Il n’y a qu’une bonne raison pour imposer un âge légal de consommation du pot à 21 ans au Québec : c’est de l’excellente politique. Et tant pis si c’est de la mauvaise santé publique.

La CAQ était opposée à la légalisation du cannabis, dans l’opposition. Le gouvernement Trudeau a tenu promesse et a légalisé cette substance largement répandue.

La CAQ a donc promis de ne pas permettre aux jeunes de 18 ans de consommer du pot légalement. Ce sera à 21 ans, a décrété le parti de François Legault.

Portée au pouvoir, la CAQ a juré de tenir promesse, envers et contre tous les avis contraires, dont celui de l’Institut national de santé publique (INSPQ).

Et depuis hier, c’est fait, le projet de loi 2 a été adopté : à partir du 1er janvier 2020, il faudra avoir 21 ans pour acheter et consommer du pot au Québec.

La plupart des provinces ont synchronisé l’âge légal de consommation de cannabis avec celui de l’alcool : 19 ans, généralement.

Au Québec, on pourra consommer du pot légalement seulement trois ans après avoir commencé à consommer de l’alcool légalement.

Je rappelle ceci : pour l’individu et la société, l’alcool est la drogue — eh oui, l’alcool EST une drogue — la plus dommageable, selon une étude publiée dans The Lancet en 2010.

J’ai interviewé hier au 98,5 FM le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant. Les lecteurs peuvent écouter l’entrevue, mais je résume le raisonnement du ministre : si l’âge légal est de 21 ans plutôt que 18 ans, on va limiter le nombre d’adolescents de moins de 18 ans qui sont exposés au pot

Dans un monde magique où le pot ne serait accessible que dans des magasins qui ont pignon sur rue, l’argument aurait peut-être un semblant de valeur.

Mais dans le monde réel où le pot illégal est accessible un peu partout, c’est un argument qui a la même résistance que le papier à joint devant un briquet.

Avant la légalisation de Justin Trudeau et avant la loi des 21 ans de François Legault, les jeunes comme les vieux n’avaient pas le droit de consommer du pot. Et ils en consommaient quand même, parce que les Mom Boucher de ce monde répondaient à la demande.

Oui, en haussant à 21 ans l’âge légal pour consommer du pot, le gouvernement fait de l’excellente politique. Comme, il y a 49 ans, Richard Nixon faisait de l’excellente politique en déclarant la « guerre à la drogue ».

Guerroyer contre la drogue, ça rassure les gens qui ne consomment pas de drogue, pot ou autre. Ça rassure les parents qui ont des craintes légitimes face à leurs ados qui pourraient consommer. Ou qui consomment déjà. Ça rassure les gens qui font de la consommation de drogue un enjeu moral.

Mais tout comme la guerre à la drogue n’a jamais anéanti la drogue, empêcher les jeunes de moins de 21 ans de consommer du pot légalement ne les empêchera pas de consommer du pot illégalement.

De 18 à 21 ans, les jeunes Québécois qui devraient pouvoir acheter leur pot à la SQDC vont l’acheter où, vous pensez ?

Eh oui, dans la rue. Ou dans la cour de la poly. Ou devant leur station de métro préférée. Ou alors ils vont l’acheter où ils veulent, suffira de convenir du lieu avec Big, le gars qui répond au numéro que tout le monde connaît quand on cherche du weed… 1

Le pire ?

La SQDC, organisme gouvernemental, vend un pot passé aux rayons X par Santé Canada. Un pot dont on connaît la provenance, la production, les producteurs. Un pot dont on peut dire qu’il est plus sain que celui vendu par Big (au numéro que tout le monde connaît).

Traduction : le gouvernement Legault vient de pousser un immense marché de jeunes consommateurs québécois dans les bras du crime organisé, dont les produits ne font évidemment l’objet d’aucun contrôle de qualité reconnu.

Et si on veut se plaindre de la mauvaise qualité du produit, le boss de Big — connu sous le nom de Big Yo — est bien prêt à écouter vos griefs… Mais Big Yo a tendance à les écouter avec son fidèle bâton de baseball à la main.

Bref, sous prétexte de protéger-les-jeunes-des-méfaits-de-la-drogue, on va pousser les jeunes Québécois de 18 à 21 ans à acheter du pot plus dangereux que ce qu’on retrouve à la SQDC.

Une implantation courageuse du pot suivant la légalisation décrétée par Ottawa aurait généralisé les points de vente, où on trouverait du pot légal de bonne qualité à un prix battant toute concurrence. Ça, ça aurait sérieusement nui au marché du pot illégal. Ça aurait limité la quantité de pot de mauvaise qualité sur le marché.

Le pot est désormais légal, mais partout au Canada, cette légalisation s’est faite dans un climat de malaise, sur le bout de la palette, pour parler en langage de hockey. Sans conviction. Et le Québec ne fait pas exception.

Là où notre gouvernement fait exception, c’est qu’il a choisi de livrer le plus gros marché au crime organisé : les moins de 21 ans. Ailleurs, les bandits doivent se contenter des moins de 19 ans.

Interdire le pot aux moins de 21 ans est politiquement payant : les gens qui pensent qu’une loi peut empêcher leurs enfants de fumer un joint vont se sentir protégés. Ces gens-là, de bonne foi, sont nombreux. Ceux-là vont liker la page Facebook du premier ministre avec enthousiasme.

Comme m’a dit le ministre Carmant en entrevue, en guise d’argument : 60 % des Québécois nous appuient…

C’est un bon argument politique, mais encore là, c’est un mauvais argument de santé publique.

Le plus déprimant est que l’homme qui m’a dit ça, Lionel Carmant, est à la base un homme de science, un médecin qui dans son autre vie, accordait sans doute plus de foi à ce qui était publié dans The Lancet qu’à ce qu’on pouvait lire dans n’importe quel programme de parti politique.

1. Note de bas de page préventive : je ne consomme pas de pot, je déteste le pot, ne m’écrivez pas pour me dire que je suis un poteux, ma drogue préférée est le vin (nature de préférence). Après le vin ? Le travail…