Oui, les robots, oui, l’automatisation, mais au rythme où vont les choses, il faudra probablement choisir : on sauve les restos ou les hôpitaux ? On privilégie les barmans ou les menuisiers ?

Car il faut bien se rendre à l’évidence, avec le vieillissement, le Québec continuera longtemps de souffrir d’une pénurie de la main-d’œuvre dans plusieurs secteurs. Et des postes indispensables commencent à manquer, comme des informaticiens ou des infirmières. Il en va de la survie d’une entreprise ou même de la santé de la population, notamment en région.

D’où ma question : faudra-t-il privilégier, d’une façon ou d’une autre, la formation de certains emplois plus stratégiques que d’autres pour notre société ?

Déjà, plus de la moitié des PME se retiennent d’investir et de créer davantage de richesse, faute de main-d’œuvre. Et il manque d’anesthésistes pour procéder à des opérations chirurgicales, de préposées pour s’occuper des aînés, d’informaticiens pour réparer et développer nos réseaux…

Les économistes jugent que, tôt ou tard, pour attirer des travailleurs, la pénurie devrait provoquer une hausse des salaires des postes les plus demandés (c’est d’ailleurs commencé, selon mes recherches, mais moins dans le secteur public, plus rigide). Des entreprises opteront pour l’automatisation de leurs procédés ou encore la robotisation, qu’on pense aux caisses automatiques dans les supermarchés, par exemple, ou encore aux véhicules autonomes (sans chauffeur).

Et il y a bien sûr l’immigration, qu’il faudra beaucoup mieux cibler. Pourquoi ne pas faire une offensive pour attirer des compatriotes de l’Ontario, des Maritimes et de l’Alberta, dont plusieurs parlent français ?

Il reste que certaines organisations ne pourront pas se payer la main-d’œuvre et fermeront leurs portes. Et qu’une hausse progressive des salaires ne produira pas automatiquement plus d’ingénieurs, d’infirmières ou de comptables agréés, dont la formation prend plusieurs années.

Le professeur d’économie Michel Poitevin, de l’Université de Montréal, pense tout de même que les salaires s’ajusteront.

Il ne faut pas sous-estimer la capacité des marchés de s’adapter. Cependant, le gouvernement doit éviter, par ses politiques, d’entraver la mobilité des facteurs de production, comme la main-d’œuvre.

Michel Poitevin, professeur d’économie à l’Université de Montréal

Le tourisme est un bon exemple. Les gouvernements subventionnent de très nombreux festivals et événements touristiques. Or, ces événements créent essentiellement des emplois saisonniers et peu payés, notamment dans des secteurs où il y a pénurie, comme la restauration et l’hébergement.

Selon les données de Statistique Canada, il manque environ 10 000 serveurs, cuisiniers et barmans au Québec. En finançant grassement beaucoup d’événements touristiques, l’État empire la situation et incite des gens à travailler dans cette industrie plutôt que dans d’autres, plus indispensables et payantes.

Même chose en informatique : le gouvernement subventionne les salaires des informaticiens et travailleurs du jeu vidéo, alors que les organisations s’arrachent leurs compétences. Encore une fois, Québec jette de l’huile sur le feu de la pénurie dans une industrie où il manque quelque 6000 professionnels et techniciens en informatique. Certains entrepreneurs sont découragés.

De meilleurs emplois au Québec

Le défi des emplois névralgiques sera particulièrement grand au Québec. En effet, la pénurie touche davantage des emplois de qualité qu’ailleurs au Canada et moins de main-d’œuvre bon marché, de cheap labor, donc, selon la base de données de Statistique Canada.

Partout au Canada, le gros des emplois à pourvoir nécessite très peu de formation, contrairement à ce qu’on peut penser. Par exemple, au Québec, le tiers des quelque 118 000 postes vacants en 2018 ne requerraient aucun diplôme ! Si l’on ajoute à ces postes ceux qui n’exigeaient qu’un diplôme du secondaire, on arrive à 56 % des postes vacants, soit la majorité.

Pour pourvoir ces postes, les employeurs offrent 15,43 $ l’heure, en moyenne, soit bien moins que les 25,68 $ proposés pour les emplois vacants qui exigent des études postsecondaires.

Or voilà, cette proportion de 56 % d’emplois vacants peu qualifiés est nettement plus faible au Québec qu’ailleurs au pays. Ainsi, cette part des postes à pourvoir qui n’exigent qu’un diplôme du secondaire ou moins est de 61 % en Ontario, 69 % en Alberta et 70 % en Colombie-Britannique, où l’économie connaît pourtant un boom !

À l’autre bout du spectre, soit les postes exigeant une bonne formation, le Québec se démarque également. Ainsi, 13,1 % des emplois offerts exigent un bac ou davantage, contre 8,8 % en Colombie-Britannique et en Alberta. Seuls l’Ontario et Terre-Neuve devancent le Québec, avec un taux de 13,9 % et 13,8 %, respectivement.

La situation de l’emploi de Terre-Neuve, faut-il préciser, est bien différente de celle du Québec. Cette province atlantique est l’endroit où le taux de postes vacants est le plus faible au Canada (2,0 % de l’ensemble des emplois), loin derrière le Québec (3,2 %), l’Ontario (3,3 %) et la Colombie-Britannique (4,7 %), selon Statistique Canada.

Au Québec, ces postes à pourvoir qui exigent un bac universitaire ou plus offrent des salaires moyens de 32,93 $ l’heure (fin 2018).

Bref, le plus grand nombre de postes à pourvoir de qualité au Québec est une bonne nouvelle, mais il représente aussi un plus grand défi. En effet, c’est une chose de manquer de serveurs dans un restaurant, c’en est une autre de ne pas disposer suffisamment d’enseignants, d’ingénieurs, d’infirmières ou d’experts en informatique, par exemple.

Il faudra donc s’interroger sur nos stratégies, bien qu’il ne saurait être question de reproduire le modèle d’économie planifiée de l’ex-Union soviétique. Le gouvernement pourrait encourager la formation de ces postes-clés, faire un recrutement plus ciblé d’immigrants et, pour le secteur public, majorer les salaires des emplois indispensables.