(Sainte-Marie-aux-Mines) Ils aimaient le risque et l’adrénaline. Tandis que les recherches se poursuivent au Québec, La Presse s’est rendue dans le village français d’où sont originaires cinq des huit touristes français tombés jeudi dans les eaux glacées du lac Saint-Jean.

« Si je les connaissais ? Jean-René était le petit-cousin de ma femme. Alors vous pensez bien. »

Assis dans sa voiture stationnée, l’homme hésite à parler. Quand on lui dit qu’on vient du Québec, sa femme, qui n’avait jusque-là rien dit, fond en larmes.

« C’était un jeune homme plein de vie. Il aimait le motocross. Il n’avait que des passions, dit-elle entre deux sanglots. Vous imaginez. Il y a ses parents qui attendent. Qui ne savent pas. C’est terrible. »

Elle refuse de nous donner son nom, se mouche, puis supplie son mari de démarrer. Fin de la conversation.

À Sainte-Marie-aux-Mines, municipalité de 6000 âmes située dans le val d’Argent, à une soixantaine de kilomètres de Strasbourg, dans l’est de la France, on est encore sous le choc. Des huit motoneigistes français accidentés mercredi au Lac-Saint-Jean, cinq venaient de la région. Trois ont survécu. Pour les deux autres, on ne sait toujours pas.

Au moment d’écrire ces lignes, on recherchait encore les corps de Julien Benoît, 34 ans, et Jean-René Dumoulin, 24 ans. Mais les six motoneiges retrouvées au fond des eaux par la Sûreté du Québec laissent peu d’espoir.

Des fêtards téméraires connus de tous

De tels faits divers ne passent pas inaperçus, surtout dans les petites communautés. À Sainte-Marie-aux-Mines, ancien carrefour français du textile transformé en ville dortoir, tout le monde se connaît. Et tout le monde connaissait cette bande d’amis réputés pour leur sens de la fête et leur goût du risque.

Un arrêt au bistrot À la ville de Strasbourg permet de tâter le pouls. On tombe sur Jonathan, la vingtaine. Encore secoué. Il jouait au soccer avec Julien. 

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Le bistrot À la ville de Strasbourg, au cœur de Sainte-Marie-aux-Mines

« Avec lui, on s’amusait bien, on se retrouvait toujours au bar. » Un silence, puis il ajoute : « Le pire, c’est que sa copine était enceinte… »

Un peu plus loin, debout au comptoir, Gégé accuse le coup. C’est un autre cousin de Jean-René. Ils ont tous les deux travaillé chez Dumoulin, entreprise de débardage appartenant au père de Jean-René.

L’œil mouillé, Gégé dit qu’il ne fera pas son deuil « tant qu’il y aura de l’espoir ». Il en veut en revanche au guide québécois qui était avec les huit touristes. Il a lu et écouté les nouvelles. Il est convaincu que c’est lui, le responsable de la tragédie.

Théorie alternative

Est-ce que ça s’est vraiment passé comme ça ? Dans la région, le bruit court que ce sont les touristes qui sont d’abord sortis du chemin balisé et que leur guide essayait de les rattraper.

C’est du moins ce qu’affirme Christophe, un ami de Jean-René, croisé sur son motocross, en plein cœur du village.

Jean-René avait une réputation de casse-cou, affirme Christophe. Il était champion de Lorraine de motocross, un vrai trompe-la-mort. « Il n’avait peur de rien », dit-il.

L’an dernier, avec Julien, Jean-René était parti faire de la moto en Mongolie. Cette année, c’était le Québec à motoneige. Il ne serait pas du tout surpris que les deux jeunes hommes aient agi avec témérité.

Ce scénario est écarté par Eddie Fassel, père de Gaston, 30 ans, l’un des trois survivants de la tragédie.

Le quinquagénaire, qui vit dans les bois à l’extérieur de Sainte-Marie, refuse de nous laisser entrer. « Trop d’émotion, pas prêt. » Du haut du mur qui ceinture son immense maison, il nous accorde tout de même quelques secondes.

Son fils « va bien », dit-il. Comme les deux autres survivants, Bruno Petitdemange, 60 ans, et Paul Klein, 43 ans, il est maintenant de retour en France, mais pas encore au village. D’après ce que Gaston lui a dit, c’est bel et bien le guide qui aurait mené les touristes en terrain dangereux.

On essaie d’en savoir plus chez Charlotte Klein, la mère de Paul. Mais l’accueil est encore plus froid.

Même chez les survivants, on encaisse.

Le prix d’une « quête d’adrénaline »

Peu importe la façon, cet accident ne surprend pas totalement ceux et celles qui ont connu Jean-René.

Pour Françoise, septuagénaire rencontrée au bistrot À la ville de Strasbourg, le jeune homme a fini par payer le prix de sa quête d’adrénaline. Ça aurait pu être à motocross, dans les montagnes du val d’Argent. Ce fut à motoneige, au Lac-Saint-Jean.

« Il y a des gens qui en font toujours un peu plus que la norme. On met tout sur le dos du guide, mais le gars, il a toujours été en quête de sensations fortes. C’est une façon de vivre. Tant que ça se passe bien, ça va, mais quand il y a des emmerdes, ça peut mal tourner. »

À l’extérieur de l’établissement, cinq ou six personnes fument des cigarettes.

Un client, qui a capté notre accent, nous confie qu’il écoute depuis mercredi les nouvelles sur TVA « parce que c’est mieux que les médias français ».

Un autre nous demande si les accidents de motoneige sont fréquents au Québec.

Discrète jusqu’ici, Émeline, la jeune vingtaine, finit par prendre la parole. Elle les connaissait tous très bien. Jean-René était le meilleur ami de son frère.

Elle non plus n’a pas fait son deuil. Mais elle s’inquiète déjà pour l’avenir.

« Partir à huit, revenir à trois. Ceux qui restent ne s’en remettront pas. »