D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours adoré l’Halloween. Les déguisements qu’on mettait des heures à élaborer, l’excitation des tournées et, bien sûr, le butin de bonbons qu’on triait de façon méthodique, presque maniaque, à la fin de la soirée.

J’ai toujours adoré l’Halloween, sauf en ce sombre 31 octobre 1982, où j’avais décidé de me déguiser en princesse. J’avais hérité pour l’occasion de la plus belle robe jamais créée sur terre, avec paillettes scintillantes et froufrous roses.

Ce soir-là, par malheur, il faisait un froid de canard. Ma mère m’avait donc forcée à enfiler bottes, mitaines, tuque et, pire que tout, énoooorme habit de neige une pièce SOUS la robe, dont je n’arrivais plus à attacher les boutons.

J’étais catastrophée. Bien sûr, ma mère voulait éviter que j’attrape mon coup de mort. Mais, boudinée de la sorte, disons que je n’avais pas vraiment l’air de sortir d’un conte des Mille et une nuits

Bref, sauf pour cet épisode éminemment traumatique de mon enfance, j’ai toujours adoré l’Halloween… jusqu’à ce que je devienne mère à mon tour.

Depuis, j’ai appris à détester ça.

Je n’en suis pas fière. Je n’aurais jamais imaginé cela possible, mais c’est vrai, je l’avoue : pour moi, l’Halloween est une corvée. Le stress que cela engendre est nettement supérieur au plaisir qu’une fête devrait normalement procurer.

Quel plaisir, au juste ?

Celui de quitter le bureau en catastrophe, un soir de semaine, pour faire souper les enfants à toute vitesse, tout en préparant leurs costumes, pendant que d’autres enfants sonnent déjà à la porte toutes les trois minutes – chaque coup de sonnette ayant pour effet de propulser le niveau de stress de tout le monde dans la stratosphère ?

Celui de courir de porte en porte derrière des enfants surexcités – « As-tu dit merci, au moins ? » – en craignant chaque fois qu’ils ne se cassent la figure dans des escaliers trop sombres, bondés et couverts de feuilles glissantes ?

Celui de ramasser des emballages de bonbons plus ou moins graisseux dans les plis du divan jusqu’à Noël ?

Si en plus, il faut qu’il pleuve à boire debout le soir de l’Halloween, moi, je démissionne. On n’est pas fait en chocolat, d’accord, mais pourquoi s’imposerait-on un calvaire pareil ?

En principe, l’Halloween est une fête. En principe, une fête est un événement agréable. Mais quel plaisir y a-t-il à braver des bourrasques et des trombes d’eau pour récolter un paquet de bonbons même pas bons ?

Aucun. Il n’y a aucun plaisir à cela.

La météo exécrable prévue ce soir dans la région de Montréal, c’était une séance de torture annoncée pour des milliers de parents.

La mairesse Valérie Plante, comme d’autres élus, a donc fait preuve de sagesse (et de compassion) en invitant les familles à reporter de 24 heures les célébrations de l’Halloween.

C’était juste… normal. C’était la chose à faire.

Et je ne parle même pas des enjeux de sécurité, des branches qui risquent de s’abattre, de la visibilité qui sera réduite à néant dans les rues pleines de petits monstres trempés. Non, je parle juste de l’aria qu’aurait constitué cette horrifiante soirée sans l’intervention inespérée de la mairesse.

Et ne venez pas me dire que la pluie, ça forge le caractère. Que dans votre temps, on passait l’Halloween, beau temps, mauvais temps. Le principe, encore une fois, c’est de s’amuser.

On dirait qu’on l’oublie.

Je suis sidérée par les réactions virulentes qui déferlent sur les réseaux sociaux depuis hier.

« On va faire rire de nous partout dans le monde ! », s’est indigné l’un. « Génération de feluettes ! », s’est indigné l’autre.

« Jamais, jamais, jamais, on a reporté l’Halloween dans l’histoire de l’humanité, a écrit un troisième. Je vais appeler ça la féminisation de la société. Trop couveuse, peur d’avoir peur… »

Euh… comment dire ? Calmez-vous. L’administration Plante suggère simplement de reporter l’Halloween de 24 heures parce qu’il va pleuvoir des cordes. C’est juste ça. Rien de plus sordide que ça.

D’ailleurs, vous êtes dans un pays libre. Vous avez le droit de passer l’Halloween ce soir, si ça vous chante sous la pluie.

« Moi, je donnerai des bonbons juste aux braves qui passeront le 31 ! », écrivent des internautes fâchés noir.

Les enfants lâches, les petits pleutres qui passeront le lendemain, ils se buteront à une porte close ! Tant pis pour eux ! Na !

C’est à se demander qui sont les enfants dans cette histoire…