Quand un premier ministre doit réitérer sa confiance en sa ministre, c’est déjà le signe qu’elle est proche de la sortie. Alors que penser d’une ministre qui perd carrément l’appui de son patron ?

Sylvie D’Amours peut s’accrocher autant qu’elle veut à son poste, mais elle a maintenant les deux pieds dans le vide.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Sylvie D’Amours, ministre responsable des Affaires autochtones

C’était une scène étonnante et plutôt rare hier à l’Assemblée nationale. François Legault a refusé d’accorder sa confiance à sa ministre juste avant la période de questions. Quelques minutes plus tard, Mme D’Amours s’asseyait au Salon Bleu sur un siège devenu éjectable.

Ses problèmes avaient toutefois commencé bien avant la mort scandaleuse de Joyce Echaquan.

Il n’y a pas que sa réponse timide au rapport Viens. La ministre n’a pas été très visible non plus lors des récents conflits avec les Premières Nations. Lors des blocages ferroviaires l’hiver dernier, on entendait davantage le député Ian Lafrenière…

La ministre responsable des Affaires autochtones est pourtant essentielle pour sécuriser les projets de développement. On en a eu un bel exemple en août dernier quand des chefs innus et atikamekw ont menacé de bloquer la construction de la ligne New England Clean Energy Connect qui approvisionnera le Massachusetts. Un gigantesque projet aux revenus estimés à 10 milliards.

Qu’a fait Mme D’Amours ? Pas grand-chose, semble-t-il. Mercredi dernier, cinq communautés innues et atikamekw ont donc déposé une plainte au département de l’Énergie des États-Unis.

Il est vrai que ce recours arrive très tard dans l’étude du projet et le gouvernement américain ne tranchera pas en fonction des conflits internes au Québec. N’empêche que c’est de la mauvaise publicité pour Hydro-Québec qui veut devenir la « batterie du nord-est de l’Amérique ».

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Bien sûr, Mme D’Amours a le dos large… Elle ne dirige pas un ministère. Son « Secrétariat aux affaires autochtones », une instance créée en 1978, relève du premier ministre.

Le grand patron, c’est donc M. Legault. Mais le ministre responsable du dossier doit l’aider minimalement, en ne nuisant pas avec des déclarations maladroites et en parlant aux chefs pour anticiper les crises.

Les conflits avec les Premières Nations peuvent ressurgir à des endroits imprévus. Un affront comme la mort de Mme Echaquan menace de réactiver des contestations ailleurs pour des projets en cours.

Pas de paix, pas de développement.

Hydro-Québec l’a appris à la dure. À la suite de l’échec du projet Grande-Baleine au début des années 90, la société d’État a créé une division des Relations autochtones, où travaillent environ 20 personnes.

Pour rallier les Premières Nations à leurs projets, ils peuvent signer des ententes de compensation, garantir des contrats aux fournisseurs locaux ou offrir des emplois et de la formation. Mais il y a un dernier aspect qui relève du gouvernement : les revendications territoriales.

Négocier avec les Premières Nations n’est pas simple. Les interlocuteurs peuvent changer et ils sont parfois contestés au sein de leur propre communauté. Reste qu’il est possible de s’entendre, comme le démontrent par exemple le parc éolien Mesgi’g Ugju’s’n avec les Micmacs ainsi que la mine Raglan avec les Inuits.

Et parfois, c’est Québec qui bloque l’entente.

À son arrivée au pouvoir, François Legault a interrompu le projet éolien Apuiat, qui était la première initiative de développement économique menée conjointement par les neuf communautés innues.

Or, qui relance aujourd’hui la bataille contre Hydro-Québec ? Les Innus, échaudés par la suspension d’Apuiat, ainsi que les Atikamekw, en colère à cause de la mort de Joyce Echaquan.

On le voit aussi au sujet de la chasse à l’orignal dans la réserve faunique La Vérendrye. C’est à cause de la baisse du cheptel que les Algonquins veulent y réduire la chasse sportive. Mais la tension a inutilement monté d’un cran avec les autres dossiers qui traînent et se salissent.

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Hier, François Legault a promis de s’impliquer personnellement.

Sa patience réputée faible sera mise à l’épreuve par la lenteur habituelle de ces négociations. Il devra également trouver une façon de reconnaître que les Premières Nations ne subissent pas que le racisme de certains individus. Elles souffrent aussi de l’héritage de normes, de lois et d’institutions coloniales, et des préjugés qui en résultent.

Un changement de ministre offrirait une belle occasion d’ajuster le message en reconnaissant la « discrimination systémique », soit l’expression privilégiée dans le rapport de la commission Viens. Mais peu importe le terme choisi, l’important est que l’État assume sa responsabilité et s’y attaque.

Une belle fenêtre pour changer de ministre s’ouvre avec la relâche parlementaire, qui donnerait une semaine à un nouveau ministre pour apprivoiser le dossier avant le retour à l’Assemblée nationale. Il serait surprenant que M. Legault s’en prive.