Pour la première fois depuis son congédiement du ministère de l'Agriculture, le lanceur d'alerte Louis Robert est sorti de son mutisme, vendredi, avec une proposition qui risque de chambouler le monde agricole. Les agronomes qui vendent des pesticides ne devraient pas être les mêmes qui autorisent les producteurs agricoles à en faire l'usage.

Louis Robert, qui a annoncé jeudi qu'il brigue la tête de son ordre professionnel, fera de la notion de conflit d'intérêts le thème central de sa campagne.

L'ancien fonctionnaire, qui jouit d'un appui populaire considérable, risque cependant de se heurter à une certaine résistance de la part de ses collègues, issus majoritairement du secteur privé.

«Cette impasse-là des conflits d'intérêts nuit à tout le monde. À l'image de l'agronome, aussi», a-t-il expliqué, vendredi matin, lors d'une mêlée de presse impromptue à Montréal, en marge du Symposium sur les sols vivants où il donnait une conférence.

«J'espère que les agronomes vont rester dans l'actualité, mais pour des nouvelles positives et que les gens éventuellement vont dire: ah ! Heureusement qu'ils sont-là. J'aimerais vraiment qu'on soit à la défense de l'intérêt public», a-t-il ajouté.

Il y a environ 3000 agronomes au Québec. Seulement 15% occupent des postes au sein des diverses fonctions publiques. Les autres sont notamment à l'emploi d'entreprises privées, de coopératives, d'institutions financières, de groupes de producteurs ou d'OBNL.

Deux rôles incompatibles selon Robert

En mars 2018, Québec a resserré le Code de gestion des pesticides afin de mieux encadrer l'épandage de cinq pesticides considérés comme étant à plus haut risque.

Désormais, avant de pouvoir avoir recours à l'atrazine, au chlorpyrifos et à trois types de néonicotinoïdes, ce fameux pesticide «tueur d'abeilles», les agriculteurs doivent obtenir une «prescription» de la part d'un agronome.

Or, sur le terrain, ce sont souvent les agronomes à l'emploi des fournisseurs de pesticides qui remplissent ces prescriptions, légalement requises pour acheter et appliquer un pesticide. Une situation qui place ces agronomes en situation de conflit d'intérêts même s'ils sont bien intentionnés estime Louis Robert.

«En France, ils viennent de séparer complètement la recommandation de la vente du produit», souligne M. Robert, qui a oeuvré au Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation durant 32 ans avant d'être renvoyé pour avoir transmis des informations à un journaliste de Radio-Canada.

Selon une étude de l'Ordre des agronomes, 80% des entreprises qui vendent des pesticides rémunèrent leurs agronomes avec des primes, des bonis ou des commissions, en plus de leur salaire. Cette «rémunération variable» représente de 1,5% à 30% de la rémunération totale de ces agronomes. Cette pratique contrevient à leur code de déontologie.

«Contrairement à ce que le président actuel de l'Ordre dit, ce n'est pas nécessaire qu'un agronome reçoive une commission ou un boni pour qu'il soit en situation de conflit d'intérêts. Dès qu'il reçoit une rémunération quelconque d'une compagnie, au fond, c'est pareil», souligne M. Robert.

Commission parlementaire

La candidature de M. Robert survient au moment où le gouvernement du Québec lance une commission parlementaire sur l'utilisation des pesticides afin d'en mesurer les impacts sur la santé publique et l'environnement.  

Réunis tôt hier matin, les 13 membres de la Commission de l'agriculture, des pêcheries, de l'énergie et des ressources naturelles (CAPERN) ont unanimement voté en faveur de

la tenue de cet examen, qui se penchera par ailleurs sur les «pratiques de remplacement » des pesticides et la «compétitivité du secteur agroalimentaire québécois».

Louis Robert salue la mise en place de cette commission parlementaire. «Je suis très content que le grand public soit informé sur les pesticides et qu'il y ait une prise de conscience de ce côté-là. Ma seule critique, à première vue, c'est que j'ai peur que le mandat soit trop vaste... Je trouve que c'est un peu dilué, j'ai peur qu'on noie le poisson. Si je suis appelé à participer tant mieux, je trouve que c'est très positif comme démarche, mais j'aurais souhaité qu'on la fasse de manière plus précise», souligne-t-il.

Rappel des faits

Louis Robert a divulgué l'an dernier une note ministérielle accablante à un journaliste de

Radio-Canada. Il s'était d'abord tourné vers son ministère.

Le document confidentiel faisait état d'une situation de crise au Centre de recherche sur les grains (CEROM), une corporation à but non lucratif financée à 68% par le MAPAQ. À l'époque, 15 des 35 employés du centre, dont 7 chercheurs, venaient de démissionner. 

Le document raconte que des scientifiques ont subi des tentatives d'intimidation de la part de quelques membres du conseil d'administration et de son président, Christian Overbeek, «dans la diffusion et l'interprétation des résultats de projets de recherche».

Louis Robert a été congédié le 24 janvier après une enquête administrative au cours de laquelle il a admis être à la source d'un reportage sur la crise qui secouait le CEROM.

Le ministre de l'Agriculture, André Lamontagne, a demandé à la protectrice du citoyen d'ouvrir une enquête sur cette affaire, notamment pour prouver qu'il n'a pas joué de rôle personnel dans le licenciement du lanceur d'alerte.