Des séries télé comme Unité 9 et Orange Is the New Black se sont intéressées à la vie des femmes en prison. Mais derrière le filtre de la fiction, comment la vie « en dedans » se passe-t-elle réellement ? Dans une série de chroniques, la détenue Viviane Runo* lève le voile sur le quotidien des femmes au pénitencier de Joliette.

Qu’on les jette aux crocodiles ! Devant le fanatique, l’intoxiqué, le criminel, le pédophile ou l’assassin, c’est l’envie de tous. Face à la menace ou à l’insécurité, la partie primitive de notre cerveau donne l’alerte et nous dicte de fuir. C’est l’instinct de survie qui nous habite et nous protège de la mort.

Le monde moderne a toutefois bien évolué depuis l’Antiquité. Finis les coups de fouet qui, au fond, rendaient l’homme plus féroce et plus révolté qu’il ne l’était. De nos jours, on ne traite plus les délinquants de la même façon. On reconnaît la maladie mentale et les comportements asociaux liés aux traumatismes vécus durant l’enfance. On considère aussi les enjeux sociaux conduisant à la criminalité.

Bien des gens n’en crient pas moins vengeance. Je les entends clamer que bien d’autres personnes ont souffert et ne sont pas devenues délinquantes pour autant. C’est vrai. Il reste que la majorité ne réussit pas à s’en sortir pleinement. Ils deviennent les fragilisés de notre société. Et parmi eux, une fraction adoptera un mode de vie antisocial. Toxicomanie, alcoolisme, dépendance affective ou hypersexualité seront de la partie… S’ensuivra, possiblement, une montée de la violence.

Moi-même issue d’une famille de classe moyenne jugée normale, du moins d’un point de vue extérieur, j’ai subi de nombreux sévices psychologiques, physiques et sexuels… tout comme la majeure partie des femmes incarcérées.

Pourtant, mes tourments passés me semblent bien dérisoires à côté des histoires d’horreur entendues durant mon emprisonnement… Et que dire de celles qui sont nées ou ont grandi dans des familles de contrevenants ? La criminalité se lèguerait-elle en héritage ?

Cela n’excuse aucun délit, c’est certain. Néanmoins, il est facile de comprendre que la délinquance n’est pas innée chez l’individu et que les comportements déficients peuvent être réformés.

Aujourd’hui, psychiatres, criminologues et compagnie conviennent que l’intervention psychologique permet la réhabilitation d’un grand nombre de délinquants… même si, quelquefois, il faut plus d’une condamnation pour atteindre l’objectif.

Équipes et programmes

Quand le maillet du magistrat tombe avec notre peine, nous passons au système pénitentiaire. Une équipe de gestion de cas composée d’un intervenant de première ligne (IPL), d’un agent de libération conditionnelle (ALC) et du gestionnaire, évaluation et intervention (GEI), nous est affectée. Nous serons désormais étudiées et évaluées sous la loupe carcérale.

Nous sommes fortement encouragées à retourner aux études ou au travail et à suivre des programmes adaptés à nos besoins. Ces cours élaborés par de grandes entreprises ont été adaptés aux problèmes liés à la criminalité. Il y en a pour tous les goûts… et de tous les genres.

Permettez-moi d’en citer quelques-uns : le programme d’engagement des délinquants et le programme d’intervention modulaire pour délinquantes, où nous sommes initiées à la maîtrise de soi et à la reconnaissance de notre problématique de délinquance. Les outils (comme on les appelle) nous permettent de résoudre nos problèmes efficacement et d’apprendre à mieux communiquer. Le programme de traitement pour délinquantes sexuelles, également offert, se passe d’explications. Il y a aussi la thérapie comportementale dialectique et un programme de survivantes d’abus et de traumatismes, ainsi qu’un programme de compétences parentales qui, je crois, devrait être disponible aux familles aux prises avec des difficultés. Sans oublier les programmes s’adressant aux populations autochtones.

Certains de ces programmes pourraient se donner à l’école secondaire ou, du moins, aux premières infractions criminelles. Faut-il garder la prison provinciale dans ses habits poussiéreux et attendre que les contrevenants finissent dans un pénitencier fédéral pour travailler à une réhabilitation possible ? De prime abord, le coût sociétal serait plus élevé, mais à long terme, la société bénéficierait d’une économie substantielle, puisque cela éviterait bien des incarcérations.

Pas de gants blancs

Participation et motivation lors des programmes, évaluation scolaire ou de travail, rapports psychologiques : tout sera décortiqué, analysé et consigné. Au bout du compte, notre agent de libération conditionnelle pourra recommander, ou non, une libération conditionnelle devant les commissaires. Pour les condamnations à vie, 10 ans et plus, toute permission doit être accordée par ce comité (sauf pour les sorties médicales).

Les commissaires scruteront notre dossier à l’instant où une demande sera déposée. Leurs expertises et leur détermination à protéger la société de récidivistes dangereux feront d’eux des interrogateurs résolus. Ici, pas de gants blancs, je vous l’assure !

J’ajouterai que ceux qui croient qu’il est aisé pour les délinquants de mentir et de jouer la comédie ne savent assurément pas que ce collectif d’experts tend un filet très serré. Les « réchappés » font couler beaucoup d’encre. Mais si on fait le calcul, on s’aperçoit que les commissaires méritent plus de respect qu’ils n’en reçoivent.

Post-scriptum

C’est l’addition des outils de programmes et d’un retour à l’école, multipliée par les encouragements d’une extraordinaire enseignante de français, qui m’a permis de réaliser mon rêve de jeunesse : l’écriture de roman (deux, pas encore publiés), et qui m’a menée sur le chemin du journal La Presse.

* Nom fictif, pour préserver son anonymat