(Montréal) Un an après avoir vécu sa pire crise du logement en 15 ans, le Québec se dirige vers un 1er juillet encore plus catastrophique. Les listes d’urgence de ménages n’ayant pas trouvé de nouveau toit sont déjà plus longues que l’an dernier et l’actuelle pandémie de COVID-19 pourrait venir aggraver le problème au cours de l’été.

Selon les données colligées par le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), le nombre de demandes d’aide d’urgence auprès de la Ville de Montréal aurait doublé comparativement à la même date en 2019. À Québec, la liste serait quatre fois plus longue que l’an dernier.

« La situation est très préoccupante, observe la porte-parole du FRAPRU Véronique Laflamme. Maintenant, il faut voir quel impact auront les mesures annoncées cette semaine. »

Jeudi, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, a annoncé trois mesures d’aide dont la valeur totale pourrait atteindre 71,5 millions. D’abord, 1800 ménages pourront obtenir le soutien du supplément au loyer d’urgence. Ce programme permet de combler la différence entre le prix mensuel du logement et la capacité de payer du locataire.

Les autres moyens déployés par Québec consistent à soutenir financièrement les villes qui devront offrir de l’hébergement d’urgence aux ménages qui se retrouveront à la rue le 1er juillet. Puis, à accorder des prêts sans intérêt, payable en août 2021, d’un maximum équivalent à deux mois de loyer pour des locataires s’étant retrouvés en défaut de paiement à cause de la pandémie de la COVID-19.

L’octroi d’un nombre important de places dans le programme de supplément au loyer d’urgence à deux semaines du 1er juillet représente une bonne nouvelle pour le FRAPRU, mais il faut tout de même que les ménages puissent signer un bail d’ici là. Ce qui complique la situation reste le très faible taux d’inoccupation des unités locatives dans plusieurs villes du Québec.

« Dans la plupart des villes du Québec, le taux d’inoccupation a dégringolé, alors la pénurie de logements est pire que l’an passé », souligne Véronique Laflamme en ajoutant que « le supplément d’urgence ne peut pas créer de logements qui n’existent pas ».

De plus, beaucoup de familles ne parviennent pas à se reloger dans leur ville ou dans leur quartier. Celles-ci cherchent à ne pas déménager trop loin, notamment pour ne pas s’éloigner des écoles ou encore des lieux de travail quand les moyens de transport sont limités.

L’an dernier, ce sont près de 200 ménages qui s’étaient retrouvés sans logement au 1er juillet.

L’effet COVID-19

Si les listes de demandes d’urgence sont déjà longues, on s’attend à ce qu’elles s’étirent davantage au cours des prochains jours. En raison de la pandémie de la COVID-19, les appels à l’aide semblent être arrivés plus tôt, mais le sentiment d’urgence entraîne généralement une hausse des demandes plus on s’approche du 1er juillet.

Par ailleurs, le confinement visant à limiter la propagation du coronavirus a grandement limité la possibilité de visiter des logements.

« Dans la grande région de Montréal et aussi à Joliette, où il y a un taux d’inoccupation assez bas et un pourcentage élevé de locataires, les gens ont eu un mois pour visiter des logements », fait remarquer la voix du FRAPRU.

Normalement, la période de pointe pour les visites de logements se situe dans les mois de mars et avril, précisément au moment où tout le Québec a été mis sur pause pour combattre la pandémie.

« Plusieurs ménages n’ont pas accès à l’internet, à des téléphones intelligents, pour faire des visites virtuelles. Et les visites virtuelles ont leurs limites, on ne voit pas les moisissures dans les visites virtuelles », explique Mme Laflamme.

Les locataires n’ayant pas pu effectuer de recherche fructueuse de manière virtuelle vont ainsi devoir se contenter des restes du marché, c’est-à-dire des unités au coût très élevé ou des unités en piètres états, voire insalubres.

De plus, le moratoire sur les évictions, imposé par Québec durant la pandémie, pourrait venir ajouter une pression supplémentaire sur la crise s’il était levé cet été.

Un stress lourd à porter

Pour toutes ces personnes qui voient arriver le 1er juillet à grands pas en craignant de se retrouver à la rue, le stress devient de plus en plus lourd à porter.

C’est le cas de Lynda Belkhir, qui vit avec son mari et ses deux enfants dans un 5 1/2 dans le secteur de La Petite-Patrie, à Montréal. La famille avait choisi ce logement parce que le propriétaire avait accepté de s’engager à long terme, ce qui allait permettre aux enfants de grandir avec leurs amis et de ne pas changer d’école.

Malheureusement, ils ont reçu un avis de reprise du logement en décembre. La famille a contesté la reprise devant la Régie du logement, mais a reçu une décision défavorable. Pour compliquer les choses, l’audience a eu lieu en mars, mais la régie n’a rendu sa décision que le 5 juin ne donnant même pas un mois à Mme Belkhir et aux siens pour libérer leur logement.

« C’est le propriétaire qui a demandé à la régie de nous laisser jusqu’au 7 juillet parce que ça lui coûterait moins cher de payer les déménageurs que le 1er juillet », affirme la femme dont les enfants sont âgés de 4 et 6 ans.

Nancy Bertrand, qui vit avec sa mère et sa nièce dans un 5 1/2 de Mercier—Hochelaga—Maisonneuve, à Montréal, la situation est tout aussi angoissante. Les trois femmes ont été confrontées à une demande de reprise de logement par le propriétaire et ont rapidement accepté la proposition de compensation avant de bien connaître leurs droits.

Comme l’aînée du trio est âgée de plus de 70 ans, le propriétaire n’aurait pas eu le droit de les évincer selon les règles de la Régie du logement.

Nancy Bertrand a fait appel au soutien de la Ville de Montréal et a été acceptée sur la liste d’attente pour un logement subventionné (HLM), mais le ménage se retrouve tout au bas de la liste qui compte des centaines de noms.

« Je regarde Kijiji, Marketplace, le service de référence de la Ville de Montréal, il y a des logements dans notre fourchette de prix, mais c’est difficile parce que soit les propriétaires n’acceptent pas les chats ou ils n’acceptent pas que ma mère fume », explique Mme Bertrand.

Semaine de mobilisation

Afin de sensibiliser la population et les élus à la gravité de la crise du logement que traverse le Québec, le FRAPRU et plusieurs organismes partenaires vont tenir une semaine de mobilisation.

Le premier évènement est prévu ce samedi à Montréal, dans le secteur de Parc-Extension. Une caravane de vélos et de voitures va parcourir le quartier dans un tintamarre visant à faire entendre la cause.

D’autres activités sont prévues au cours de la semaine dans la métropole, mais aussi à Québec, à Rimouski, à Longueuil et à Sherbrooke. Le tout va culminer par un rassemblement devant les bureaux de la Coalition avenir Québec jeudi matin.