(Québec) Après la Révolution tranquille des années 60, François Legault propose aux Québécois de faire une « évolution tranquille », cette fois-ci dans la lutte contre le racisme. Il promet d’annoncer « au cours des prochains jours » comment il entend mener ce combat de façon « pragmatique », alors que les policiers municipaux proposent déjà une première piste de solution : le port de caméras vidéo corporelles par les agents.

En point de presse à Montréal, le premier ministre François Legault a affirmé lundi qu’il « ne faut rien exclure » à ce moment-ci dans les moyens à prendre pour lutter contre le racisme, y compris au sein des forces policières. M. Legault était alors questionné sur le port de ces caméras corporelles par les policiers en fonction.

À Ottawa, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a aussi affirmé qu’il proposerait cette mesure aux premiers ministres des provinces lors d’une conférence téléphonique jeudi (voir autre texte).

« Au-delà des beaux discours »

François Legault a de nouveau refusé lundi de qualifier de systémique le racisme tel que vécu par les minorités visibles au Québec. La question est à nouveau revenue sur l’écran radar, alors que les milliers de manifestants qui ont marché dans les rues de Montréal et des autres villes de la province ont réclamé la fin de semaine dernière que le premier ministre cesse de nier cette réalité.

M. Legault a toutefois précisé qu’il « ne faut pas faire de beaux discours, il faut [désormais] agir » contre le racisme, au-delà du débat sur le mot « systémique ».

« Je suis quelqu’un de pragmatique. Au-delà des beaux discours, je vais vouloir des solutions pragmatiques dans plusieurs secteurs pour qu’une fois pour toutes, on fasse la lutte à ce mal qui gruge notre société », a plaidé le premier ministre.

Si on veut être capables de mettre fin au racisme au Québec, je pense qu’il faut d’abord être clair qu’on n’est pas en train de faire le procès des Québécois. Une grande majorité de Québécois ne sont pas racistes, mais il y a du racisme au Québec. Ce qu’il faut éviter, c’est de se diviser sur un ou plusieurs mots.

François Legault, premier ministre du Québec, lors de son point de presse

François Legault a également cité en exemple lundi les « succès » que le Québec a connus avec d’autres « luttes pour l’égalité ».

« Pensons à nos grands-parents, à nos ancêtres francophones. On s’est battus pour les droits des francophones au Québec. Même si ce n’est pas encore réglé, on a fait une lutte aussi pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Je pense qu’on peut être fier de dire que notre société a progressé et que cette valeur d’égalité est encore plus profonde au Québec qu’ailleurs dans le monde », a-t-il dit.

« On a [maintenant] le devoir ensemble de faire la lutte [contre le] racisme au Québec et d’avoir justement cette évolution tranquille. On est rendus là. Ce n’est plus tolérable », a ajouté M. Legault.

Une responsabilité partagée

En entrevue avec La Presse, le président de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec, François Lemay, déplore que l’on juge parfois le travail des policiers sur la foi de vidéos citoyennes qui ne montrent pas l’ensemble des interventions.

« Ce que les policiers veulent, c’est d’avoir l’ensemble d’une intervention [avant d’être jugé]. La caméra corporelle permet souvent [d’évaluer] le niveau de force utilisé par le policier lors de son intervention. C’est un outil additionnel […] qui n’est pas infaillible, mais qui est intéressant », affirme M. Lemay, dont l’organisation représente 5500 policiers travaillant dans 32 municipalités du Québec, dont Laval, Longueuil, Québec, Lévis et Gatineau, entre autres.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Exemple d’une caméra vidéo corporelle portée par un agent du SPVM, lors du lancement du projet-pilote à Montréal, en 2016

François Lemay rappelle que les policiers québécois ont été tout autant choqués que la population en voyant la vidéo de la mort de George Floyd, cet Afro-Américain tué lors d’une violente intervention par un policier blanc, ce qui soulève l’indignation dans plusieurs États du monde, y compris au Canada. Mais les policiers du Québec ne veulent pas qu’on rejette sur eux la responsabilité du racisme qui existe toujours aussi dans la province.

« Le racisme n’a pas sa place pour la Fédération. On condamne toutes formes de racisme et de discrimination. […] Dans les derniers jours, j’ai eu le sentiment qu’on voulait faire porter tout le blâme aux policiers. Pour moi, faire ça, c’est refuser collectivement de se poser [toutes les] questions sur le racisme à tous les Québécois », a-t-il affirmé à La Presse.

Moins de 1 % des interventions policières au Québec font l’objet d’une plainte en déontologie. Les policiers veulent construire [l’avenir] sur les 99 % des interventions qui se passent bien. On est ouverts à plus de formation, à s’améliorer et à mettre en place des choses qui vont nous permettre de mieux faire notre travail.

 François Lemay, président de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec

Le président de la Fédération des policiers et policières municipaux ajoute aussi que la question du financement des corps policiers municipaux doit être revue. Avec plus de soutien de Québec, dit-il, les villes pourraient multiplier les initiatives communautaires et mieux définir ce qu’est une police de proximité, proche des gens qu’elle dessert.

Mais François Lemay précise qu’il n’y a pas, selon lui, « de racisme systémique [au sein des corps policiers]. Il y a du racisme, [comme] il y en a ailleurs au Québec ». Le gouvernement a promis d’étudier la question du racisme et de la discrimination au sein des corps policiers dans la révision de la Loi sur la police en cours.

L’opposition réclame un plan détaillé

À Québec, les partis de l’opposition à l’Assemblée nationale réclament à nouveau un plan détaillé du gouvernement pour lutter contre le racisme.

Le leader parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, affirme que Québec pourrait rapidement mettre en place plusieurs mesures, comme embaucher dans la fonction publique « un nouvel employé sur quatre issu des minorités visibles » jusqu’à ce que leur proportion soit équivalente à ce qu’elles représentent dans la population générale.

En matière d’emploi, le Parti québécois demande pour sa part que le gouvernement qu’il se penche « sur un des grands problèmes de l’intégration au travail des communautés culturelles, soit la discrimination à l’embauche ».

« Nous proposons donc au gouvernement de mettre en place un projet de soumissions de CV anonymes. Un candidat ne pourrait pas être écarté à la seule lecture de son nom. Les évènements des derniers jours ont eu l’effet d’une véritable prise de conscience collective sur le sort des personnes issues des communautés culturelles au Québec. Nous nous devons de prendre des mesures concrètes, et ce, dès maintenant », estime la députée péquiste Méganne Perry Mélançon.

Questionné par La Presse, le Parti libéral a sa pour sa part réitéré qu’il réclamait « un plan d’action concret » de Québec.