Sur la place du 6-Décembre-1989, l’actrice Claudia Hurtubise scandait, un par un, le nom et l’âge des jeunes femmes assassinées 30 ans plus tôt. Dans l’air glacial de novembre, une quarantaine de personnes lui faisaient écho, afin que jamais ne s’efface le souvenir de Polytechnique.

C’est ainsi qu’a pris fin, hier après-midi, le second volet de l’événement commémoratif Une marche, deux parcours, organisé par des professeures d’histoire de l’art de l’UQAM et de l’Université de Montréal qui désiraient marquer les 30 ans de la tuerie d’une manière nouvelle.

« On voulait commémorer, mais pas uniquement à travers le deuil. En travaillant surtout avec des jeunes, on voulait leur rendre du pouvoir, leur montrer qu’elles sont capables de faire toutes sortes de choses, a raconté Annie Gérin, qui enseigne l’histoire de l’art à l’UQAM. On ne veut pas axer l’événement sur la perte, mais sur toutes les choses positives que les femmes ont faites à travers notre histoire et qui n’ont pas toujours été reconnues. »

La première des deux marches s’est tenue le 16 novembre et avait comme point de départ le palais de justice de Montréal, où l’idée était notamment de souligner l’année 1971, lorsque les femmes ont pu devenir jurées.

Et ainsi a débuté le parcours, ponctué de performances artistiques et de discours en des endroits clés de l’histoire des femmes de la métropole, pour aboutir au pavillon Gina-Cody de l’Université Concordia, nommé en l’honneur de la première doctorante en génie du bâtiment de l’histoire de l’établissement.

« Il ne faut jamais arrêter de se battre »

Samedi, l’idée était la même, mais le parcours était différent. Cette fois, après s’être rassemblé au Centre Never Apart, dans le Mile End, le contingent a sillonné les rues de la ville pour gravir la côte de l’Université de Montréal et ainsi rejoindre la plaque commémorative de la tuerie, fixée sur le mur extérieur d’un des édifices de Polytechnique.

Quelques minutes de silence ont été observées, puis la foule a redescendu la côte pour rejoindre la place du 6-Décembre-1989.

La mairesse de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, Sue Montgomery, a prononcé un discours engagé sur la violence faite aux femmes. L’ex-journaliste devenue politicienne est brièvement revenue sur le harcèlement dont elle a été victime pendant deux décennies et sur son combat victorieux en cour contre son harceleur plus tôt cette année. « Il ne faut jamais arrêter de se battre », a-t-elle dit en soulignant la fréquence des attaques dont sont victimes les femmes sur les réseaux sociaux.

Se souvenir

Valérie Amiraux, vice-doyenne de la faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, a participé à la marche. Elle a prononcé un discours féministe quelques heures plus tôt au café L’Artère, avenue du Parc.

L’enjeu politique est tellement important que c’est non seulement essentiel d’être là, mais sur les plans affectif et civique, c’est aussi très rassurant comme façon de repenser la commémoration.

Valérie Amiraux, vice-doyenne de la faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal

« L’idée [de la marche], c’est de faire un rappel qui crée une cohésion qui n’arrive pas souvent dans les conférences ou dans les événements plus formels, a avancé Valérie Amiraux, sociologue de formation. Là, on parle toutes entre nous. On a toutes trouvé le moyen de se rattacher à la violence de cet événement et à son souvenir en ayant le souci de continuer à penser l’événement au quotidien, aujourd’hui. »

En fin d’après-midi, après des heures de marche, les participantes étaient invitées à la maison de la culture Côte-des-Neiges pour une soirée de projections artistiques, de lectures et de discours féministes.

Derrière elles, sur la place du 6-Décembre-1989, 14 bougies blanches ont été déposées sur les inscriptions mémorielles, une pour chacune des anciennes étudiantes de Polytechnique.