C’est une histoire d’une beauté inespérée au cœur d’un été qui en a bien besoin. Une histoire d’amour, de résilience, de don de soi.

C’est l’histoire de Béatrice, née le 9 juillet dernier à 14 h 22, grâce à une mère porteuse.

C’est l’histoire de Mai Duong, survivante du cancer, qui ne pouvait plus porter d’enfant.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Mai Duong et son bébé, Béatrice Stesin

C’est l’histoire d’Isha-Claire Dey, une mère touchée par son histoire, qui a offert de le porter pour elle.

Ce « bébé miracle » lové dans ses bras, Mai n’osait même plus y rêver lorsque la leucémie a fait dérailler sa vie. Elle n’a pas de mots assez forts pour exprimer sa gratitude à Isha-Claire. Pas assez de larmes de joie. « Elle est incroyable. Un tel don de soi, c’est extraordinaire. »

Grâce à Isha-Claire, Mai peut « boucler la boucle du cancer », le cœur empli d’amour et de reconnaissance pour tout le village qui a permis à Béatrice de voir le jour.

Vous avez sans doute déjà entendu parler de Mai. Elle s’est fait connaître par la grande campagne Save Mai Duong alors qu’elle était désespérément à la recherche des cellules souches qui lui permettraient de guérir de la leucémie. Une fois rétablie, elle a lancé la fondation Swab the World dont l’objectif est de sensibiliser toutes les populations à la nécessité de donner, les personnes de minorités ethniques étant encore sous-représentées dans les registres de donneurs (1).

Consultez le site de Swab the World

Mai avait 32 ans quand le diagnostic de leucémie est tombé. C’était un jour de janvier 2013. Sa fille Alice avait 3 ans. Mai était enceinte d’un deuxième enfant. Elle croyait donner la vie. Voilà qu’au hasard d’un test sanguin de routine, elle apprenait, à 15 semaines de grossesse, qu’elle risquait plutôt la mort. Pour survivre, il lui fallait interrompre sa grossesse et entreprendre des traitements de chimio. Le lundi, le diagnostic est tombé. Le mercredi, c’était l’avortement. Le vendredi, le début des traitements en isolement. « Le fait d’avoir perdu un enfant à cause du cancer m’a habitée longtemps. »

Après une courte rémission, Mai a fait une rechute. Sa médecin lui a alors fortement conseillé d’entreprendre des démarches en clinique de fertilité pour faire congeler des embryons si elle et son amoureux, Vlad, souhaitaient un jour avoir un autre enfant. « Elle m’a dit que si je survivais à la greffe et au cancer, c’était clair comme de l’eau de roche que je serais infertile. »

Mai a suivi ses conseils, sans trop y croire.

Je me disais : si jamais je survivais, ce serait bien, oui, un deuxième enfant. Mais en même temps, ça me semblait un rêve inatteignable. J’avais tellement peur de mourir, d’y laisser ma peau, que le seul fait de penser avoir un autre enfant me semblait impossible à concevoir.

Mai Duong

Et puis, tranquillement, la vie a repris ses droits grâce à une greffe de cellules souches. En 2014, un don de sang de cordon ombilical d’une autre mère a littéralement sauvé la vie de Mai. Je l’avais rencontrée peu de temps après, alors qu’elle venait de franchir avec joie les 120 jours post-greffe et que ses cheveux recommençaient à pousser. Elle avait beaucoup d’espoir. Mais il était encore trop tôt pour crier victoire. Sa santé était encore très fragile. La moindre infection pouvait lui être fatale. La vie en confinement était alors déjà sa « normalité ». Elle devait vivre en ermite.

> (Re)lisez le texte « Mai revient de loin »

Depuis octobre 2019, Mai peut dire qu’elle est officiellement « guérie ». Et ce qu’elle croyait impossible est devenu possible grâce à Isha-Claire. Une autre mère qui lui a fait un autre don de vie, en portant pour elle son deuxième enfant.

Au Québec, faire porter un enfant par une mère porteuse n’est pas illégal. Il est toutefois interdit de payer une femme pour ses services ou de demander à une femme de moins de 21 ans de porter l’enfant. Et bien entendu, on compte plus de parents à la recherche d’une mère porteuse que de femmes prêtes à se lancer dans l’aventure.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Isha-Claire Dey

Coordonnatrice clinique dans une compagnie pharmaceutique, Isha-Claire, 40 ans, elle-même mère de trois grands enfants dont les grossesses se sont déroulées sans problème, avait été sensibilisée à la question lorsque sa propre sœur, aux prises avec un cancer il y a plus de 20 ans, se demandait si elle allait pouvoir porter un enfant. Isha-Claire s’était dit qu’elle serait prête à le faire pour elle si jamais.

Finalement, ce ne fut pas nécessaire. Mais l’envie d’offrir un jour ce cadeau à une famille qui ne pouvait pas avoir ce bonheur n’a pas disparu. C’est la raison pour laquelle elle a offert son nom à une agence qui met en lien des mères porteuses potentielles et des parents. C’est ainsi qu’elle a rencontré Mai et Vlad, dont l’histoire l’a beaucoup touchée. Elle se rappelait d’ailleurs avoir entendu parler de la campagne Save Mai Duong et avoir vu des panneaux sur l’autoroute.

Dès la première conversation, ça a tout de suite cliqué entre Mai et Isha-Claire, comme si elles se connaissaient depuis toujours. Isha-Claire est devenue très vite comme une membre de la famille. « Elle demeurera pour toujours dans nos vies », dit Mai.

Dans cette folle aventure, la mère porteuse a pu compter sur le soutien précieux de son amoureux, membre des Forces armées canadiennes, qui, pandémie oblige, a été bien occupé en CHSLD ces derniers temps. « Malgré tout, il a été mon vrai champion. » Il a pris soin d’elle, l’a aidée avec l’injection de médicaments, a massé son corps endolori… « Il m’a soutenue tout le long de la grossesse pour un enfant qui ne lui appartenait même pas. » Dans la salle d’accouchement, même s’il ne pouvait être à ses côtés, c’est sa voix qu’elle entendait dans sa tête.

Dans les minutes qui ont suivi la naissance de Béatrice, Mai a appelé par FaceTime ses parents, en direct de la salle d’accouchement. Pour ces réfugiés de la mer qui ont vécu leur lot d’épreuves depuis leur fuite du Viêtnam jusqu’au Canada, qui ont perdu deux enfants en bas âge et ont eu très peur d’en perdre un troisième lorsque Mai a eu sa leucémie, voir cette mère d’origine caribéenne donner naissance à leur petite-fille (qui a des origines vietnamiennes par sa mère et ukrainiennes par son père) était un moment de grande émotion. Les larmes fusaient. « Merci de nous avoir donné une petite-fille. Merci ! Merci ! », répétaient-ils à Isha-Claire, qui est encore très émue en y repensant.

En voyant Mai, Vlad et toute sa famille si heureux, Isha-Claire s’est dit qu’elle avait atteint son but.

« De voir toute la joie qu’apporte ce bébé, je ne pouvais demander mieux. J’étais tellement contente d’être capable de leur donner cette petite fille en bonne santé. Tellement contente de voir que Mai était capable de vaincre le cancer et d’avoir le bébé qu’elle a perdu il y a plusieurs années. »

« Bien des gens pensent que ce doit être triste pour moi de donner l’enfant. Mais il n’y a pas de tristesse là-dedans. J’aimerais que tout le monde sache que c’était pour moi vraiment de la joie pure. C’était incroyable. »

D’une beauté inespérée et incroyable.