Du racisme systémique ? Je comprends l’accusation. Sujet sensible, sujet qui met ceux qui « sont » le système sur la défensive.

Parlons des mots dans ce débat qui a des allures de prise de conscience.

Le mot « racisme », d’abord. Un mot dépotoir, un mot qui incarne une réalité qui pue. Hitler, le KKK, ce genre de saloperie, c’est ce qui vient à l’esprit.

C’est ce qui vient à l’esprit d’un Québécois de 48 ans. C’est ce qui vient à l’esprit de beaucoup de gens, je veux dire. À l’esprit de ceux que je connais, de ceux avec qui j’ai grandi dans une banlieue très blanche, très majoritairement baptisée dans le catholicisme canadien-français des années 1970.

Racisme, d’où je viens, est aussi un mot d’action. Un verbe, quasiment. Frère siamois de la haine. C’est pas quelque chose de soft, je veux dire. La haine n’est pas passive.

Arrive l’expression « discrimination systémique ». Quelque part dans les années 2010, elle s’impose. Je ne me souviens pas de la première fois où je l’ai entendue, mais je me souviens d’avoir été interloqué : hein, le « système » est raciste ? Ça ne se pouvait pas, bordel, le Québec, le Canada n’est pas raciste…

Je vous rappelle ma conception du mot « racisme », ici. Hitler, le KKK. Quelque chose d’actif, d’actif comme la chasse, tiens : la chasse à la race jugée inférieure. Le Canada, le Québec, me disais-je, ne sont pas parfaits, il y a du racisme ici comme ailleurs, mais allons donc, il n’y a pas de lynchages, pas de chemises brunes ici…

Puis, tu t’y attardes un peu, tu écoutes. Et tu écoutes encore. Tu écoutes ceux qui ne sont pas comme toi.

Tu écoutes ces histoires répandues chez les Noirs, qui se font intercepter régulièrement en voiture – ou à pied – par la police pour un « contrôle de routine », ici, à Montréal… Comme ailleurs.

Est-ce du racisme ?

Bien sûr, tu te dis : c’est pas l’Alabama des années 1960.

Sauf que si c’est toi qui es assis dans le char, c’est peut-être pas l’Alabama, mais c’est quelque chose de très chiant, de très enrageant, de très… injuste.

Tu regardes les stats, tu écoutes les témoignages, encore et encore. Et tu te demandes : coudonc, me suis-je déjà fait intercepter par la police pour un « contrôle de routine », moi ?

Pour un excès de vitesse, oui ; pour un stop fait à la va-vite, oui ; pour un phare défectueux, oui…

Mais juste pour voir si je suis propriétaire de mon auto ?

Jamais.

Me suis-je déjà fait demander par un policier comment je pouvais me payer « ce char-là » ?

Jamais.

Tu regardes les stats, encore. Des taux de chômage plus élevés, à diplôme égal, chez les minorités, chez ceux qui ne sont pas issus du sérail de-souche-Tremblay-baptisé-à-l’église…

Et la fonction publique qui ne représente pas, statistiquement, le poids démographique des Québécois minoritaires, loin de là…

Et tu prends connaissance de ces tests où on envoie de faux CV à de vrais employeurs : un CV Tremblay et un CV « à nom étranger ». Devine qui se fait moins convoquer en entrevue…

Là, tu te dis, ouain…

Racisme systémique, peut-être que c’est pas fou.

Pas un racisme de chasse à l’Autre, comme dans l’Alabama des années 1960 ou dans l’Europe des années 1930 et 1940. Mais le système a un biais, le système ne donne pas une chance égale à tout le monde. Appelons ça un angle mort. Est-ce du racisme, au sens où j’ai été habitué à concevoir le racisme ? Non.

Mais peut-être que j’ai grandi avec une vision étroite de ce qu’est le racisme.

Tout ça pour dire que je suis d’accord avec la notion de racisme systémique.

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Je ne sais pas pourquoi François Legault refuse de dire qu’il y a du racisme systémique au Québec.

Je suis content de voir qu’il veut s’attaquer au racisme, qu’il juge inacceptable, avec ce comité d’action annoncé lundi et qui promet des règles à l’automne. On verra en quoi ça se traduira dans le réel. Mais il faut s’attaquer à la discrimination raciale pour une seule raison : parce que c’est injuste.

Je ne sais pas pourquoi François Legault refuse de dire qu’il y a du racisme systémique au Québec. Je vais tenter une hypothèse : parce qu’il connaît bien les Québécois.

Si tu as 30 ans, si tu es né en 1990, c’est difficile de concevoir à quel point les Québécois se sont fait traîner dans la boue au fil des décennies, disons depuis que le Québec a commencé à s’affirmer.

Hors Québec, le Quebec bashing a été une réalité très concrète. Le PQ de Lévesque a été assimilé aux nazis. La loi 101 a été décriée sans rire comme une loi raciste, quelque chose comme un apartheid.

Quand les Mohawks se sont rebellés en 1990, il fut clamé que c’était parce que nous étions fondamentalement des racistes, comme si la mauvaise conscience face aux autochtones était un problème inexistant hors Québec.

À chaque référendum, en 1980 et en 1995, les Québécois – francophones, of course – ont encore été traités de racistes, d’intolérants pour le simple fait d’avoir voulu se donner un État, d’une façon démocratique.

Il s’est écrit au fil des décennies des choses sur le Québec dans les médias canadiens-anglais qu’on imagine mal se dire sur d’autres provinces, sociétés, nations.

Alors si tu as 30 ans aujourd’hui, il y a de grosses chances que cette réalité-là n’existe pas. Il fallait la vivre pour la comprendre. Pour la sentir. Moi, je m’en souviens. La génération de mes parents s’en souvient. Je ne dis pas que c’est un traumatisme.

Mais c’est un sacré mauvais souvenir.

Une commission sur le racisme systémique ? Ce sera encore, aux yeux de beaucoup de Québécois, l’occasion de faire notre procès. Comme si souvent, avant…

Je reviens à M. Legault : mon hypothèse, c’est qu’il sait qu’il y a du racisme systémique ici, mais qu’il sent aussi que les Québécois n’ont pas envie de servir de piñata à tous ceux qui pensent que les grenouilles, anyway, on sait bien, ont de la graine de nazillons…

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J’ai subi une insulte raciste une seule fois. Je parle de subir ça de façon concrète et évidente. Sur un terrain de soccer, dans le West Island, je me suis fait traiter de « fucking frog » par un anglo, il y a 30 ans.

Je ne le dis pas pour me poser en victime. Je ne le suis pas. Je le dis parce que je me souviens de ce que ça m’avait fait, de ce que ça avait remué en moi.

Un volcan.

La semaine dernière, la comédienne et chanteuse Mélissa Bédard a publié sur ses médias sociaux les insultes racistes qu’elle a reçues au fil des années. Elle est noire.

Des trucs épouvantables, à faire vomir.

Je n’ose pas imaginer ce que ces insultes racistes doivent chaque fois provoquer en elle. J’imagine que c’est mon expérience du West Island, puissance mille. Et pas une seule fois. C’est sûrement toujours là, pas loin.

Multipliez ça à l’infini, chez à peu près tous les Québécois noirs.

Je ne sais pas si on pourra un jour tarir le flot de racistes qui ne se gênent pas pour insulter quelqu’un comme Mélissa Bédard.

Mais je sais qu’on peut agir pour que l’État tarisse le racisme soft, la discrimination du système qui a beau être involontaire, mais qui n’en est pas moins injuste.

Ça, ça se fait.

Est-ce que ça se fait en décrétant que, oui, il y a du racisme systémique au Québec ?

Tant mieux si le mal est nommé.

Mais nommer le mal, si l’action ne suit pas, ça donne quoi ? Parlez-en aux autochtones du Canada, qui nagent dans les excuses de toutes sortes…

Et qui sont toujours aussi marginalisés, discriminés.

Alors à tout prendre, je préfère que le mal du racisme soit combattu vigoureusement par l’État, avec ses outils de prédilection : avec des lois, avec des règlements, avec des normes…

Et, espérons-le, des sanctions.

De l’action, quoi. Des gestes. C’est ce que promet le PM.

Et je dis que ce n’est pas rien.