Des acteurs des milieux collégial et universitaire n'ont pas été tendres envers la réforme du ministre Simon Jolin-Barrette... ni envers l'ex-étudiant de l'Université de Montréal.

Les modifications au Programme expérience Québec (PEQ) du gouvernement de François Legault continuent de soulever la grogne et l’incrédulité, alors que des experts accusent Québec d’avoir une vision « simpliste » et de miner l’attrait de la province aux yeux des étudiants internationaux.

« Ce que je déplore, c’est la façon dont ces enjeux-là sont vus de manière tellement simpliste par le gouvernement, dit Robert Gagné, professeur titulaire au département d’économie appliquée de HEC Montréal et directeur du Centre sur la productivité et la prospérité. Ou bien ils savent et font comme s’ils ne savaient pas, ou bien ce sont des ignorants. Ça n’a pas de bon sens. »

M. Gagné déplore que la réforme du PEQ prive le Québec d’étudiants motivés qui sont courtisés par différents pays et établissements. « Il ne faut pas penser que nous sommes seuls au monde […]. Globalement, il y a une course pour attirer le talent. Les gens qui immigrent pour étudier ici, ils quittent leur famille, leur réseau. Ils prennent une grosse décision », dit-il, ajoutant qu’il est vain pour le gouvernement de « jouer les devins » en essayant de prévoir quels secteurs de l’économie auront besoin de plus de candidats fraîchement diplômés dans le futur.

« Surprise totale »

Le gouvernement Legault a annoncé la semaine dernière qu’il modifiait le PEQ, programme d’immigration qui sert de voie rapide à l’obtention de la résidence permanente pour les étudiants étrangers au Québec et les travailleurs temporaires déjà installés dans la province.

L’impact de la réforme pourrait se faire particulièrement sentir dans des endroits où une importante proportion d’élèves vient de l’étranger. C’est le cas du cégep de Matane, où 45 % des 700 élèves de l’établissement viennent de l’international, l’une des proportions les plus importantes du réseau collégial québécois.

Pierre Bédard, directeur général du cégep de Matane, dit que l’annonce des modifications au PEQ a été « une surprise totale » pour lui comme pour les enseignants et les élèves du cégep. « Personne ne s’attendait à ça. Le gouvernement ne nous a pas demandé notre avis.

L’impact est majeur, car moins d’étudiants, ça signifie moins d’employés au cégep de Matane, et les enseignants seront les premiers à écoper.

 Pierre Bédard, directeur général du cégep de Matane

Sur les 218 domaines de formation sélectionnés par le gouvernement, cinq sont offerts au cégep de Matane : soins infirmiers, techniques de l’informatique, techniques de physiothérapie, techniques d’intégration multimédia et technologie de l’électronique industrielle.

En revanche, quatre programmes offerts sont exclus de la liste : techniques d’aménagement du territoire et d’urbanisme, techniques de tourisme, techniques d’animation 3D et de synthèse d’images et photographie.

« C’est étonnant que ces programmes soient exclus, car les taux de placement des diplômés y sont de près de 100 %, dit M. Bédard. Les gens sont flexibles. Un finissant en photo peut prendre un emploi de caméraman. On le voit localement, ils répondent à de réels besoins. »

M. Bédard, qui se dit soulagé que le gouvernement ait fait volte-face dans le cas des élèves déjà inscrits, note que la liste des programmes d’études donnant accès au PEQ sera appelée à changer au fil des ans, ce qui place une épée de Damoclès au-dessus de la tête des élèves étrangers actuels et futurs.

« Même si j’ai un étudiant en multimédia qui a aujourd’hui droit au PEQ, je n’ai aucune garantie qu’à la fin de son diplôme, son programme va être encore dans la liste. C’est une grande insécurité pour ces étudiants-là. Je pense que des étudiants potentiels vont choisir de ne pas venir au Québec. Actuellement, je fais du recrutement pour la rentrée de 2020. De quoi aura l’air la liste à ce moment-là ? On l’ignore. »

Moratoire demandé

Mercredi, le Syndicat des enseignants et enseignantes du cégep de Matane a demandé un moratoire sur le projet de modifications apportées au PEQ.

« Nous sommes particulièrement inquiets […]. Pour les jeunes actuellement inscrits dans nos programmes, il nous apparaît inconcevable que les règles du jeu changent en cours de route. Les étudiantes et étudiants qui proviennent de partout dans le monde sont une richesse pour notre communauté », a déclaré dans un communiqué Yannick Malouin, 2e vice-président du SEECM-CSQ.

Jolin-Barrette désavoué par son alma mater

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Simon Jolin-Barrette a entamé son doctorat à l'Université de Montréal avant d'interrompre ses études pour se lancer en politique.

À la faculté de droit de l’Université de Montréal, là même où le ministre Simon Jolin-Barrette a entamé son doctorat, les va-et-vient du parti sur le dossier de l’immigration ont uni étudiants et professeurs dans le désarroi.

Jean Leclair, professeur spécialiste en droit constitutionnel, supervisait la thèse de Jolin-Barrette avant que celui-ci n’interrompe ses études pour se lancer en politique. Unissant sa voix à celle de son recteur Guy Breton, M. Leclair n’a pas été avare de critiques à l’endroit des dernières décisions politiques de son ancien étudiant et de son parti.

« Tout ce que j’y vois, ce sont des relents de l’Union nationale, au point où je me demande si leur prochain projet n’est pas la colonisation de l’Abitibi », ironise M. Leclair, par ailleurs administrateur de la Société des anciens de la Fondation Pierre Elliott Trudeau.

Il accuse notamment la Coalition avenir Québec (CAQ) de faire le jeu des populistes et perçoit le changement de règlement au Programme de l’expérience québécoise comme « une des pires politiques publiques » des dernières années.

Je pense qu’ils se sont enferrés dans un discours racoleur, de nationalisme à la petite semaine, et là ils doivent livrer la marchandise. On doit nourrir la bête.

Jean Leclair, professeur spécialiste en droit constitutionnel

Jean Leclair a vertement dénoncé l’usage de la clause dérogatoire par la CAQ. « C’est ça qui est dramatique, et ce n’est pas ce qu’il a appris à la faculté de droit de l’Université de Montréal », assène le professeur en parlant de son ancien étudiant.

Rassurés, mais pas entièrement

Selon le président de l’Association des cycles supérieurs en droit (ACSED) de l’UdeM, Nicolas Gervais, environ la moitié des 600 membres de l’association sont des étudiants étrangers. Parmi ceux-ci, plusieurs ont (ou avaient) comme plan de s’établir au Québec, souligne-t-il.

Aurore Dumazet, étudiante à la maîtrise en droit à l’UdeM, a été soulagée par l’adoption d’une clause de transition, mais le flou demeure. Idem pour son copain, un étudiant français à la maîtrise en économie, qui est venu avec Mme Dumazet s’établir pour de bon au Québec.

Je me suis sentie un peu flouée. J’ai tout quitté, amis et famille, pour venir m’intégrer ici. Maintenant, j’attends de savoir ce qu’il va se passer.

Aurore Dumazet, étudiante à la maîtrise en droit à l’Université de Montréal

Ledy Rivas Zannou, doctorant originaire du Bénin, trouve paradoxale l’initiative du gouvernement caquiste.

« Ce que le gouvernement Legault est en train de dire, c’est qu’il ne veut plus personne, mais que vous pouvez venir vous faire former ici, argue-t-il. Ça veut dire que les impôts des citoyens québécois sont mobilisés pour former des ressources dont profiteront d’autres provinces ou d’autres États. »

Vice-président des Scouts du Montréal métropolitain, impliqué au sein de Greenpeace : Rivas Zannou, en deux ans et demi, dit s’être déjà entouré d’amis et avoir développé des projets. Ceci après avoir payé des études à fort prix, qui lui reviendront aux alentours de 50 000 $ en trois ans.

« Si on me dit que je peux rester, je reste. Et je défendrai le Québec volontiers et fièrement », avance l’étudiant, jusqu’à nouvel ordre, étranger.