Verna Polson ne veut pas que sa nation joue le mauvais rôle dans le conflit qui oppose les chasseurs d’orignal aux militants algonquins dans la réserve faunique La Vérendrye, au nord de Mont-Laurier.

« On ne veut pas être les méchants, lance la grande cheffe du Conseil tribal de la nation algonquine anishinabeg. On est juste là pour protéger quelque chose que les gens ont à cœur. »

Mme Polson, qui a eu une conversation avec le nouveau ministre des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, mardi matin, rappelle que les Algonquins réclament toujours un moratoire de cinq ans sur la chasse sportive dans la réserve faunique La Vérendrye pour enrayer le déclin du cheptel.

« Nous n’avons pas de date, mais ce dont nous avons discuté aujourd’hui avec le ministre, c’est d’établir un calendrier très bientôt pour avoir cette discussion ouverte », précise-t-elle.

Ce dialogue pourrait peut-être contribuer à désamorcer la crise provoquée par l’érection de barrages par des militants algonquins favorables au moratoire à l’entrée des chemins menant à la réserve La Vérendrye pour bloquer l’entrée des chasseurs. Le maintien de ces barrages, malgré une injonction de la Cour supérieure, ainsi que des actions pour nuire aux chasseurs créent de nombreuses tensions.

Le dialogue sera toutefois difficile parce que ce moratoire ne fait pas l’affaire de Pierre Dufour, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, qui s’y oppose carrément. « Ce n’est pas vrai que parce qu’une communauté arrive et dit ‟ça nous prend un moratoire” qu’on va en faire un », dit-il.

Comme ministre, je ne peux pas faire de moratoire si je n’ai pas de données factuelles qui permettent vraiment d’aller dans ce sens-là.

Pierre Dufour, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs

Un inventaire aérien réalisé par son ministère, au début de l’année, en collaboration avec cinq des sept communautés anishinabe, a permis de constater une baisse de la population d’orignaux.

« On s’aperçoit que le cheptel a diminué un peu, reconnaît M. Dufour. Mais, statistiquement parlant, le cheptel n’a pas diminué en deçà des référents scientifiques qui nous disent qu’il est en danger. On sait qu’on a un total de 2400 orignaux dans la réserve faunique La Vérendrye, scientifiquement confirmé. En plus, on sait que 90 orignaux ont été tués l’année dernière par des chasseurs sportifs. »

Quant au nombre de bêtes abattues par des autochtones sur ce territoire de 12 000 km2, il serait d’environ 240 par année, selon les chiffres du Ministère. « Les Algonquins contestent ces chiffres, disent qu’ils ne sont pas recevables. C’est très difficile de participer à une négociation quand les gens ne veulent pas confirmer certains chiffres qui, pourtant, devraient être reconnus comme étant scientifiques », ajoute le ministre.

Points de vue

Le dialogue sera d’autant plus difficile que les points de vue de chacun reposent sur des schémas de référence différents. Face aux arguments de la science, ceux des autochtones reposent davantage sur l’expérience.

« C’est parce que notre peuple avait remarqué depuis des années, des décennies, le déclin de l’orignal », fait savoir la grande cheffe Polson.

Et ce n’est pas seulement la chasse sportive qui cause ce déclin. C’est économique : la foresterie, l’activité minière, et tout ce qui se passe sur le territoire.

Verna Polson, grande cheffe du Conseil tribal de la nation algonquine anishinabeg

Une autre difficulté tient à la façon dont on oppose les droits des uns et des autres. Pour les autochtones, l’orignal est un bien de subsistance pour alimenter leur famille. Pour les non-autochtones qui s’adonnent à la chasse, c’est un loisir.

« Moi, je n’ai aucun problème avec ça. Mais la minute que tu commences à brimer les droits des autres pour satisfaire tes propres droits, je pense que ce n’est pas correct », affirme M. Dufour, qui met les deux droits sur le même pied.

À la fin de septembre, le ministre a proposé aux communautés algonquines de réduire le nombre de permis de chasse à l’orignal dans la réserve faunique et d’interdire la chasse des femelles et des veaux, en 2021, dans l’espoir de dénouer la crise. En échange, il demandait la levée des barrages et la création d’un comité pour obtenir des données factuelles sur les bêtes tuées. Cette proposition a fait l’objet d’un refus. M. Dufour, également responsable des régions de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec, l’a appris dans un média local.

« Lorsque, moi, je dis aux Algonquins : “On fait des mesures, mais de votre côté, qu’est-ce que vous êtes prêts à faire ?”, ils me répondent toujours la même chose : “Nous, c’est notre garde-manger, on n’a pas d’affaire à prendre des mesures”. Mais si tu veux protéger le cheptel, je pense que tout le monde doit être mis à contribution », dit-il.