Pris en étau entre un printemps tardif et un hiver hâtif, les cultivateurs de maïs craignent d'essuyer des pertes importantes.

La tempête hivernale précoce a pris de court les cultivateurs de maïs, qui n’ont toujours pas récolté la majorité de leurs champs. Déjà, le printemps froid et pluvieux avait plongé les agriculteurs dans l’incertitude en retardant la mise en terre des semis d’environ trois semaines. Ils pourraient maintenant être contraints à passer la moissonneuse-batteuse… dans la neige.

« On s’est fait prendre les culottes à terre », lance Paul Caplette, un agriculteur célèbre au sein du cercle des producteurs de grandes cultures en raison de sa rubrique hebdomadaire dans Le Bulletin des agriculteurs. « Je ne pense pas qu’on est faits sur toute la ligne et que toute la récolte est perdue, mais ce matin, quand je me suis levé et que j’ai vu la neige, j’ai dit des drôles de mots ! »

La culture du maïs-grain – c’est-à-dire le type de maïs destiné à l’alimentation animale ou à la production d’éthanol – est la production végétale la plus importante au Québec en termes de superficie, après celle du foin.

Paul Caplette compare le stade de croissance actuel des épis à celui d’un « préado ». En temps normal, les variétés hâtives peuvent être moissonnées dès le 20 octobre, tandis que la majeure partie du maïs est généralement ramassée avant le 25 novembre, dit-il.

« Ce qui fait que c’est exceptionnel cette année, c’est qu’il n’y a pas un agriculteur qui a fini. »

Normalement, les plus vites ont terminé. Mais là, d’après moi, 95 % des gars qui font du maïs sont tous pognés les deux bottes dans la neige. Et un plus petit pourcentage d’agriculteurs a encore du soya au champ et ça, c’est encore moins drôle.

Paul Caplette

Les pertes uniquement attribuables à la tempête de neige précoce pourraient se situer entre 5 % et 35 %, évalue-t-il, selon le champ touché.

Même s’il ne s’agit pas d’un record, Environnement Canada évalue que la tempête de neige qui a déversé entre 20 et 25 centimètres sur la Montérégie est survenue environ un mois à l’avance par rapport à la moyenne saisonnière. La production de maïs est majoritairement concentrée dans l’est de la Montérégie.

Du côté de la production maraîchère, la vaste majorité des légumes a déjà été récoltée. L’une des seules productions toujours en terre, les carottes de fin de saison, est une perte totale.

100 000 $ de pertes

Joint dans son tracteur hier midi alors qu’il passait la herse dans ses champs enneigés, le producteur Stéphane Blanchette a estimé que ses pertes financières dans le maïs-grain pourraient atteindre près de 100 000 $. Il doit encore moissonner 450 acres.

« Je suis un peu anxieux de voir comment on va finir les récoltes, mais on est en agriculture, alors on est habitués aux aléas de la saison. Je me dis toujours : crie, pleure, roule à terre, fais une crise, il n’y a rien qui va se passer », affirme, philosophe, l’agriculteur de Saint-Charles-sur-Richelieu.

Il est possible de récolter le maïs dans la neige, à condition qu’il n’y ait pas de neige sur les épis ou qu’il fasse assez froid pour qu’elle soit expulsée avec les résidus de battage. Si elle fond dans la machinerie agricole, des bris sont possibles. Cette opération est souvent réalisée la nuit, car il fait plus froid.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La mise en terre des semis de maïs avait été retardée d’environ trois semaines au printemps en raison du froid et de la pluie. 

Comme plusieurs de ses collègues, Stéphane Blanchette songe à cette option, même si elle n’est pas idéale. Il pourrait cependant manquer de forces vives pour terminer l’opération rapidement.

« Ce matin, j’écoutais la mairesse Valérie Plante à la radio qui disait que tout était prêt pour le déneigement, mais savez-vous combien de tracteurs agricoles rentrent dans la ville de Montréal pour déneiger ? Il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup d’agriculteurs qui font du déneigement. Moi, j’ai deux tracteurs qui sont partis avant-hier, donc on ne les a même plus pour récolter, donc c’est une année très difficile. »

Maïs cassé, maïs humide

En plus de la tempête hivernale, plusieurs agriculteurs doivent composer avec des plants cassés à la suite des forts vents survenus à l’Halloween. Un insecte, la chrysomèle, a affaibli le système racinaire des plants, les rendant plus vulnérables aux vents. Une fois couché par terre, le maïs est beaucoup plus difficile à récolter. La neige vient compliquer le portrait davantage. Un redoux qui noierait les épis dans des sols boueux serait catastrophique.

Puisqu’il n’est pas encore arrivé à maturité, le maïs est aussi plus humide et nécessite plus de temps de séchage, une opération gourmande en consommation de gaz naturel.

Le maïs doit idéalement être récolté à 24 % d’humidité et être séché pour atteindre 14 %, explique Jean-François Ridel, producteur de grains de Saint-Césaire et vice-président de l’Union des producteurs agricoles de Rouville. Il est actuellement à environ 34 %.

« Donc, on doit le sécher deux fois plus, alors ça fait deux fois plus de consommation de propane ou de gaz naturel. Donc probablement que notre signature en GES pour la portion séchage sera très importante », souligne-t-il. « Il y a aussi le côté monétaire. Moi, chaque jour, j’ai une facture de gaz de 700 $ qui rentre, et il n’y a pas beaucoup de maïs qui sèche comparativement à ce que je devrais sécher d’habitude », ajoute-t-il.

Ce dernier qualifie la situation de préoccupante. « On a prié pour que l’automne soit clément, mais mère Nature ne nous a pas tout à fait écoutés », soupire-t-il.