La plupart des pancartes déployées lors de l’imposante manifestation de dimanche contre le racisme à Montréal étaient en anglais, un phénomène observé à travers le monde.

Parmi la marée humaine qui a défilé dimanche dans les rues de Montréal pour dénoncer le racisme, le profilage racial et la brutalité policière contre les personnes non blanches, on pouvait voir des pancartes majoritairement rédigées en anglais.

Certains y ont vu une marque d’indifférence envers les Québécois francophones. Une intention que n’avaient pas les groupes derrière la manifestation, qui sont majoritairement dirigés par des francophones.

« Le slogan Black Lives Matter, c’est un mouvement social, et l’élément déclencheur, ça a été la mort de George [Floyd] », explique Busta John, de la Fondation Busta John, l’une des six organisations locales derrière la marche du 7 juin.

Nous voulons parler des choses qui nous font mal, ici, au Québec. Nous savons que le français est la langue officielle du Québec, et même qu’on se bat pour qu’elle le reste, car nous sommes tous des Québécois.

Busta John

Melissa Calixte, membre du conseil d’administration de l’organisation Hoodstock, qui a pris part à l’organisation de la première manifestation, celle du 31 mai, note que les organisateurs des deux évènements sont des francophones pour la majorité, et que les anglophones qui y prennent part parlent aussi français.

« Je ne vois pas de noyau anglophone à la tête de cette lutte-là ici au Québec », dit-elle.

Ailleurs dans le monde

Autour du monde, le slogan Black Lives Matter a été largement repris par des dizaines de milliers de personnes, dit-elle. On l’a vu à Barcelone, Hong Kong, Lausanne, Paris, Milan, Brasília, Cracovie, Göteburg, Bruxelles, Rome et dans bien d’autres villes au cours des derniers jours.

Une langue, de nombreux pays
  • Le slogan Black Lives Matter a été repris dans de nombreuses villes francophones, notamment à Lausanne, en Suisse.

    PHOTO FABRICE COFFRINI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Le slogan Black Lives Matter a été repris dans de nombreuses villes francophones, notamment à Lausanne, en Suisse.

  • « Arrêtez de tuer nos enfants ! », peut-on lire sur un drapeau américain exhibé dimanche dernier à Rome, en Italie.

    PHOTO ALBERTO PIZZOLI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    « Arrêtez de tuer nos enfants ! », peut-on lire sur un drapeau américain exhibé dimanche dernier à Rome, en Italie.

  • La vague Black Lives Matter a traversé les continents. Sur notre photo, un manifestant, poings levés, à Hong Kong.

    PHOTO ISAAC LAWRENCE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    La vague Black Lives Matter a traversé les continents. Sur notre photo, un manifestant, poings levés, à Hong Kong.

  • À Paris aussi, la plupart des manifestants s’adressent aux autorités en anglais.

    PHOTO ANNE-CHRISTINE POUJOULAT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    À Paris aussi, la plupart des manifestants s’adressent aux autorités en anglais.

  • « No justice, no peace », ont clamé ces manifestants à Montréal.

    PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

    « No justice, no peace », ont clamé ces manifestants à Montréal.

  • À Barcelone, dimanche dernier : un peu d’espagnol, un peu de catalan… et beaucoup d’anglais.

    PHOTO LLUIS GENE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    À Barcelone, dimanche dernier : un peu d’espagnol, un peu de catalan… et beaucoup d’anglais.

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Lonely-Amanda Labourot, qui a prononcé un discours dimanche et qui est l’une des personnes derrière une lettre ouverte de plus de 700 signataires demandant à la tenue d’une table ronde numérique avec le Service de police de Montréal (SPVM), note que bien des efforts pour dénoncer les préjudices sociaux se font en français.

« L’utilisation des pancartes Black Lives Matter, slogan qui rappelle la violence de ce qui se passe aux États-Unis, n’est pas une importation de l’ampleur et de la profondeur du problème que l’on retrouve là-bas », dit Mme Labourot.

Ce qu’on importe, c’est l’urgence du sentiment d’inégalité. C’est dans la précipitation de communiquer cette urgence qu’il faut comprendre ce slogan.

Lonely-Amanda Labourot

Il est faux de croire que la communauté noire ne fait pas de différence entre le fait de vivre au Québec et celui de vivre aux États-Unis, dit-elle. Elle ajoute que la question du profilage racial, notamment par le SPVM, est bien documentée.

L’an dernier, un rapport accablant remis à la Ville de Montréal par des chercheurs universitaires a montré que les personnes autochtones et noires ont entre quatre et cinq fois plus de chances de faire l’objet d’une interpellation par les policiers du SPVM que les personnes blanches.

M.  Labourot et les signataires de la pétition demandent au premier ministre François Legault et à la mairesse de Montréal, Valérie Plante, de rehausser la lutte contre le racisme systémique.

Ils veulent notamment que soit rendu public le nombre d’arrestations effectuées par les policiers du SPVM qui n’ont pas donné lieu à des poursuites judiciaires, selon la catégorie ethnique des personne concernées, ainsi que le nombre de plaintes en déontologie policière, par catégorie ethnique du plaignant, notamment.

« On demande que les institutions soient transparentes, mais les autorités refusent de nous communiquer ces statistiques », dit-elle.

À ce titre, la politique de lutte contre la discrimination, que Montréal doit dévoiler le 8 juillet, est très attendue et sera très suivie par la communauté, dit-elle.

Discussion réclamée

Pour Melissa Calixte, il y a une absence de discussion des enjeux liés au racisme et au traitement des policiers envers les Noirs dans le monde télévisuel et radiophonique populaire québécois, et dans le monde politique. « S’il y avait une discussion, ça pourrait nous donner l’occasion de formuler notre propre langage, notre propre vocabulaire. »

Agnès Sylvie Moume, directrice de la fondation Racine Croisée, note que la mort de George Floyd a été « l’élément déclencheur » des manifestations. « Or, on dénonce une réalité québécoise et on cherche des solutions québécoises. Que ce soit au niveau du SPVM, au niveau culturel, au niveau économique… On ne veut pas juger, on veut une collaboration, un travail de fond. »

Max Stanley Bazin, porte-parole de la Ligue des Noirs, dit lui aussi avoir vu surtout des manifestants francophones dimanche. « J’étais sur place. J’ai parlé à des manifestants, et ils parlaient en français. »

Selon lui, la cause va au-delà des questions linguistiques. « La cause, c’est la discrimination, la brutalité policière. Je crois qu’il ne faut pas s’arrêter à la langue, mais bien au message. C’est surtout ça. Que le message soit en anglais ou pas, ce n’est pas ça qu’on doit retenir. On doit retenir la force du message dans sa globalité. »