Francine Bohémier et son mari ont perdu leur chien il y a quelques mois. Un vide s’est installé. Le confinement n’a fait qu’alourdir la situation. Le couple s’est mis à effectuer des recherches dans le but de trouver un nouvel animal de compagnie.

Mme Bohémier est tombée sur un site où l’on propose une foule de choses, comme des résidences pour personnes âgées, des camions 4 x 4 et des escortes trans.

Dans la section « Animaux », son regard a immédiatement été attiré par un charmant petit cocker spaniel qui était « à donner ». Elle a envoyé un courriel au donneur pour signifier son intérêt.

Quelle ne fut pas sa surprise de recevoir quelques heures plus tard une lettre qui a semé chez elle un certain doute. Après avoir précisé qu’elle était « médecin pour l’OMS », l’auteure expliquait qu’elle ne pouvait plus subvenir aux bons soins de son chien, et c’est pourquoi elle préférait l’offrir.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

« Francine Bohémier et son mari ont perdu leur chien il y a quelques mois. Un vide s’est installé. Le confinement n’a fait qu’alourdir la situation. Le couple s’est mis à effectuer des recherches dans le but de trouver un nouvel animal de compagnie », écrit notre chroniqueur.

Puis la donneuse faisait défiler les nombreuses qualités de l’animal. « Elle a seulement 3 mois et est tatouée, vaccinée et a son carnet de soins à jour. Elle est très calme, elle n’a pas peur des hommes, aime bien les enfants et accepte facilement les câlins. Elle est habituée aux jardins et aux prés. Elle adore aussi se balader. Elle a été élevée en famille avec d’autres animaux domestiques ainsi que des oiseaux. »

Un peu plus et elle ajoutait que l’adorable petit chien lavait la vaisselle et pelletait la cour lors des tempêtes de neige.

La suite devient intéressante. La propriétaire tenait à ce point au bonheur de son chien qu’elle formulait certaines demandes. « Si vous souhaitez l’adopter, promettez-moi, avant tout, qu’elle sera bien traitée et que j’aurai de ses nouvelles ainsi que de ses photos de temps en temps […] Alors, faites-moi le plaisir de me donner toutes les garanties possibles en ce qui concerne son bon suivi […] Veuillez me confirmer votre accord pour l’adoption si vous êtes intéressé(e) en remplissant le formulaire ci-après. »

On invitait ensuite Mme Bohémier à donner divers renseignements personnels la concernant (nom, adresse, téléphone, etc.). « C’est là que je me suis dit que quelque chose n’allait pas », m’a confié Francine Bohémier.

Cette professeure de poterie en a parlé à son fils Patrick, qui s’est empressé de faire une recherche comparée de la photo du chien sur Google. En quelques secondes, il a vu que le même cliché apparaissait également sur d’autres sites français et québécois.

Bref, le cocker spaniel qui faisait rêver Francine Bohémier a une renommée internationale et n’est pas du tout exclusif.

Je suis allé visiter ce site. Il est frappant de voir que les fiches sont écrites avec le même style (les mêmes fautes) et que plusieurs phrases identiques reviennent d’une description à l’autre.

Bref, nous sommes en face d’une arnaque, une de plus, qui s’ajoute aux nombreuses qui ont été créées ces derniers temps par des fraudeurs de plus en plus imaginatifs.

En mars dernier, je signais une chronique sur la prolifération des fraudes à laquelle nous assistons. Un expert disait que les auteurs profitaient des périodes difficiles (comme celle que nous vivons depuis l’apparition de la COVID-19) pour agir et faire preuve d’innovation afin de berner les citoyens.

> (Re)lisez la chronique « Les rapaces »

Presque tous les jours, on entend parler de cas de fraude. Aux nombreux dossiers de fraude liés à la PCU s’ajoutent ceux des vols d’identité pouvant servir à divers crimes. Récemment, un ami a découvert que des fraudeurs avaient utilisé son identité pour commander un téléphone cellulaire.

Les fraudeurs ont poussé l’audace jusqu’à déposer sur son palier une note destinée au livreur. « Ne sonnez pas et veuillez laisser le colis devant la porte s. v. p. » Finalement, le livreur a sonné et l’ami a pris possession du téléphone qu’il a retourné à l’entreprise qui l’avait envoyé.

L’idée de savoir que des fraudeurs surveillaient l’arrivée du livreur (ils devaient suivre l’itinéraire du colis sur le web) devant sa demeure a donné froid dans le dos à cet ami. Le policier du SPVM mis au courant de cette affaire était estomaqué. Il n’avait jamais entendu parler de ce plan invraisemblable.

« Ce qui change, c’est le caractère des scénarios, m’a expliqué le sergent Guy Paul Larocque, responsable intérimaire du Centre antifraude du Canada pour la Gendarmerie royale du Canada. Ils sont de plus en plus réalistes. Les fraudeurs se collent à notre réalité, comme la pandémie que nous vivons, pour inventer de nouveaux moyens de frauder. »

Le Centre antifraude du Canada observe une augmentation de 36 % du nombre de signalements pour les huit premiers mois de l’année 2020 par rapport à l’année dernière.

En 2020, les pertes rattachées aux fraudes (connues) ont été de 130 millions de dollars au Canada. Elles pourraient atteindre 150 millions cette année.

Le Centre antifraude a fait l’exercice de recenser les signalements de fraudes liées à la COVID-19. En date du 31 août, nous étions à 4000 signalements pour un total de 3000 victimes et de 5,6 millions de dollars de pertes financières.

Il semble qu’il est impossible de brosser le portrait précis de la victime type d’une fraude. Pour les spécialistes, cela n’a rien à voir avec l’âge, le sexe ou l’instruction. « Les fraudeurs vont à la pêche avec un filet », ajoute M. Larocque.

La fraude, contrairement à d’autres crimes, touche tout le monde. « Lors de mes présentations devant public, je demande combien de personnes ont été témoins d’une transaction de drogue ou se sont fait offrir d’acheter de la drogue dans la rue, raconte Guy Paul Larocque. Quelques mains se lèvent. Mais lorsque je demande combien de personnes ont reçu un appel, un texto ou un courriel frauduleux, c’est la quasi-totalité des gens qui répondent par l’affirmative. »

Ce climat de fraude et d’escroquerie fait grandir la paranoïa en nous. Ça, c’est l’autre problème. J’avoue que le moindre courriel ou appel téléphonique de mon institution financière ou de mon câblodistributeur éveille en moi des soupçons. C’est rendu que je fais subir à ces gens un interrogatoire serré.

Fraude financière, fraude amoureuse, fraude sociale… Y a de quoi avoir le tournis.

Au fur et à mesure que nous vivons une nouvelle réalité ou franchissons un pas de plus dans les nouvelles technologies, nous nous rendons plus vulnérables. Les experts en protection s’intéressent maintenant au télétravail (où les communications sont plus libres) et au phénomène des signatures électroniques (de plus en plus répandu).

Et vous savez quoi ? Les fraudeurs aussi s’y intéressent déjà.