(Montréal) Les supermarchés et les firmes alimentaires déploient de multiples stratégies pour nous convaincre d’acheter tel produit plutôt que tel autre, pour nous inciter à dépenser « plus », mais pas nécessairement « mieux ».

Cette campagne de persuasion est souvent invisible et sournoise, et elle commence parfois avant même que nous ayons franchi les portes de l’épicerie.

La Presse Canadienne en a discuté avec la nutritionniste Julie DesGroseillers, qui aborde la question dans son nouveau livre La jungle alimentaire.

Qu’est-ce qui nous attend à l’épicerie ces jours-ci ?

C’est rendu complexe et angoissant pour les gens de faire leur supermarché, dans le sens que l’offre alimentaire n’a jamais été aussi grande et le marketing alimentaire n’a jamais été aussi développé et aussi rusé, alors c’est sûr que quand on met les pieds dans un supermarché, il y a énormément de couleurs, il y a énormément de produits. On fait tout, en sorte, pour nous faire acheter toujours plus, et pas nécessairement mieux. Si on ajoute à ça la lecture ou la compréhension de la liste des ingrédients, le tableau de la valeur nutritive et les croyances alimentaires de chacun, ça fait en sorte que manger, faire des choix gagnants pour sa santé, ce n’est pas toujours aussi évident.

Quelles sont les stratégies utilisées, justement, pour nous faire acheter « plus » mais pas nécessairement « mieux » ?

Il y en a vraiment plusieurs. Par exemple, l’emplacement des produits. Les compagnies doivent payer pour pouvoir vendre leurs produits dans les supermarchés. Notre regard, quand on se promène dans un supermarché, est souvent à la hauteur de nos yeux, ce qui est à portée de main. C’est rare qu’on va se promener dans un supermarché en regardant en haut ou en bas, et ça, l’industrie l’a très bien compris. C’est pour ça que ça coûte plus cher de vendre les produits à la hauteur des yeux. Malheureusement, les multinationales qui ont les sous pour (vendre leurs produits) sur ces espaces tant convoités ne sont pas nécessairement celles qui vont fabriquer les produits les plus gagnants pour la santé. Je conseille aux gens de lever consciemment les yeux au supermarché, penchez-vous, pour vraiment découvrir de nouveaux produits, mais aussi possiblement des produits qui sont plus gagnants d’un point de vue nutritionnel sur les tablettes du bas. Et quand on se met à comparer les produits pour trouver ceux qui sont les plus avantageux (d’un point de vue nutritionnel), on réalise que ce n’est pas toujours à la hauteur des yeux qu’on va les trouver.

Y a-t-il d’autres stratégies qu’on devrait connaître ?

Les allégations sont un autre piège, les mots que les industriels vont utiliser pour décrire un produit, pour faire ressortir une caractéristique précise. Prenons, par exemple, « sans gras trans » sur un emballage de craquelins. Mais ce n’est pas parce qu’il est « sans gras trans » qu’il ne sera pas bourré de sel ou de sucre, ou qu’il ne contiendra pas plein d’additifs alimentaires. J’ai souvent remarqué que moins le produit est intéressant d’un point de vue nutritionnel, plus on va retrouver toute sorte d’allégations. Ça peut être des allégations en lien avec la valeur nutritive, mais aussi « local », « biologique », « végane »… Je dis toujours aux gens de se méfier des emballages de style « all dressed » parce que souvent on cherche à cacher la valeur véritable des aliments. C’est malheureusement un panneau dans lequel on tombe souvent, parce que souvent, justement, on s’arrête là. On a l’impression que c’est meilleur pour la santé.

Donc, plus il y a d’allégations sur l’emballage, plus on risque de chercher à nous cacher quelque chose.

Oui, souvent. La meilleure source d’information est la liste d’ingrédients. Par exemple, si on compare deux craquelins : pourquoi un a six fois plus d’ingrédients et se conserve le même temps ? Il y a un exercice à faire de notre part comme consommateur. Souvent, dans mes conférences, on me demande pourquoi les compagnies fabriquent ça. Bien, parce qu’on les achète les yeux fermés ! Le jour où on va décider de ne pas les acheter, les industriels n’auront pas d’autre choix que de cesser de les produire. Mais pour en arriver là, il faut vraiment rééduquer nos papilles à la vraie saveur des aliments. On est tellement habitués de manger (des aliments) avec des rehausseurs de saveur et des arômes artificiels que quand on mange quelque chose de moins transformé, on le trouve « platte », et moi en tant que nutritionniste, ça me fait peur. On dit qu’il ne faut pas juger un livre à sa couverture ; c’est la même chose avec un produit.

Les épiceries américaines présentent souvent les gâteaux et les beignes en entrant, tandis que les épiceries canadiennes présentent les fruits et légumes. Pourquoi ?

De un, visuellement, c’est très beau, c’est coloré, ça donne un beau coup d’œil. Mais des études ont démontré que quand on remplit notre panier d’aliments nourrissants et bons pour la santé, on se sentirait moins coupables par la suite de mettre dans notre panier des aliments qui sont moins gagnants, et c’est pour ça que la pâtisserie et la boulangerie va suivre le rayon des fruits et légumes. Tout a été pensé.

Il y a donc vraiment un grand travail d’éducation que je me dois de faire en tant que consommateur parce que quand j’entre à l’épicerie, il n’y a rien qui est laissé au hasard.

Exactement. Tout est planifié, de l’entrée à la sortie du supermarché. Parfois, on n’est même pas encore entrés qu’on nous présente déjà des fruits et légumes, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ces produits-là ne sont pas nécessairement en spécial.

En tant qu’experte, qu’est-ce qui vous frappe quand vous entrez à l’épicerie ?

Je trouve que nous sommes très chanceux d’avoir toute cette diversité alimentaire et toute cette facilité d’accès. On est choyés. Je trouve dommage de voir autant de produits ultra-transformés aussi accessibles, visuellement parce qu’ils occupent les espaces qui sont à la hauteur des yeux, mais ce sont souvent aussi ces compagnies-là qui ont les moyens de faire des promotions, d’avoir les espaces en bout de rangée qui coûtent plus cher, d’avoir des présentoirs spéciaux… Et encore une fois, ce sont rarement les produits qui sont les plus gagnants.

Donc il faut prendre le temps de se renseigner et de s’éduquer pour pouvoir déjouer ces pièges-là qui nous attendent.

C’est tellement important ! La nourriture, c’est ce qui nous permet de vivre en santé longtemps, c’est un grand pilier important de notre santé. On dit qu’on construit la santé dans notre assiette, mais on peut aussi bâtir des maladies dans notre assiette. Pour faire des choix plus gagnants, oui il faut être éduqué pour trouver ces aliments-là.

Les propos de Mme DesGroseillers ont été abrégés et condensés à des fins de concision et de clarté.