(Québec) Des enfants en bas âge scotchés à leur écran, des parents souvent eux-mêmes dépendants à leurs outils électroniques et des écoles qui ont intégré la tablette jusque dans les cours d’éducation physique…

À l’invitation du gouvernement québécois, des dizaines d’experts se sont réunis lundi à Québec pour discuter de l’impact des écrans chez les jeunes. Leurs conclusions sont inquiétantes.

« On est un peu comme dans les années 60 ou 70 avec le tabagisme pour les écrans. En ce moment, rien n’est fait vraiment pour aider la population à se réguler quant au temps écran », déplore Patricia Conrod, professeure au département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal.

Le temps d’écran est un sujet de discorde dans bien des familles québécoises. Avec raison, préviennent les experts qui se sont succédé au micro.

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Patricia Conrod, professeure au département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal

Le temps d’écran aurait selon eux un effet néfaste sur les habiletés langagières des enfants d’âge scolaire, un lien avec une hausse marquée de la myopie, de la dépression et de l’anxiété…

« Le taux de myopie a doublé dans les 20 dernières années. C’est un phénomène de santé publique inquiétant. Je vois des enfants de 3 ans qui entrent dans mon cabinet avec-3 de dioptrie », s’inquiète Langis Michaud, professeur à l’école d’optométrie de l’Université de Montréal.

La recherche sur les écrans en est à ses balbutiements. L’une des difficultés est tout simplement de connaître l’ampleur du phénomène : combien d’heures par jour les enfants et les jeunes passent-ils devant un écran ? La multiplication des outils numériques complique la donne.

Mais à peu près tous les experts qui ont pris la parole lundi s’entendent pour dire que les écoles et les parents auraient intérêt à utiliser le principe de précaution en ce qui concerne les écrans.

« La cyberdépendance est un phénomène trop peu documenté. Je le vis personnellement », a expliqué le député caquiste Éric Caire, rencontré en marge de la conférence.

J’ai une carrière en informatique. Je me considère comme un initié du sujet. J’ai un de mes enfants qui a développé une cyberdépendance et je n’ai rien vu aller. Les parents ne sont pas outillés. Je pense que l’école peut nous aider là-dedans pour accompagner les enfants et les parents.

Le député caquiste Éric Caire

Des parents souvent dépassés

À quel âge introduire l’écran chez les jeunes enfants ? Comment encadrer l’usage des écrans chez les adolescents ? Devant ces questions, les parents sont souvent dépassés.

La recherche tend à démontrer que plus les enfants passent de temps devant un écran entre 2 et 4 ans, moins ils sont préparés à commencer l’école, rappelle Caroline Fitzpatrick, professeure adjointe en psychologie à l’Université Sainte-Anne.

« Le temps d’écran a un effet néfaste sur les habiletés langagières des enfants d’âge scolaire », prévient quant à elle Tania Tremblay, neuropsychologue et professeure au Département de psychologie du Collège Montmorency.

Mais comment un parent peut convaincre un jeune de laisser tomber l’écran s’il est lui-même scotché à son téléphone portable à la maison ? Ce phénomène a même donné naissance au concept de « technoférence » : l’interférence de la technologie dans les relations interpersonnelles.

Les enfants ont besoin d’échanges de haute qualité avec les donneurs de soins, les environnements saturés par les écrans réduisent le temps alloué à ces échanges de qualité.

Mme Fitzpatrick

Les écoles québécoises ont quant à elles ouvert bien grand leurs portes aux écrans, notamment aux tablettes. « Ma fille a cassé son iPad dans son cours d’éducation physique », s’étonne Mélanie Henderson, pédiatre endocrinologue, épidémiologiste et chercheure au CHU Sainte-Justine.

« Il faut quand même se questionner : est-ce qu’on utilise le iPad à sa juste valeur en l’intégrant dans un cours d’éducation physique ? » demande l’experte.

« Est-ce que ces outils pédagogiques apportent plus qu’ils nuisent ? Poursuit Mme Henderson. Il faut se poser la question rapidement parce qu’on ne veut pas attendre une génération avant de se rendre compte que les iPads à l’école, ç’a nui. »

Que fera la CAQ ?

La conférence de lundi a été organisée à la demande du ministre délégué à la Santé et aux services sociaux, Lionel Carmant. Elle sera suivie d’une seconde journée de consultations, le 20 mars, auprès de groupes communautaires cette fois-ci.

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Le ministre délégué à la Santé et aux services sociaux, Lionel Carmant

« Le gouvernement doit jouer un rôle. Peut-être en retardant l’introduction au temps d’écran. Il faut être beaucoup plus strict avec les 0-5 ans qu’en ce moment », a réagi le ministre Carmant après la conférence.

M. Carmant, qui espère déposer un plan d’action d’ici la fin de l’année 2020, a convenu que l’abus des écrans représente un problème de santé publique.

L’opposition officielle demande quant à elle deux mesures très claires : l’État doit mieux informer les parents et la place de l’écran à l’école doit être encadrée.

« Ce qu’on a entendu c’est que c’est un peu un free for all » dans les écoles, a déploré le député André Fortin, du Parti libéral du Québec (PLQ).

La chercheure Mélanie Henderson a bien résumé l’esprit de plusieurs interventions : « On va devoir, comme société, créer des stratégies pour diminuer les temps d’écran. »

Les prochains mois diront comment le gouvernement entend s’attaquer à cet épineux problème.