Quand on a un teint, un nom ou un accent qui évoquent l’ailleurs, cesse-t-on un jour d’être un étranger aux yeux des autres ou même à ses propres yeux ? En cette fête du Canada, réflexion sur l’identité.

Mélikah Abdelmoumen : « Je suis née ici ! »

Mélikah Abdelmoumen est née d’une mère du Saguenay et d’un père d’origine tunisienne

« Mes parents m’ont élevée comme une Québécoise. Mon père a fait partie d’une génération d’immigrés qui ont vraiment voulu que leurs enfants soient du pays où ils sont nés. Je ne parle pas un mot d’arabe, ma culture arabe est malheureusement presque inexistante, bien que je commence à m’intéresser davantage à cette partie de moi.

« Je me retrouve donc dans une drôle de position parce qu’on me renvoie tout le temps à la moitié de mes origines, à celle que je connais si mal.

C’est très douloureux que mon identité québécoise soit ainsi niée.

Mélikah Abdelmoumen

« Ce qui me désole aussi, c’est qu’avec la discrimination positive, je me sens comme un porte-étendard de la diversité. J’ai hâte aux jours où on n’en aura plus besoin, de ces quotas, parce qu’en l’état, ça nous catégorise, ça nous donne l’impression d’être un trophée, une caution.

« J’ai écrit un livre, paru chez VLB. Mon éditeur a dû surveiller son site sans cesse, parce qu’il y avait souvent des commentaires du genre : ‟Rentre chez toi, rentre dans ton pays. »

« Mais quel pays ? La Musulmanie, je suppose ?

« Et que puis-je répondre ? Que je suis d’ici ? Je ne peux pas, ce serait comme de dire que si j’étais née ailleurs, ce serait compréhensible de me lancer de telles insanités.

« Et encore, je n’ose même pas imaginer ce que ce serait si j’étais un homme arabe.

« Ça me blesse personnellement, mais aussi pour mon père, qui a été professeur de français ici et qui a formé des générations de Québécois à la poésie de Gaston Miron.

« Au Québec, dès qu’on dénonce le racisme, les gens en prennent ombrage. On te dit que tu exagères. Mais si tu t’appelles Gérard et que tu es blanc, comment peux-tu le savoir ?

« Ce qui me choque aussi, c’est quand on parle de moi comme d’une immigrante de deuxième génération. À la limite, on peut dire de moi que je suis une fille d’immigré, mais je ne suis pas une immigrante.

« Je suis née ici !  »

Rithya Caroline Ky : « C’est par les gens qu’on se sent chez soi »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Rithya Caroline Ky

Rithya Caroline Ky, née en France. Ici depuis 1989.

« J’ai été conçue en Colombie, où mon père était diplomate au moment où les Khmers rouges ont envahi la capitale du Cambodge. Quand je suis née, j’avais donc déjà perdu le pays.

« J’ai grandi en France, où ma famille avait de profondes racines qui remontent à mon arrière-grand-père qui avait combattu dans les forces françaises pendant la Première Guerre mondiale.

« N’empêche, je ne me suis jamais sentie Française. Je me sentais toujours en porte-à-faux dans ce pays où j’ai vécu de la discrimination.

« J’avais 12 ans quand nous sommes déménagés au Québec. Les premières années, je vivais cependant beaucoup ici en vase clos du fait que je fréquentais une école française.

C’est quand j’ai commencé à travailler au Québec et que j’ai eu des amis québécois que j’ai arrêté de me sentir étrangère.

Rithya Caroline Ky

« Je me sens surtout Québécoise, Canadienne, parce que je me retrouve dans les valeurs du Québec, dans cet amour du plein air, dans cette convivialité et cette simplicité qui fait qu’ici, on peut même tutoyer ses professeurs à l’université.

« C’est par les gens qu’on se sent chez soi. Mon chez-moi, c’est donc ici, où je me sens si libre.

« Un jour, nous étions à Cuba et quelqu’un a dit à ma fille qu’elle était une belle petite Chinoise. Spontanément, elle a répliqué qu’elle était Française. Ça m’a beaucoup étonnée.

« Ici, je n’ai senti de l’hostilité qu’une seule fois, quand une femme m’a lancé : ‟On voit de plus en plus de Chinois au Québec, c’est le péril jaune. »

« En raison de mes traits, je serai toujours une minorité visible. Les gens s’extasient parfois du fait que je parle bien le français. Cela m’amuse vu que je n’ai connu que le français et que mon cambodgien est plutôt laborieux.

« Quand je reviens de vacances et que je rentre à Montréal, je rentre chez moi.

« Mais tout de même, un jour, j’ai quand même ce projet d’aller au Cambodge avec mes enfants pour retourner aux sources, idéalement en compagnie de mes parents. »

Claude Guillou : « La langue, c’est un cocon »

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Claude Guillou

Claude Guillou, natif de Bretagne. Au pays depuis 1994.

« Avec Caroline, nous avons deux enfants et à nous quatre, dans la famille, nous avons quatre couleurs de peau différentes.

« Pour ma part, je me sens à la fois Québécois et Français. Je me sens bien ici comme je me sens bien là-bas, où j’ai cette impression de retrouver mes vieilles pantoufles.

Ici, j’ai cessé de me sentir étranger au bout de trois ans, quand je me suis intégré, ce qui ne va pas sans un certain renoncement de sa propre culture.

Claude Guillou

« Progressivement, j’ai changé ma façon de me comporter, d’interagir avec les autres. Les Français sont d’un naturel plus formaliste. Ici, on peut devenir ami avec le directeur d’une grande entreprise comme avec un gars de plancher. En France, ça serait plus rare.

« Même mon humour a changé. Je suis devenu le plus grand fan de l’humour absurde à la québécoise !

« Je crois que la langue compte aussi pour beaucoup dans mon intégration. La langue, c’est un cocon.

« J’ai vécu cinq ans en Ontario et ce n’était pas pareil. J’étais vraiment content de rentrer au Québec.

« Pour mon fils, il n’y a jamais eu de dualité entre le Québec et la France. Il est fier de dire qu’il est Canadien, de dire que contrairement à moi qui suis frileux, lui, en bon Canadien, il n’a jamais froid.

« Quand j’habitais à Mont-Royal, les nounous philippines pensaient que j’étais l’un des leurs, que j’étais la nounou de mon fils, dont je m’occupais beaucoup quand il était bébé. Ça ne m’atteignait pas, l’important, c’est le lien que j’ai avec mes enfants.

« Cette réputation de ‟maudit Français » est toujours un peu présente en arrière-plan, mais je ne m’en fais pas avec cela, comme ça ne me dérange quand je sens que les gens pensent encore, 26 ans plus tard, que je suis fraîchement débarqué de l’avion !  »

Florence Pierre-Louis : « Je suis fière de mes deux origines »

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Florence Pierre-Louis

Florence Pierre-Louis, née au Québec d’une mère d’origine québécoise et d’un père originaire d’Haïti

« Je me suis toujours sentie métisse à 100 %, autant Québécoise qu’Haïtienne. Je suis le fruit de l’amour entre deux personnes et aucune culture ne prédomine. À Noël, je mange de la dinde avec du riz collé, avec ma famille haïtienne et ma famille québécoise qui célèbrent ensemble.

« Les gens me demandent souvent d’où je viens. Habituellement, ils sont juste curieux et ça ne me dérange pas. Je suis fière de mes deux origines et je suis contente d’en parler.

« Par contre, je n’aime pas qu’on parle de moi comme d’une mulâtre. Ça, je ne suis plus capable de l’entendre. Je n’aime pas non plus qu’on me fasse sentir ‟exotique” en me disant : ‟Tu n’es pas d’ici, toi…”, en s’étonnant que mon accent, lui, soit bien québécois.

Je suis amie avec des Blancs, des Arabes, des Latinos et il est très rare que je subisse des remarques désagréables, mais quand j’étais jeune, ça arrivait souvent.

Florence Pierre-Louis

« À mon école secondaire, je me tenais avec des gars blancs de l’équipe de hockey. Devant moi, ils ont dit, en regardant une autre fille noire : ‟Les fesses de Black, c’est beau, c’est bien bombé, mais le reste… ouf…” »

« Je n’ai rien dit non plus quand j’étais la seule fille noire, dans le programme sport-études en gymnastique et qu’on m’a si souvent fait sentir que mes cheveux frisés, ça n’allait vraiment pas.

« Rien dit non plus quand un prof blanc m’a comparée à Hagrid, le gros géant décoiffé dans Harry Potter, la seule fois où j’ai osé laisser mes cheveux détachés.

« Quand j’étais jeune, je voulais ‟faire partie de la gang” et les commentaires racistes, je les laissais passer. Aujourd’hui ? Plus jamais.

« À mon bal de finissants, ça a été la dernière fois que j’ai lissé mes cheveux. J’ai compris que mes cheveux sont beaux et j’ai cessé de les détester. »

Isabelle Wolfmann : « Notre personnalité peut être teintée par autre chose que notre naissance »

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Isabelle Wolfmann et Vincent Berlandier

Isabelle Wolfmann, installée au Canada depuis les années 80

« Quand je suis arrivée au Québec dans les années 80, je ne connaissais pas de Français. Nous étions un peu comme des bêtes curieuses.

« D’où es-tu ? Pourquoi es-tu venue ici ? Préfères-tu le Québec à la France ? T’ennuies-tu de ta famille ?

« Il y avait en quelque sorte un questionnaire à remplir pour pouvoir entrer en société.

« Maintenant qu’il y a tant de Français qui vivent ici, les choses ont changé. Les Québécois voyagent aussi beaucoup et le syndrome du ‟maudit Français” est beaucoup moins courant. Mais il existe encore.

Quand on est un étranger, on le reste toute sa vie. On le reste à l’intérieur de soi, mais aussi parce qu’on vous le rappelle tous les jours.

Isabelle Wolfmann

« Pourtant, je me sens Québécoise, parce que je vis ici depuis longtemps et parce que j’ai choisi le Québec, où je ne suis pas venue par défaut ou par contrainte politique et sociale.

« Mais on se dit parfois qu’on n’aura jamais vécu ici assez longtemps pour que les gens nous appellent des Québécois, pour qu’on cesse d’entendre des blagues qui commencent par : ‟Ah ! vous autres, les Français…”

« Bien sûr, quand les gens nous demandent d’où l’on vient, c’est souvent parce qu’ils s’intéressent à nous. Ça part d’une bonne intention. Mais il faut avoir le bon ton, trouver le moment opportun. Devant un café, si je sympathise avec toi, oui, ça va peut-être me faire plaisir, mais pas à l’épicerie…

« Nous ramener sans arrêt à nos origines, c’est nier le fait que notre personnalité peut être teintée par autre chose que notre naissance. C’est ce qui blesse.

« Mais bien sûr, ça n’a rien à voir avec ce que vivent les communautés racisées, les femmes voilées ou les autochtones… »

Vincent Berlandier : « Je vis avec vous, je respire avec vous »

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Isabelle Wolfmann et Vincent Berlandier

Vincent Berlandier, originaire du sud de la France, au Canada depuis 15 ans

« Je viens du sud de la France, du côté de Nîmes. Cela fera 15 ans en décembre que je suis ici.

« Je ne voulais pas immigrer au Québec, c’est Isabelle qui m’a convaincu, j’avais peur du froid, je pensais qu’ici, rien ne poussait !

« Comme je parle beaucoup au téléphone pour le travail, on me dit plusieurs fois par semaine : ‟Vous avez un accent, vous !”

« Aujourd’hui, ça m’est arrivé deux fois encore.

« Quand je dis que je viens de la région de Nîmes, on me dit : ‟Ah ! j’aimerais bien y aller.”

« Pour les gens, c’est la carte postale avec les cigales, les oliviers, le soleil…

Parfois, on pense que j’ai un accent parisien ou allemand. Il est même arrivé qu’une femme me dise que j’ai un accent marocain et qu’elle insiste tant que je lui ai presque dit oui, pour lui faire plaisir !

Vincent Berlandier

« Souvent, je souris, je le prends à la légère, mais quand c’est régulier, ça peut devenir lassant.

« Je suis avec vous, je vis avec vous, je respire avec vous !

« Il reste qu’en France, mon accent ne passe pas non plus inaperçu. Si je me trouve dans un café, à Paris, il n’est pas rare que le serveur me dise : ‟Vous êtes de Marseille, vous !” »