray.

Cette prévisibilité est également « fondamentale » pour l’acceptabilité sociale, ajoute-t-il, puisqu’elle permet d’entreprendre plus tôt les discussions avec les autres usagers de la forêt.

De son côté, la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ) dit ne pas avoir été consultée non plus, mais affirme avoir généralement « une belle écoute » de la part du gouvernement.

« On a à cœur le maintien des habitats fauniques, comme celui de l’orignal [ainsi que celui] de la qualité des paysages », souligne le porte-parole de l’organisation, Simon Boivin.

La Fédération des pourvoiries du Québec dit avoir pu s’exprimer, mais n’a pas l’impression d’avoir été écoutée, a déclaré à La Presse son président, Bruno Caron.

« Dans beaucoup de régions, on est le deuxième employeur, le deuxième créateur de richesse, mais on n’est pas considérés », regrette-t-il, déplorant que son organisation soit généralement consultée « plus loin dans la chaîne de planification ».

L’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador a pour sa part indiqué à La Presse ne pas avoir le temps d’accorder une entrevue sur la question.

Qu’est-ce que le régime forestier ?

L’ensemble de lois et de règlements qui assurent la gestion, la protection et le renouvellement des forêts constitue le régime forestier. Le régime actuel est entré en vigueur en 2013 avec l’adoption de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier. Il est le fruit de plusieurs années de préparation et de consultations, entamées dans la foulée de la commission Coulombe sur la gestion de la forêt publique québécoise, elle-même mise sur pied après l’électrochoc que fut le documentaire L’erreur boréale. La loi doit notamment assurer l’approvisionnement des usines tout en préservant la pérennité du patrimoine forestier.

Ils ont dit

« [Les modifications à venir vont] rassurer à la fois les industriels et calmer les inquiétudes des groupes écologistes et des gens qui commercent aux États-Unis. [...] On ne rouvre pas la loi, on fait des modulations à la loi.  »

— Carl Charest, attaché de presse du ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour. La révision sera dévoilée à la fin d’octobre ou au début de novembre, mais elle ne prendra toutefois pas la forme d’un projet de loi

« Le mode de consultation est une balise qui indique quel sens la réforme va prendre, et là, le mode de consultation est orienté vers les gros joueurs. [...] Je crains un effondrement des règles de protection de notre patrimoine collectif qu’est la forêt québécoise. »

— Sylvain Roy, porte-parole du Parti québécois en matière de forêts, de faune et de parcs, député de Bonaventure

« C’est important qu’on ait cette discussion-là [en commission parlementaire], pas seulement en vase clos. [La révision du régime forestier] devrait être une occasion de protéger davantage et non pas de réduire les protections. »

— Ruba Ghazal, porte-parole de Québec solidaire en matière d’environnement, députée de Mercier

« On a commencé à recevoir des appels de gens du milieu qui n’ont pas de nouvelles, il y a de l’inquiétude. [...] On ne peut pas penser que juste quelques modulations, après sept ans, vont faire une grande différence. »

— Francine Charbonneau, porte-parole du Parti libéral en matière de forêts, de faune et de parcs, députée des Mille-Îles