Après 15 ans d’engagement au sein du Quartier des spectacles, dont 7 ans à la présidence du conseil d’administration, il regarde vers l’avenir. Pilier du groupe Rock et Belles Oreilles et ancien président de l’ADISQ, sa cause est maintenant l’avancement de la diversité de la production culturelle à l’heure du numérique mondialisé. Jacques K. Primeau est notre personnalité de la semaine.

Derrière tout grand artiste, il y a un imprésario, un agent, un galeriste.

Mis à part René Angélil, qu’on a tous fini par connaître, ils travaillent souvent dans l’ombre, ou alors on en fait des portraits caricaturaux de profiteurs ou d’éteignoirs au cinéma. Pourtant, ils propulsent le talent en toute discrétion. Ils veulent précisément que l’attention ne soit pas sur eux, mais bien sur ceux qu’ils veulent aider.

Jacques K. Primeau fait partie de ces gens qui ont contribué à construire et à faire rayonner la carrière de nombreux artistes québécois, ce qu’il a fait tout en remplissant son horaire d’activités bénévoles pour embrasser la promotion de la culture dans un sens plus large.

Autant M. Primeau a été un pilier, dans les coulisses, du groupe Rock et Belles Oreilles, dans les années 80, et a ensuite aidé les membres du groupe à poursuivre leurs carrières séparément – il est l’agent de Guy A. Lepage, notamment, et l’un des producteurs de Tout le monde en parle –, autant il a aidé l’ADISQ à progresser, quand il n’était pas en train d’enseigner à l’UQAM ou de veiller sur le Quartier des spectacles, où il a joué un rôle clé pendant 15 ans, dont 7 ans à la présidence du conseil d’administration.

Il vient de laisser ce poste à une autre, Monique Simard.

À son départ, il y a trois semaines, on lui a rendu hommage. Aujourd’hui, il est notre personnalité de la semaine.

« Je me sens comme un joueur de hockey à qui on vient de donner le trophée Conn-Smythe », dit-il en entrevue, en référence à cette reconnaissance accordée à un joueur particulièrement utile à son équipe pendant les séries de la Coupe Stanley, dans la LNH.

Le fil conducteur de toute sa carrière est d’ailleurs ce talent, ce goût, ce plaisir de faire partie d’une « gang » de gens qui avancent ensemble, en s’entraidant.

Né il y a 62 ans dans un Rosemont de ruelles et de hangars, au sein d’une famille ouvrière — son père travaillait le métal en feuilles —, M. Primeau remercie sa mère, qu’il vient tout juste de perdre, à 97 ans, pour sa « grande gueule ». Il lui dédie cet hommage que La Presse lui rend.

Elle avait du bagout, mais c’est surtout elle, dit-il, qui a réussi à amener ses deux fils à aimer apprendre, sans qu’ils s’en rendent compte ou s’y sentent obligés. « J’ai aimé l’école toute ma vie », laisse tomber l’homme d’affaires. Son frère, lui, est carrément devenu enseignant.

De découverte en découverte

Après le secondaire à l’école Louis-Hébert, Jacques K. Primeau fréquente le collège Maisonneuve, où il découvre les filles, les revendications politiques — première manif contre l’augmentation du prix des billets d’autobus —, la radio étudiante. André Ménard, qui sera plus tard l’un des cofondateurs du Festival de jazz, y anime une émission. La vie n’est pas plate. Suivra ensuite le programme de communication à l’UQAM. « Je pensais vraiment que je deviendrais journaliste », affirme M. Primeau. C’était une belle époque, raconte-t-il. Les professeurs s’appelaient Pierre Bourgault ou Jean-Pierre Desaulniers.

Tout ça l’amène à travailler comme journaliste, puis à la direction de la promotion à la station de radio indépendante CIBL, « une des rares jobs payées ». Là commencent à se tisser des liens avec les membres du groupe d’humour Rock et Belles Oreilles, qui fait ses premiers pas.

Un jour, en 1985, on lui propose de devenir leur agent. Il a un week-end pour choisir entre ça et un boulot stable, à la paie garantie. Il fait le saut. Et ne le regrettera jamais.

« J’ai adoré ça. »

Il traverse le Québec, deux fois plutôt qu’une. Il rit et rit encore, évidemment.

Le goût du journalisme prend un autre chemin, celui de la caricature que produit cette bande d’humoristes déchaînés avec qui il travaille encore au quotidien aujourd’hui.

Il était là pour le succès de RBO, puis pour Un gars, une fille de Guy A. Lepage et Sylvie Léonard, aujourd’hui encore à Tout le monde en parle.

L’apprentissage du métier se fera au fur et à mesure, façonné par les expériences, les collaborations, et toujours ce goût de travailler au sein d’un groupe où la tâche est de permettre à chacun de donner le meilleur de soi.

Regard vers l’avenir

Jacques K. Primeau est toujours agent d’artistes, mais d’autres passions sont nées en chemin, pendant ces 34 années de carrière, comme celles du développement urbain et de la promotion de la culture. Il fera partie du conseil d’administration de l’ADISQ, puis en sera président pendant trois ans, mais, surtout, il s’engagera au sein du Quartier des spectacles dès le début au tournant du millénaire et prendra la présidence du conseil d’administration en 2012.

Le 17 septembre, il a décidé de fermer ce chapitre, après 15 ans d’engagement. Ces 15 à 20 heures de bénévolat par semaine, il veut les occuper autrement désormais.

Un grand moment à travers tout ce mandat, à travers la mise en place de tous les morceaux qui structurent aujourd’hui ce quartier, de la place des Festivals à la place Émilie-Gamelin, de l’îlot Balmoral à la nouvelle patinoire qui verra sous peu le jour en face de la Maison du développement durable ? (Pour connaître toute l’histoire, il y a le livre du journaliste Claude Deschênes, Tous pour un Quartier des spectacles Montréal, sur la genèse de ce projet urbain.)

« Le 23 juillet 2014, il y a eu un moment magique », raconte Jacques K. Primeau.

Ce jour-là, le groupe Rock et Belles Oreilles, officiellement dissous depuis 1995 quoique encore actif à l’occasion, revient sur scène, sur la place des Festivals, dans le cadre de Juste pour rire. « J’y ai vu les publics de toutes les générations, les enfants, leurs parents, parfois leurs grands-parents », raconte l’agent et champion du quartier.

Et tout le monde rigole.

Le joueur d’équipe est heureux.

Jacques K. Primeau en quelques choix

Littérature

« Coup de cœur pour la trilogie de La bête de David Goudreault. Ce jeune homme a un talent fou. »

Musique

« Ma dernière découverte : Evelyne Brochu. L’excellente comédienne nous fait une belle proposition de chansons de tradition française. »

Cinéma

« Un bon film sur une période historique déterminante, sur Churchill : Darkest Hours [Les heures sombres]. »

Théâtre

« Coup de cœur pour J’aime Hydro de Christine Beaulieu. »

Des artistes

« J’admire Fabrice Luchini et Dany Laferrière pour l’ensemble de leur carrière, surtout pour leur maîtrise de la langue française. »

Des personnages historiques

« Gandhi ou Mandela, j’hésite, à moins qu’on parle du génie de Léonard de Vinci ou de l’immense contribution à la pensée de Jean-Jacques Rousseau. »

Un personnage contemporain

« René Lévesque. Il a fortement contribué à m’intéresser au Québec et à la politique. »

Une phrase

« Rien n’est plus urgent que d’aimer. » — Jacques Attali

Une cause

« À part l’environnement, où on parle de survie (c’est un minimum), ma cause, c’est la sauvegarde et l’avancement de la diversité de la production culturelle à l’heure du numérique mondialisé. »