Des adultes ayant des contraintes sévères à l'emploi et leurs représentants dénoncent un nouveau calcul pour l'hébergement en ressources publiques, en vigueur depuis le 1er février. Le nouveau budget provincial n'a rien fait pour calmer la déception. Pire : la Société québécoise de la déficience intellectuelle se demande si la hausse des allocations de dépenses personnelles ne s'est pas faite à même une aide financière pour des gens vulnérables.

« On peut raisonnablement se demander si les sommes récupérées par la RAMQ auprès des personnes hébergées et étant prestataires du programme de solidarité sociale - entre 10 et 18 millions en 2019-2020 juste pour la déficience intellectuelle et le trouble du spectre de l'autisme - n'ont pas financé une hausse modeste de l'allocation de dépenses personnelles pour tout le monde », a réagi dans un courriel la Société québécoise de la déficience intellectuelle, après l'annonce d'une enveloppe de 20 millions destinés à l'augmentation des allocations de base pour tous les bénéficiaires.

La colère gronde depuis plusieurs mois du côté des représentants des adultes ayant une contrainte sévère à l'emploi hébergés dans des ressources publiques. Dans son Plan d'action pour l'inclusion économique et la participation sociale 2017-2023, le gouvernement québécois avait annoncé l'augmentation de la prestation de base du Programme de solidarité sociale. La mesure de lutte contre la pauvreté avait été saluée.

En février 2018, une première hausse de 73 $ par mois est entrée en vigueur pour les adultes ayant des contraintes sévères à l'emploi, en raison d'une déficience intellectuelle, d'un handicap ou d'un trouble du spectre de l'autisme, notamment, bonifiant l'allocation mensuelle de base pour leurs dépenses personnelles, établie à 215 $, à 288 $. 

Le 1er janvier 2019, l'allocation mensuelle déterminée par le gouvernement a été augmentée de 215 $ à 245 $ pour tous les bénéficiaires. Or, le 1er février dernier, la contribution pour l'hébergement des adultes ayant une contrainte sévère à l'emploi a été ajustée en conséquence. Une mesure qui visait à rétablir l'équité entre tous les prestataires, a indiqué le gouvernement.

« La hausse à 288 $ aux adultes PAFDR [prestataires de l'aide financière de dernier recours] faisait suite à une directive temporaire qui n'était appuyée sur aucun règlement ministériel », a-t-on précisé par courriel au cabinet de la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, qui travaille conjointement avec le ministère de la Santé dans ce dossier.

« Et si vous partez demain, il arrive quoi? »

Des représentants de ces bénéficiaires estiment que le ministère de la Santé et des Services sociaux reprend l'augmentation de 73 $ accordée, elle, par le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale.

« Pourquoi le gouvernement donne d'une main et enlève de l'autre ? », demande Joanne Morin. 

Âgé de 27 ans, son fils Émile habite depuis environ un an dans une ressource de type familial (RTF) - l'équivalent, en gros, d'une famille d'accueil pour adultes. Il vit avec le syndrome d'Asperger et souffre de troubles anxieux et compulsifs. Il a été déclaré inapte au travail.

Elle s'est résolue à envoyer son fils vivre dans un établissement public sur les conseils du médecin. « Il m'a dit : "Et si vous partez demain matin, il arrive quoi ?" » 

Elle déplore la décision du système de santé de déduire une plus grosse part de la prestation de son fils pour son hébergement, en raison de l'aide financière accordée. 

« C'est une drôle de situation, parce que l'objectif du gouvernement était de sortir les gens de la pauvreté le plus possible », a dit Samuel Ragot, conseiller à la promotion et à la défense des droits de la Société québécoise de la déficience intellectuelle.

Le gouvernement juge la mesure équitable et  avantageuse pour la majorité des bénéficiaires. « Pour un même service, les personnes bénéficiant d'une aide financière de dernier recours conservaient alors une allocation de dépenses de 288 $, alors que les personnes à faible revenu conservaient 215 $, a expliqué Marie-Claude Lacasse, responsable des relations de presse au ministère de la Santé et des Services sociaux.

À l'approche d'une deuxième augmentation de l'aide financière de dernier recours annoncée en janvier 2019, le Ministère a pris la décision d'uniformiser l'allocation de dépenses des personnes hébergées en CHSLD et en RI-RTF à 245 $ par mois, indexation incluse.» L'allocation sera ensuite indexée et augmentée mensuellement de 10 $ chaque année jusqu'en 2023. 

245 $: Allocation mensuelle minimum pour les dépenses personnelles depuis le 1er janvier 2019. Cette somme sert à payer tout ce qui n'est pas l'hébergement et la nourriture : les transports, les vêtements, les loisirs...

UN RÉPIT « TEMPORAIRE »

Danielle Gaudet, mère d'un homme de 44 ans et d'une femme de 36 ans, tous deux ayant un handicap intellectuel et physique, trouve ce minimum bien bas.

Ses deux enfants sont logés en ressources intermédiaires. « Quand ils sortent, ils ont besoin d'un accompagnateur. Il faut le payer », soupire la Montréalaise de 69 ans. Ils se déplacent tous deux en fauteuil roulant et sont inaptes au travail. Elle souhaite qu'ils aient un minimum de vie sociale, malgré leurs défis. 

Une minorité de gens touchés

Le ministère de la Santé souligne que la situation où une personne voit son allocation baisser ne touche que 20 % des personnes hébergées dans les ressources ; la plupart voient en fait une hausse de la somme reçue, puisque le montant de l'allocation de base a augmenté. Tous n'ont pas de contraintes sévères à l'emploi comme ceux qui reçoivent les 73 $ additionnels.

Il n'a pas été possible de savoir exactement combien de personnes étaient touchées, mais il s'agirait de quelques milliers. Pour Samuel Ragot, ça rend la décision d'autant moins acceptable. « On s'explique mal que le Ministère aille chercher des sommes aussi ridicules auprès de personnes aussi vulnérables », a-t-il réagi. Il souligne que « l'intensité des besoins et des services de ces gens est plus grande ».