Les trois grandes associations représentant 14 000 policiers au Québec demandent au gouvernement Legault d’imiter l’Ontario et de limiter la durée des enquêtes indépendantes. 

Hier, La Presse a rapporté que l’investigation du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) sur les fuites et les méthodes d’enquête à l’Unité permanente anticorruption (UPAC) coûtait au moins 1,6 million par année.

Les trois syndicats de policiers ont pris la balle au bond et déploré que de nouveaux mandats soient constamment donnés au BEI et que, pendant ce temps, les délais des enquêtes sur les policiers impliqués dans des évènements au cours desquels il y a des victimes – le mandat original du BEI – soient d’une longueur « inacceptable ».

Le 29 mai dernier, un projet de loi a été déposé en Ontario, la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales, qui limite à 120 jours – 4 mois – la durée des enquêtes indépendantes, et qui stipule que, si une enquête n’est pas terminée après ce délai, sa durée devra être revue tous les 30 jours. 

Fait à noter, l’Unité des enquêtes spéciales (SIU, en anglais), pendant ontarien du BEI, est également celle qui porte les accusations, ce qui signifie que ce sont l’enquête et l’étude des accusations qui devront être effectuées dans les délais de 120 jours. Cette nouvelle loi n’a toutefois pas encore été promulguée par le lieutenant-gouverneur ontarien.

Jusqu'à 24 mois de délai

Selon le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal (FPPM), Yves Francoeur, sur les 135 enquêtes effectuées par le BEI depuis son entrée en activité en juin 2016, une trentaine concernent des policiers du SPVM. 

Il affirme que les délais sont de 12 à 18 mois pour l’enquête du BEI proprement dite, et de 3 à 6 mois pour l’étude du dossier par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui décide si des accusations seront portées ou non. Les délais les plus longs pourraient donc atteindre 24 mois.

Selon M. Francoeur, au moins une vingtaine de policiers du SPVM sont toujours en attente d’une décision, dont l’un qui a été impliqué dans un évènement survenu en mars 2017, il y a presque deux ans et demi.

Quant à l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ), elle déplore des délais moyens de 13 mois pour l’enquête du BEI et de 6 mois pour l’étude du dossier par le DPCP, pour un traitement d’une durée totale moyenne de 19 mois.

« C’est inadmissible de laisser aussi longtemps pendre une épée de Damoclès au-dessus de la tête d’un policier qui s’est engagé à défendre les citoyens », s’insurge M. Francoeur, selon qui l’un des effets pervers de si longs délais est un réflexe de désengagement des policiers.

Imaginez le policier qui fait l’objet d’une enquête et qui continue à faire des interventions, parfois à haut risque. Il se dira peut-être : “Je devrais peut-être moins m’impliquer. C’est plus facile d’expliquer ce que je n’ai pas fait que ce que j’ai fait !” Ce n’est pas bon pour les citoyens et la société.

Yves Francoeur, de la FPPM

« Il y a un désengagement, oui. Les gens qui reviennent au travail ne sont plus les mêmes. Ils craignent d’intervenir. Ils ne veulent pas revivre un enfer. Mais il y a également la dépression, la détresse psychologique, les problèmes familiaux qui viennent avec ça », renchérit son homologue de l’APPQ, Pierre Veilleux.

« Tout policier est un être humain avant d’être un policier. Pensez à tous les effets sur une personne en attente ; c’est extrêmement long, et les policiers subissent ça avec leur famille », ajoute le président de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec (FPMQ), François Lemay. 

Des cas « faciles »

Yves Francoeur souligne que de nombreuses enquêtes actuellement effectuées par le BEI sont « des cas flagrants et faciles ». Il est conscient que le BEI a embauché maints enquêteurs au cours des derniers mois, mais affirme que beaucoup sont relativement néophytes dans le métier et seront à l’aise dans deux ou trois ans.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal

Le président de la FPPM demande au gouvernement du Québec de faire comme l’Ontario et de limiter les délais d’enquête à 120 jours, tout en laissant la marge de manœuvre actuelle au DPCP pour étudier le dossier et décider de porter ou non des accusations.

De son côté, Pierre Veilleux croit qu’un délai de 120 jours serait souhaitable, mais il serait prêt à accepter six mois, après consultation auprès des enquêteurs des Crimes contre la personne de la Sûreté du Québec. 

En revanche, contrairement à Yves Francoeur, il croit que le gouvernement devrait également imposer un « délai de rigueur » de trois mois au DPCP, même s’il sait que cela ne se ferait pas sans heurt. M. Veilleux souhaiterait donc un délai total de neuf mois pour l’enquête et la décision de porter ou non des accusations.

« Si les Ontariens sont capables de le faire, pourquoi ne le serions-nous pas aussi ? », conclut François Lemay de la FPMQ.

« Le BEI existe seulement depuis trois ans. Il faut lui donner du temps afin qu’il atteigne sa vitesse de croisière. La directrice, Me Madeleine Giauque, vient de nous remettre son rapport que nous déposerons dès la rentrée parlementaire. Nous sommes en train de l’analyser. La question de la durée des enquêtes pourra faire partie d’une réflexion globale, mais nous prendrons le temps d’évaluer le pour et le contre », a déclaré à La Presse Jean-François Del Torchio, directeur des communications de la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4019, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse