(Montréal) Un demandeur d’asile arrivé à Montréal en 2016 est menacé d'être renvoyé vers la Guinée, même s’il dit craindre sérieusement pour sa vie en raison de son orientation sexuelle. Son expulsion par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) est prévue pour le 3 août, à moins d’une intervention de dernière minute.

Le statut de réfugié lui a été refusé en 2017. Un permis de séjour temporaire lui a donné un sursis de six mois que l’ASFC a refusé de prolonger. On lui a ensuite refusé un permis de résidence pour des considérations d’ordre humanitaire et finalement, une dernière demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) s’est avérée vaine.

Son avocat Stewart Istvanffy accuse les agents des services frontaliers de discrimination sexuelle et allègue que personne n’a tenu compte de la preuve dans le dossier de son client. « On a vraiment un problème grave (au sein du ministère de la Sécurité publique) cette personne n’a jamais été entendue sur sa demande, on ne tient pas compte des preuves et il a un soutien extrêmement fort de la communauté LGBTQ “au Québec », a-t-il dénoncé en conférence de presse dimanche après-midi.

Plusieurs organismes qui défendent les droits des minorités sexuelles et des immigrants ont convoqué les médias afin d’appuyer Karim. Lui-même, son avocat et le député de Québec solidaire Andrés Fontecilla étaient également présents.

Pour Me Istvanffy, il ne reste plus qu’à espérer une intervention de la Cour fédérale. Une audience est prévue lundi après-midi au cours de laquelle il va réclamer un sursis de déportation.

« Je vais invoquer le respect de la charte du droit international et le manque de respect pour toute la preuve pour demander d’arrêter le renvoi en attendant une décision sur le fond », a commenté l’avocat spécialisé en immigration et en droits de la personne.

« On a une bureaucratie formée par Stephen Harper, du temps des conservateurs, pour déporter tout le monde et ne pas respecter notre charte et le droit international. Nous aimerions que le ministre résiste à une bureaucratie xénophobe qui ne respecte pas les droits fondamentaux », a poursuivi Me Istvanffy en mêlée de presse.

Celui que l’on présente uniquement sous le pseudonyme de Karim, afin de protéger son identité, raconte être arrivé à Montréal en août 2016 afin de demander le statut de réfugié. Il affirme avoir fui pour sauver sa peau quand sa famille et le parti politique d’opposition au sein duquel il militait ont découvert sa bisexualité.

Il explique qu’il vivait en quelque sorte une double vie, où il cachait sa véritable orientation sexuelle.

« Ce qui m’a fait fuir le pays, c’est le fait que j’étais haï par ma famille et mon parti », a-t-il confié en entrevue avec La Presse canadienne, précisant avoir notamment été menacé par un oncle.

« J’ai tout abandonné pour sauver ma vie. J’ai laissé ma petite fille qui n’avait que trois mois. Ce n’est pas pour rien que j’ai quitté le pays », ajoute l’homme qui a vu sa demande d’asile refusée par Immigration Canada en 2017.

Meriem Benslimane de l’organisme Action LGBTQ avec les immigrant (e) s et réfugié (e) s (AGIR) explique que le parti d’opposition auquel appartenait Karim l’a renié et a publié son nom dans les journaux en révélant son orientation sexuelle. Des manifestations auraient eu lieu contre lui, il aurait été torturé et sa femme serait forcée de demeurer cachée parce qu’elle continue de l’appuyer.

« C’est la mort qui m’attend »

Menacé de renvoi une première fois en 2017, il a été épargné in extremis le jour même de son départ grâce à l’intervention du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté Ahmed Hussen.

« Ils sont intervenus pour lui donner un permis de séjour temporaire quand le dossier a été médiatisé. Malheureusement, il semble que les libéraux ont décidé de continuer avec les politiques de déportations arbitraires des conservateurs », dénonce son avocat Me Istvanffy.

Lorsqu’on lui demande ce qu’il craint en Guinée, Karim répond sans hésiter : la mort.

« [Je suis] quelqu’un qui n’a personne pour le protéger. Ta famille t’a haï, tes amis t’ont haï. Qui peut t’aider ? Qu’est-ce que tu vas faire là-bas ? C’est la mort qui m’attend. Rien que ça. », confie-t-il.

Karim implore le gouvernement canadien de ne pas prendre le risque de le renvoyer en Guinée. « Je ne suis pas un criminel. Tout ce que je demande, c’est une protection », supplie le jeune homme visiblement affecté par la situation. Il bénéficierait d’ailleurs, selon son avocat, de services d’aide aux personnes ayant subi un traumatisme.

« J’avais tout ce qu’il faut dans mon pays. J’avais les moyens, je n’avais pas l’ambition de m’en aller et je ne serais pas parti si je n’avais pas eu ce problème », assure l’homme qui mise sur de plus en plus d’appuis politiques et communautaires au Québec.

Celui-ci se serait d’ailleurs particulièrement bien intégré à la communauté LGBTQ+ de Montréal en s’impliquant au sein d’organismes militants, ont indiqué plusieurs intervenants communautaires présents lors de la conférence de presse.

Manque de formation à l’ASFC

Meryem Benslimane de l’organisme Action LGBTQ avec les immigrant (e) s et réfugié (e) s (AGIR) et Christian Tanguay du Centre LGBTQ+ de Montréal reprochent tous deux un manque de formation des agents des services frontaliers qui ne comprendraient pas, selon eux, la réalité des personnes vivant avec une sexualité différente en dehors de l’occident.

« Ils arrivent et on leur dit prouvez-nous que vous êtes homosexuel ou lesbienne », rapporte Mme Benslimane. Certains peuvent avoir des photos de leur vie commune avec un partenaire s’ils ne vivent pas dans l’ombre ou encore des communications, mais le fardeau de la preuve peut parfois être impossible à assumer.