Deux hauts fonctionnaires de Lachute, destitués en 2015 à la suite d’une enquête qui a été qualifiée par le Tribunal administratif du travail (TAT) de « vengeance politique » et de « vendetta personnelle », demandent qu’un négociateur indépendant soit nommé dans leur dossier pour qu’ils soient réintégrés rapidement dans leurs postes.

La longue et complexe saga judiciaire qui vise l’ancien directeur général de la municipalité Pierre Gionet ainsi que l’ex-trésorière Nathalie Piret a mené à un premier jugement le 25 juin, qui ordonne leur réintégration dans les 10 jours dans leur emploi respectif.

L’affaire a coûté jusqu’à maintenant 1,2 million à la municipalité et à sa Régie intermunicipale Argenteuil–Deux-Montagnes, responsable de la collecte des déchets pour quatre municipalités avoisinantes. M. Gionet en était aussi le secrétaire-trésorier, en plus d’occuper le poste de plus haut cadre de la Ville de Lachute.

La cause a nécessité 46 jours d’audience et 25 témoignages devant le Tribunal administratif du travail.

L’Unité permanente anticorruption (UPAC), la Sûreté du Québec (SQ) et le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) ont aussi mené leurs propres enquêtes, sans jamais déposer d’accusations, en dépit de perquisitions menées en 2014 au bureau de la ville et la saisie des cellulaires des deux cadres municipaux.

Une relation intime qu’entretenaient M. Gionet et Mme Piret à l’époque est au cœur de l’affaire. La jugeant incompatible avec leur rôle de gardiens des dépenses, la municipalité a congédié les deux hauts fonctionnaires « pour manquements graves en rapport avec les exigences du poste occupé » en 2015.

Dans son jugement de 97 pages publié le 25 juin, le TAT est extrêmement sévère à l’égard de l’actuel maire, Carl Péloquin, qui a fait démarrer l’enquête peu de temps après avoir renversé l’ancien maire Daniel Mayer, aux élections de novembre 2013. « Le Tribunal accorde peu de crédibilité au témoignage du maire Péloquin sur le contexte entourant le déclenchement de l’enquête et les vraies raisons ayant motivé la démarche », écrit la juge administrative Anick Chainey dans sa décision.

Elle y voit « une volonté à peine voilée de se débarrasser des plaignants [M. Gionet et Mme Piret] par tous les moyens ». Il s’en dégage « une constante importante : l’absence d’objectivité et de sérieux de l’enquête », qui « transpire la commande politique » et s’est transformée « en une thérapie collective » où « on a encouragé le partage de rumeurs, on a laissé aller les gens à toutes sortes de suppositions et on leur a permis d’évacuer leurs frustrations et doléances » à l’égard de l’ancien maire Mayer.

L’actuelle Vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, a participé à la récolte de nombreux témoignages, alors qu’elle travaillait pour la firme Accuracy Canada, mandatée par la Ville pour mener l’enquête. Elle a refusé de nous accorder une entrevue.

Le Tribunal administratif du travail a largement écarté le témoignage d’une experte-comptable qui a affirmé que la relation intime qui liait les deux cadres représentait un haut risque de fraude, et aurait dû être divulguée aux administrateurs pour que des mesures supplémentaires de contrôle soient mises en place. La relation était toutefois connue de bien des administrateurs de la Ville, dont le maire Péloquin, selon la décision.

Négociateur indépendant demandé

Jugeant que les choses ont assez duré, M. Gionet demande qu’un négociateur indépendant soit nommé pour mettre fin au litige et appliquer le jugement du TAT. « Il faut trouver un compromis. On est prêts à s’asseoir et à négocier », dit-il.

J’ai été victime d’un préjudice sérieux. Les gens recrutent en allant sur Google. Il suffit de taper mon nom pour voir toutes les choses dont on m’a accusé injustement. Il n’y a pas une seule ville qui va m’embaucher.

Pierre Gionet, ancien directeur général de la municipalité de Lachute

La Ville de Lachute ne voit cependant pas les choses du même œil. À la dernière séance du conseil municipal, elle a mandaté le cabinet d’avocats DHC pour qu’il dépose une demande de révision judiciaire de la décision.

« C’est rare qu’on voie un jugement aussi unilatéral, déplore le maire, Carl Péloquin. On s’explique mal la tangente que la juge administrative a prise dès le départ. Quand on veut voir un éléphant rose, on prend un éléphant et on le peinture en rose. C’est comme si elle avait fait son jugement à l’envers. »

La contestation judiciaire devrait coûter autour de 200 000 $, si elle se rend jusqu’au bout, estime le maire Péloquin. Les frais seront assumés à 50 % par la Ville et à 50 % par la Régie intermunicipale.

« Ce n’est que le début, ce n’est pas la fin de cette histoire », affirme pour sa part l’avocat Raynald Mercille, qui a piloté l’enquête et qui reçoit aussi une bonne dose de blâme dans le jugement du Tribunal du travail. La juge administrative lui reproche d’avoir mené son enquête « en catimini », d’avoir « manqué de transparence », d’avoir mis des mots dans la bouche des témoins et encouragé « tout un chacun à rapporter des rumeurs au lieu des faits ». MMercille rejette vigoureusement ce constat : « L’enquête a été faite avec le plus grand sérieux », insiste-t-il.

L’UPAC enquête toujours

M. Gionet accuse pour sa part MMercille d’avoir « alimenté l’UPAC à outrance » pour détruire sa réputation.

Le porte-parole de l’UPAC, Mathieu Galarneau, affirme que M. Gionet fait toujours l’objet d’une enquête, mais refuse de donner des détails pour « protéger la collecte de renseignements et la sécurité des personnes qui pourraient être impliquées ».

Le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT), à qui M. Gionet demande une intervention, reconnaît qu’il a le pouvoir d’intervenir en gestion de conflit « par une approche inspirée de la médiation ». Toutefois, l’exercice ne doit pas porter sur les sujets suivants : harcèlement psychologique, congédiement, entente de départ à l’amiable, compensation financière à un employé » ou tout sujet touchant les conventions collectives, précise le porte-parole Sébastien Gariépy.

Dans une lettre envoyée à la Ville de Lachute en 2017, le MAMOT a reproché au maire Péloquin d’avoir donné des mandats d’enquêter à des tiers de gré à gré sans en avoir la compétence.

« Normalement, les fonctionnaires sont protégés par la loi de l’aspect politique, mais après chaque élection municipale, on voit le même genre de situation se produire dans différentes municipalités. Il va falloir que le Ministère mette le pied à terre à un moment donné », dit M. Gionet.

Écarté de son emploi depuis maintenant cinq ans, il confie s’être « transformé en entrepreneur » pour gagner sa croûte, mais préférerait retrouver l’emploi dont il a été écarté. « Ce n’est pas le même challenge. Comme DG, ce que j’appréciais, c’était la grande diversité des dossiers. Je ne dis pas qu’être entrepreneur manque de défis, mais je m’ennuie d’être dans l’action. »