Des séries télé comme Unité 9 et Orange Is the New Black se sont intéressées à la vie des femmes en prison. Mais derrière le filtre de la fiction, comment la vie « en dedans » se passe-t-elle réellement ? Dans une série de chroniques, la détenue Viviane Runo* lève le voile sur le quotidien des femmes au pénitencier de Joliette.

D’un côté comme de l’autre des murs, les personnes diffèrent par leurs champs d’intérêt, leur bagage culturel et leur mode de pensée. Par contre, nous devons tous subvenir à nos besoins. C’est la façon de faire qui change la donne !

Aujourd’hui, pour surmonter les nombreux défis de la vie et survivre dans une société qui nécessite qu’on se surpasse de plus en plus en tant qu’individu, il faut s’imposer une solide hygiène de vie. Ce quotidien qui nous désespère par sa routine et que nous tentons de répudier par moments nous évite bien des maux. Nos familles, nos amis nous protègent de malheurs en nous ramenant à nos valeurs profondes quand nous perdons pied. Seulement, pour cela, il faut savoir communiquer et savoir écouter. Certaines n’ont pas su ou n’ont pas pu communiquer, tandis que d’autres n’ont pas trouvé le soutien nécessaire. Pour toutes ces dernières, la prison ouvre ses portes.

Dans cet esprit, le Service correctionnel du Canada impose aux détenues une routine de vie proche de la réalité extérieure afin d’augmenter leurs chances de réhabilitation.

Pour les femmes qui travaillaient déjà avant leur arrivée, l’horaire carcéral permet de trouver un repère familier. Pour les autres, la planification journalière s’avère difficile à gérer.

J’ai connu des femmes sans aucune expérience de travail légal. Imaginez leurs difficultés à faire des compromis avec leurs collègues ou à suivre les instructions d’un patron ! C’est tout un apprentissage. Pour leurs consœurs aussi. Malgré tout, l’expérience se révèle souvent profitable ; de nouveaux champs d’intérêt et de nouveaux talents se découvrent.

Pareil

L’emploi du temps carcéral se modèle sur un horaire commun à bien des gens. Il y a le travail, l’école, l’épicerie du jeudi, la préparation des repas, les devoirs, les cours de perfectionnement, la journée de la paye, le petit qui est malade, les courses, la visite, les appels téléphoniques qu’on désire faire et ceux qu’on voudrait éviter, les loisirs, le souper du dimanche, la télévision, les poubelles à sortir, la fin de semaine. Et toutes les tâches en « age » qui collent trop souvent au genre féminin : lavage, repassage, pliage, époussetage et toutes les corvées de ménage ainsi que le placotage avec la voisine.

Pas pareil

À l’écoute des appels, sept jours sur sept, de 7 h à 22 h 30. Vous pouvez être appelée dans différents secteurs et pour différentes raisons. On s’arrête… on écoute ! Du moins, celles qui ne veulent pas faire perdre de temps aux membres du personnel. Cependant, ce n’est pas toujours évident !

Sans compter qu’il est impératif d’être en mode ADAPTATION. Pour commencer, vous devez vous acclimater à une vie en commun. Si vous avez de la difficulté à endurer votre belle-sœur ou votre belle-mère dans votre cuisine, imaginez cette scène : de 8 à 10 femmes, une cuisinière à quatre éléments dont un seul est large, quelques chaudrons, deux éviers, un bout de comptoir pour couper vos aliments, car les couteaux sont enchaînés à un tiroir qui est verrouillé à 22 h 30.

Il faut aussi s’accoutumer à côtoyer des femmes que vous n’auriez jamais approchées en d’autres circonstances. Au-delà de ces divergences initiales, que dire du fait de vivre dans un milieu où troubles de la personnalité et déficiences mentales sont réunis ? L’échantillon est complet : les narcissiques, les égocentriques, les paranoïaques, les bipolaires, les mythomanes, les cleptomanes, les dépendantes affectives, les angoissées, les arrogantes, les je-m’en-foutistes, les « complotistes », les dominantes qui s’imposent coûte que coûte ou sournoisement, les manipulatrices, les éternelles victimes et les vengeresses qui s’offensent d’un rien ou qui s’inventent une justification.

Une bévue quelconque, une parole mal placée ou mal interprétée, un ton de voix plus sec ou un grand soupir d’exaspération vont entraîner de nombreux ronds dans l’eau et peuvent devenir remous. Et gardez-vous de dire trop de vérités ou de perdre patience devant la puérilité de certains agissements, vous courez à la catastrophe de type « tsunami ».

Autres sources de divergences : les réunions d’unité, les programmes qui vous arrachent des larmes avec vos illusions, les fouilles de votre chambre/cellule, les fouilles d’unité, les fouilles par palpation, les fouilles à nu, les fouilles surprises et les fouilles générales. Avec le temps, j’ai compté que plus d’un millier de mains ont fureté dans mes effets personnels !

Et puis nous sommes soumises à de multiples rapports. Rapports d’observation faite par les IPL (intervenants de première ligne) durant leurs fréquentes rondes, rapports protégés dus aux renseignements réels ou mensongers des détenues, rapports de rendement au travail, rapports de programmes, rapport de votre IPL tous les 45 jours et rapports de sécurité. Sans oublier les « pipi tests » qu’un pourcentage de la population carcérale, choisi au hasard, doit passer tous les mois. 

Heureusement, quelques loisirs et de menus plaisirs tels que bingos, soirées karaoké, fêtes communautaires ou journée ethnoculturelle (fête des cultures) sont organisés et payés par le Comité des détenues. Aussi, des Clubs de lecture, français et anglais, ont été formés grâce à la contribution d’une société torontoise à but non lucratif : Book Club for Inmates. Une belle façon pour les détenues de s’ouvrir sur le monde de la lecture, d’apprendre à connaître nos talents québécois et de découvrir des auteurs étrangers. De menus plaisirs, certes, mais qui trompent l’ennui des soirées carcérales tout en allégeant les journées très chargées émotivement. De plus, lors de querelles d’unité, soit à cause des tâches ménagères, de vols de nourriture ou du non-respect des règles de la maison, nous cherchons conseil auprès des IPL. Généralement, les solutions apportées empêchent l’escalade des conflits et rendent la vie plus acceptable dans cette jungle humaine.

À la fin d’une journée carcérale (pas toujours aussi remplie), on s’étend sur notre étroit lit de bois surmonté d’un mince matelas plastifié en espérant que les agents qui feront la ronde de nuit ne seront pas trop bruyants… ne claqueront pas la porte en sortant… ne se raconteront pas une tranche de vie dans le couloir… ni ne nous éclaireront en plein visage, au lieu du mur, pour vérifier si nous sommes toujours de ce monde.

* Nom fictif, pour préserver son anonymat