Qui a dit qu’il n’y a que des mauvaises nouvelles dans les médias ? Tous les samedis cet été, nos chroniqueurs vous proposent des histoires sous le signe de l’espoir.

Je me suis rarement autant reconnue dans un roman qu’en lisant La déesse des mouches à feu, l’histoire d’un vertige adolescent décrit avec une bouleversante acuité par Geneviève Pettersen.

L’intrigue de ce roman en passe d’être adapté au cinéma se déroule dans mon patelin, Chicoutimi, où j’ai vécu les 19 premières années de ma vie.

J’y ai vécu avant la période grunge du roman – je venais de débarquer à Montréal quand Kurt Cobain est mort –, mais tout au long de ma lecture, j’ai eu l’impression que la protagoniste, Catherine, avait marché dans mes pas.

J’ai retrouvé l’arcade Galaxie, tout en bas de la rue Racine. Place du Royaume, où on traînait en bande, le jeudi soir, jusqu’à ce que les capeux nous chassent.

J’ai reconnu les personnages. Les pouilleux à pinch qui portaient des chandails de Slayer et des vestes de Skidoo Arctic Cat. Vraiment gigons, ceux-là. Les groupies des Sags. Les gawas pleines de spray net (c’était moi, ça).

J’ai reconnu la langue. Des mots enfouis dans ma mémoire ont ressurgi, comme des gars qui ressoudent du bois. Je les ai vus se construire un campe, de l’autre bord du cran. J’ai vu une fille attendre la bus par moins trente, pas de tuque, la froque pas zippée. C’était moi aussi.

J’ai presque entendu l’accent.

J’ai reconnu, enfin, les premières expériences,les partys qui dérapent, les risques fous qu’on prend sans réfléchir, en se croyant invincible ou pour défier nos parents. Sexe, drogue et rock’n’roll.

L’adolescence qu’on brûle par les deux bouts.

Je vous rassure : la mienne n’a pas été aussi trash que celle de Catherine. Elle n’en a pas été si loin, non plus.

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Il paraît que c’est pire aujourd’hui.

Qu’entre l’hypersexualisation, le porno sur l’internet, les boissons alcoolisées sucrées et les nouvelles drogues de synthèse, l’adolescence n’a jamais été aussi dangereuse.

À force de lire des manchettes alarmistes et de regarder des fictions dramatiques, on finit par se demander si nos enfants ont la moindre chance de s’en tirer indemnes.

Bonne nouvelle : ils vont s’en tirer – pour la plupart, en tout cas.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la réalité, c’est que les ados n’ont jamais été aussi… sages.

Ils forment ce que le New York Times a baptisé la « génération prudente ». Ils boivent moins que leurs parents au même âge, fument moins, consomment moins de drogue.

Ils ont moins d’accidents de voiture, se battent moins, décrochent moins de l’école, ont moins de relations sexuelles, protégées ou non.

Ils portent même des casques de vélo.

« Dans l’ensemble, l’adolescence est plus sûre qu’elle ne l’a jamais été », a conclu le quotidien, en juin, se basant sur une série d’études américaines.

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La même tendance se dégage au Québec. Tous les chiffres que j’ai consultés pointent dans cette direction : la prévalence des comportements « à risque » a diminué de façon substantielle en une génération.

Prenez le tabagisme. En 1994, 30 % des élèves de la 1re à la 3e secondaire fumaient. En 2016-2017, ils n’étaient plus que 4 % à le faire, note Benoit Lasnier, conseiller scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Oubliez aussi les discours catastrophes sur la sexualité débridée des jeunes d’aujourd’hui. La proportion de jeunes femmes ayant rapporté avoir eu un rapport sexuel avant l’âge de 15 ans est passée de 27 % en 1996-1997 à 16 % en 2005.

« On a tort de dénoncer une entrée plus précoce des dernières générations dans la vie sexuelle puisqu’il faut attendre que les jeunes aient au-delà de 17 ou 18 ans pour que la moitié d’entre eux aient eu un premier rapport sexuel », lit-on dans La sexualité des jeunes Québécois et Canadiens – Regard critique sur le concept d’« hypersexualisation ».

Plus récente, l’étude Pixel de l’INSPQ montre qu’en 2017, 1 jeune adulte sur 20 (5 %) avait eu une relation sexuelle avant l’âge de 14 ans. Avant l’âge de 17 ans, cette proportion passe à 50 % pour les femmes et 40 % pour les hommes.

La consommation d’alcool aussi est en baisse.

La proportion d’élèves du secondaire en ayant bu au cours des 12 derniers mois est passée de 71 % en 2000 à 53 % en 2016-2017.

Non seulement ils s’initient de plus en plus tard à l’alcool, mais ils en abusent moins.

Et la drogue ? Même tableau. La proportion d’élèves du secondaire qui en ont consommé (toutes drogues confondues) au cours des 12 derniers mois est passée de 43 % en 2000 à 20 % en 2016-2017. L’âge d’initiation a aussi reculé.

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Pourquoi les adolescents sont-ils devenus aussi sages ?

Là-dessus, les chercheurs ne s’entendent pas. Certains avancent qu’ils ont simplement remplacé les anciennes dépendances par de nouvelles.

Ils fument moins, mais vapotent davantage.

Ils boivent moins, mais sont scotchés à leurs écrans.

Ils ont moins de relations sexuelles, mais sont cyberdépendants des réseaux sociaux – ou, pire, des sites pornos.

D’autres chercheurs pensent que la pression des pairs joue un rôle important dans ce phénomène. C’est le principe inversé de la saucisse Hygrade : il y a moins d’ados qui boivent ou qui se droguent… parce qu’il y en a moins qui le font.

Ça devient pas mal moins cool de fumer un joint quand on est tout seul à le faire.

Sans doute, aussi, que les jeunes sont plus surveillés par leurs parents grâce aux téléphones cellulaires qu’ils traînent partout où ils vont.

Les chercheurs optimistes, eux, pensent faire face à une génération intelligente, communicative et ouverte d’esprit.

Autrement dit, les adolescents, de nos jours, auraient plus de jugeote que leurs parents à leur âge.

Allez savoir, peut-être même qu’ils zippent leur froque.

Sources : Étude Pixel – Portrait de la santé sexuelle des jeunes adultes au Québec, INSPQ, 2017 La sexualité des jeunes Québécois et Canadiens – Regard critique sur le concept d’« hypersexualisation », 2009 Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues chez les élèves, 2016-2017 Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire, Institut de la statistique du Québec, 2013 Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire, Institut de la statistique du Québec, 2016-2017 La déesse des mouches à feu, Le Quartanier, 2014

Lexique de Chicoutimi  Campe : cabane  Capeux : agent de sécurité  Cran : butte rocheuse Froque : veste, manteau  Gawa : fille au jean serré et aux cheveux gaufrés et crêpés  Gigon : débraillé, vulgaire  Pouilleux : gars aux cheveux longs, qui sort avec la gawa  Ressoudre : apparaître soudainement