L’enquête du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) sur les fuites et les méthodes d’investigation à l’Unité permanente anticorruption (UPAC) coûte au moins 1,6 million par année et mobilise 14 enquêteurs à temps plein. 

C’est ce que démontrent des documents du BEI sur le projet Serment obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des documents personnels.

Serment est cette enquête amorcée en octobre 2018 sous la direction du BEI qui porte sur les fuites d’informations à l’UPAC depuis 2012 et sur la façon dont ses enquêteurs et patrons ont mené l’enquête Projet A sur les fuites dans les médias de documents liés à l’enquête Mâchurer – sur le financement du Parti libéral du Québec – et à l’issue de laquelle le député Guy Ouellette a été arrêté, en octobre 2017, mais jamais accusé.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Guy Ouellette, député de Chomedey

Martin Prud’homme dans les limbes

C’est dans le cadre de l’enquête Serment que le directeur de la Sûreté du Québec (SQ), Martin Prud’homme, a été relevé provisoirement de ses fonctions en mars dernier pour une raison encore inconnue. Depuis cinq mois, ce dernier attend, chez lui, l’issue de l’enquête et des développements quant à son avenir.

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Martin Prud’homme, directeur de la Sûreté du Québec, a été relevé provisoirement de ses fonctions en mars dernier pour une raison encore inconnue.

Selon nos informations, M. Prud’homme n’a toujours pas été interrogé par les enquêteurs affectés à Serment et il ne saurait toujours pas ce qu’on lui reproche.

La Presse a demandé au directeur des communications de la ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault, Jean-François Del Torchio, si Québec avait fixé une date limite pour mettre fin à la direction intérimaire actuelle de la SQ si l’enquête Serment se poursuivait encore longtemps.

« Il y a une direction actuellement en place à la Sûreté du Québec et nous laissons l’enquête du BEI suivre son cours », a répondu M. Del Torchio.

Jusqu’à 119 000 $ en salaire

On ne sait pas combien de temps durera l’enquête Serment. 

Selon les documents obtenus par La Presse, 14 enquêteurs sont affectés à temps plein à celle-ci ; six qui travaillent au BEI et huit qui relèvent du ministère de la Sécurité publique (MSP).

Les six enquêteurs du BEI ont un salaire annuel variant entre 94 000 $ et 119 800 $, pour un total de 677 365 $.

Au moment d’écrire ces lignes, les salaires (payés selon un taux horaire) des huit enquêteurs contractuels du MSP n’étaient pas connus, mais selon des sources, les honoraires de ces derniers, d’anciens policiers pour la plupart, s’établiraient, au minimum, à 100 000 $, ce qui représenterait un total d’au moins 800 000 $.

Et contrairement à leurs collègues ex-policiers du BEI qui sont considérés comme des employés du gouvernement, leur traitement ne serait pas amputé en fonction d’une pension existante. 

L’horaire de travail d’un enquêteur au BEI est de 140 heures par mois. On ne connaît pas le montant des heures travaillées en heures supplémentaires par les 14 enquêteurs du projet Serment depuis le déclenchement de l’enquête, mais depuis le début des opérations du BEI, ses enquêteurs effectuent leurs 35 heures par semaine sur quatre jours, les heures travaillées durant la cinquième journée étant payées en heures supplémentaires.

Bureaux, autos, condos

Les 14 enquêteurs affectés au projet Serment travaillent à part des enquêteurs réguliers du BEI, dans des locaux loués depuis mai dernier dans une tour, près des bureaux du BEI, dans le secteur du métro Longueuil.

Le loyer pour les locaux servant à l’enquête Serment s’est élevé à un peu plus de 34 000 $ pour les mois de mai, juin et juillet 2019, ce qui représenterait donc des frais totaux de location de plus de 135 000 $ par année.

L’aménagement des bureaux a coûté depuis l’an dernier près de 86 000 $, en plus de l’ameublement et des fournitures (45 834 $) ainsi que des équipements et services informatiques (20 800 $).

De plus, le BEI a mobilisé deux véhicules uniquement pour ses enquêteurs affectés au projet Serment. Quant aux huit enquêteurs contractuels relevant du MSP, une porte-parole de ce dernier a notamment répondu par écrit à La Presse que « le Ministère fournit également un véhicule aux enquêteurs dans le cadre de leur travail ainsi qu’un hébergement, si applicable ». 

D’après nos informations, des condos, situés près des bureaux du BEI à Longueuil, ont été loués pour les enquêteurs contractuels du ministère de la Sécurité publique, dont certains habitent la région de Québec.

Des sources ont déjà indiqué à La Presse que la durée des contrats des enquêteurs relevant du MSP serait de deux ans, avec une possibilité de prolongation. Nous avons posé la question au Ministère, qui nous a invité à faire une demande en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des documents personnels.

Enquête importante

Les chiffres obtenus par La Presse sur les coûts du projet Serment ne comprennent pas les dépenses liées aux moyens d’enquête. Par exemple, des médias ont déjà évoqué l’utilisation de l’écoute électronique, mais cela n’a pas été confirmé par le BEI. 

Outre le déplacement de Martin Prud’homme, l’enquête Serment a eu d’autres effets. C’est à cause d’elle que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a demandé à la Cour suprême de surseoir à sa décision dans le bras de fer qui oppose la journaliste de Radio-Canada Marie-Maude Denis et l’ancien vice-président de la firme de génie-conseil Roche Marc-Yvan Côté, accusé de complot, de fraude envers les affaires municipales et de corruption de fonctionnaire.

Le BEI compte également une section dont les enquêteurs examinent exclusivement les allégations d’agression sexuelle impliquant des agents de la paix.

Serment est l’enquête la plus importante effectuée par le BEI depuis ses débuts. Elle s’éloigne du mandat premier des limiers du BEI, soit enquêter sur les événements impliquant des policiers ou agents de la paix au cours desquels il y a eu mort d’homme ou blessures.

Le Bureau, dirigé par une ancienne procureure de la Couronne, Me Madeleine Giauque, est en train de prendre une place de plus en plus grande sur l’échiquier policier au Québec.

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Me Madeleine Giauque, directrice du Bureau des enquêtes indépendantes

Effectifs doublés en trois ans

À ses débuts, au 31 mars 2016, il comptait 25 employés, dont 20 étaient titulaires d’un emploi supérieur : les enquêteurs.

Aujourd’hui, le BEI en compte le double, 51 employés, selon les documents obtenus par La Presse. Parmi ces 51 employés, on dénombre 44 titulaires d’un emploi supérieur, quatre professionnels, deux techniciens et un employé de bureau.

Depuis leurs débuts en juin 2016, les enquêteurs du BEI ont effectué 134 enquêtes, dont deux ont mené le DPCP à déposer des accusations d’agression sexuelle contre autant de policiers. Des dossiers sont toutefois toujours à l’étude par des procureurs.

Selon nos informations, Me Giauque aurait avisé le gouvernement de son intention de ne pas renouveler son mandat lorsque celui-ci viendra à échéance, le 16 décembre prochain.

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

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