C’est beau, 2020. À l’œil, c’est graphique. Deux, zéro, deux, zéro. Coquet. À l’oreille aussi, ça se dit bien. Vingt, vingt. Une note parfaite. Un test de vision réussi. Vin, vin. Un grand cru, aussi.

En plus, c’est le début d’une décennie. Cela dit, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais les changements de décennie ne sont pas aussi euphorisants qu’avant. Au XXe siècle, quand on terminait un cycle de dix ans, on venait de clore un chapitre important. Ça se sentait. Les années 20, les années folles. Les années 30, la crise et la montée du fascisme. Les années 40, la guerre et la paix. Les années 50, le rock et la guerre froide. Les années 60, les Beatles et l’espace. Les années 70, le pétrole et les gros chars. Les années 80, le cash et la coke. Les années 90, la fin de l’empire soviétique et le triomphe de l’informatique.

Chaque décennie était le début d’un nouvel épisode. De dix ans en dix ans, les gens n’avaient pas la même tête, les mêmes fringues ni les mêmes habitudes. On voyait une photo, on pouvait dire durant quelle décennie elle avait été prise. Je vous mets au défi de comparer une photo de 2009 avec une de 2019. Il y a de nouveaux filtres, mais les mêmes faces.

C’est la faute à l’an 2000 si les décennies ne revêtent plus le même intérêt. Le passage à l’an 2000, c’était tellement gros, tellement big. Ce n’était pas seulement la venue d’une nouvelle décennie. Ce n’était pas seulement la venue d’un nouveau siècle. C’était la venue d’un nouveau millénaire ! Tous les chiffres sur le compteur changeaient. De 1-9-9-9 à 2-0-0-0. Wow ! Méchant party. Avec pas de bogue.

Après avoir vécu un changement de millénaire, un changement de décennie ne t’excite pas autant le poil des jambes. Dix ans ? C’est rien, dix ans. C’est une goutte d’eau. Y a pas eu beaucoup d’extravagances, quand on est passés de 2009 à 2010. On n’avait même pas encore fini de payer la veillée de l’an 2000. Deux mille dix, ouais pis ? On se calme. On change de millénaire dans 990 ans, on ne va pas s’empêcher de dormir pour ça.

La décennie 00 passera à l’histoire pour le terrorisme et la suivante, pour le réchauffement climatique. Ce sont toujours les drames qui passent à l’histoire et gagnent les Oscars.

Outre cela, on n’a pas inventé une nouvelle musique comme le rock, une nouvelle doctrine comme le communisme ou marché sur la Lune. Tout ça, on l’a fait dans l’autre siècle. Durant les deux dernières décennies, on était trop occupés. Trop occupés à déménager. C’est surtout ça qu’on fait, depuis 20 ans. On déménage. Tout ce que l’homme a ramassé en 300 000 ans, il l’a déménagé dans son téléphone.

Avant le journal était sur la table de la cuisine, maintenant il est dans le téléphone. Avant la musique était sur les tablettes dans ta chambre, maintenant elle est dans ton téléphone. Avant la télé était dans ton salon, maintenant elle est dans ton téléphone. Avant les chemins étaient sur la carte routière dans la boîte à gants, maintenant ils sont dans ton téléphone. Avant tes amis étaient au café d’à côté, maintenant ils sont dans ton téléphone.

Apple, Google, Samsung, ce sont des Clans Panneton planétaires. Ils prennent tout ce que vous aviez déjà chez vous et le rentrent dans leurs appareils pour vous le redonner. Ou plutôt vous le revendre. On est les propres acheteurs de notre grosse vente de garage. On achète tout ce que l’on a déjà, une deuxième fois. Avant tout était sous le soleil, maintenant tout est dans le nuage.

Si, en apparence, les changements des deux dernières décennies sont moins marqués que ceux entre un rocker des années 50 et un hippie des années 60, en profondeur, les changements de mentalité évoluent plus vite que jamais. Durant des années, l’individu a remis en question la société. Sans pour autant la changer. Aujourd’hui, l’individu se remet en question lui-même. Il a compris que c’est tout ce qu’il pouvait changer. Et il change. Les réponses ne viennent plus de l’extérieur. Elles viennent de lui. Il ne tient plus rien pour acquis. Ni son sexe ni sa vie. Il affiche de plus en plus sa différence. Et c’est tant mieux.

OK, vous me direz que la plupart des gars ont les cheveux rasés sur le côté et longs sur le dessus, alors pour la différence, on repassera, mais quand même.

C’est l’époque de tous les paradoxes. Le plus vertigineux : pour sauver la race humaine, on ne veut plus faire d’enfants. Mais alors, ce sera qui, la race humaine ?

Donc voilà, on est en 2020. Ça sonne loin. On va s’y habituer. Mais pour l’instant, chaque fois qu’on l’entend, ça sonne étrange : 2020. C’est une année de film de science-fiction. Et pourtant, c’est pas demain. C’est aujourd’hui. Faut pas être trop impressionnés. Après tout, la véritable année de la folle histoire de notre univers est 15 milliards. C’est long à écrire sur un chèque, et faut surtout pas se tromper de ligne.

On est en 15 milliards. Ça remet tout en perspective. Dix ans, c’est un pet à côté de ça. Et un an, un clignement d’œil. Je vous souhaite le plus heureux des clignements d’œil. On sait déjà que ça va passer trop vite. Alors profitons-en pour nous regarder les uns les autres. Pas seulement sur un écran.

Bonne année ! Je sais, je vous l’ai dit la semaine dernière, mais c’était l’année dernière. Alors bonne année, cette année, toute l’année !