(Washington) Le système continental de défense de l’Amérique du Nord est mal équipé pour faire face aux menaces du 21e siècle, a averti vendredi le directeur adjoint des opérations du NORAD, alors qu’il présentait un nouveau système d’apprentissage automatique qui peut extraire de nouvelles connaissances de la technologie existante.

Le brigadier général de l’armée de l’air américaine Peter Fesler et l’ancien commandant du NORAD qui vient tout juste de prendre sa retraite, le général Terrence O’Shaughnessy, détaillent les vertus de cet « écosystème intégré à plusieurs niveaux de défense du territoire », appelé SHIELD, dans une publication illustrant la menace que représente « l’escalade horizontale », une tactique conçue pour neutraliser les forces de défense nord-américaines avant même qu’elles puissent se mobiliser.

Plutôt que d’affronter l’armée américaine à l’étranger dans un combat inégal, ou de provoquer une attaque nucléaire américaine, des adversaires comme la Russie et la Chine travaillent activement sur des armes conventionnelles à longue portée conçues pour frapper des cibles économiques en Amérique du Nord – comme les ports et les aéroports – pour perturber d’éventuels efforts de mobilisation militaire, écrivent MM. Fesler et O’Shaughnessy dans un article publié vendredi par l’Institut du Canada du Centre Wilson.

Dans le cas de la Russie, « les bombardiers Tupolev et les sous-marins nucléaires ultra-silencieux effectuent désormais fréquemment des exercices de mission pour des frappes contre les États-Unis et le Canada », dans des zones qui vont au-delà de la couverture radar du NORAD, préviennent-ils. Et les Russes ne le font pas pour signaler leurs intentions.

« Ce n’est pas un avertissement », poursuivent-ils dans l’article. « Les opérations furtives du Kremlin sont conçues spécifiquement pour ne pas être détectées. »

Une telle stratégie exploite les « coutures » qui existent entre les différents piliers militaires du réseau de détection du NORAD, composé d’un radar d’alerte précoce qui scrute le ciel à la recherche d’avions ennemis, du système de défense antimissile balistique du Commandement Nord des États-Unis et d’un solide réseau de détection navale.

Ces piliers séparés, chacun étant conçu pour contrer une menace spécifique, ne sont pas très bien interreliés. Par exemple, le système que le NORAD utilise pour surveiller l’arrivée de missiles chinois ou russes fonctionne indépendamment du système du Commandement Nord pour surveiller une menace similaire provenant de la Corée du Nord.

Établir un « portrait opérationnel commun »

Le système SHIELD, fondé sur la haute technologie et relativement peu coûteux, permet d’analyser les données existantes et de les extrapoler dans un « portrait opérationnel commun », a déclaré M. Fesler lors d’un forum en ligne organisé vendredi par le Centre Wilson, un groupe de réflexion établi à Washington.

Le système, qui est déjà en train d’être testé pour améliorer les capacités du NORAD, peut extraire et traiter plus de données des capteurs existants que ne le font les systèmes informatiques plus anciens des années 1980, a-t-il indiqué.

« Il analyse les données à la recherche de modèles qui ne sont pas visibles aux yeux humains, aidant les décideurs à comprendre les plans d’action potentiels de l’adversaire avant qu’ils ne soient exécutés », écrivent MM. Fesler et O’Shaughnessy.

« Avec une compréhension des actions ennemies probables, cela aidera à élaborer une réponse, en évaluant le risque et les gains, en envisageant plusieurs actions futures et en permettant une supériorité décisionnelle. »

Le système n’a pas le pouvoir de prendre des décisions militaires ; il traite et interprète les données disponibles pour mieux informer les commandants qui prennent les décisions, a souligné M. Fesler. Et l’avantage de ce système, a-t-il ajouté, c’est qu’il peut utiliser l’équipement existant et aider les planificateurs militaires à prendre des décisions mieux avisées sans compromettre les capacités actuelles.

Une position plus offensive ?

À la lecture de ce document, Andrea Charron, professeure de science politique et directrice du Centre d’études en défense et en sécurité de l’Université du Manitoba, en déduit que les auteurs plaident pour que le NORAD adopte une position plus offensive.

Elle doute cependant que le Canada et les États-Unis soient sur la même longueur d’onde si la mission principale du NORAD venait à changer.

« Le Canada adhère au NORAD parce qu’il a été jusqu’à présent un commandement défensif ; le NORAD opère à l’intérieur du territoire, pas à l’extérieur », souligne-t-elle. « Ce qui est suggéré dans cet article, c’est que le NORAD ne soit plus un commandement exclusivement de défense, mais aussi un commandement offensif si nécessaire. »

Le brigadier général Fesler ne voit pas les choses de cette façon.

« Nous ne suggérons pas de mener des opérations offensives, par exemple, contre un bombardier stationné sur son aérodrome en Russie ou en Chine », affirme-t-il. « Ce dont nous parlons […] c’est d’intercepter ces bombardiers à l’approche de l’Amérique du Nord avant qu’ils ne lâchent leurs missiles de croisière. »

Un système expérimental connu sous le nom de Pathfinder démontre déjà le potentiel du SHIELD, en utilisant la puissance informatique moderne pour extraire et traiter des données auparavant inaccessibles à partir de systèmes et de capteurs existants, sans nécessiter de mises à niveau coûteuses, indique M. Fesler.

Lors d’une récente démonstration, Pathfinder s’est relié aux installations radar existantes de l’administration américaine de l’aviation civile (FAA) et a rapidement montré qu’il pouvait détecter de petits aéronefs sans pilote-ce que le système existant n’a jamais été capable de faire seul.

« Ces choses sont en cours en ce moment », a révélé M. Fesler. « Nous intégrons déjà ces éléments au système de commande et de contrôle avec lequel NORAD travaille aujourd’hui. Cela nous permet déjà d’améliorer notre connaissance du domaine et nos principales voies d’approche. »